En Chine, l’année du serpent commencera le 29 janvier, soit à peine neuf jours après la seconde investiture de Donald Trump. Xi Jinping y a-t-il vu un signe ? Le président chinois a en tout cas toutes les raisons de se montrer vigilant face à un animal politique qui lui a donné du fil à retordre lors de son premier mandat. Le dirigeant républicain avait lancé dès 2018 une guerre commerciale contre Pékin, tout en multipliant les flatteries à l’égard de son homologue.
Le retour de Trump à la Maison-Blanche intervient à un moment délicat pour la Chine, dans un contexte de ralentissement de sa croissance, sur fond de crise de l’immobilier, d’atonie de la demande et du spectre de la déflation. Plusieurs signaux témoignent de cette mauvaise passe : la monnaie chinoise ne cesse de reculer par rapport au dollar (elle est tombée début janvier à son niveau le plus bas depuis 16 mois), et l’indice boursier des 300 premières capitalisations chinoises a reculé depuis le début de l’année.
Si Trump exécute sa menace d’augmenter les tarifs douaniers de 60 % sur les importations de produits chinois, la situation se compliquera encore pour la deuxième économie mondiale, qui pourrait perdre jusqu’à 1 point de PIB cette année. Pour nombre d’observateurs, Trump passera à l’offensive dès le début 2025 – malgré les risques d’effets inflationnistes aux Etats-Unis. Mais nul ne sait quel niveau de taxation il appliquera ; ni quel sera l’éventail de produits sera concerné ; et pas davantage si l’objectif final est de parvenir à un accord avec Pékin.
Mesures de rétorsion
Face aux nuages qui s’accumulent à l’horizon, la Chine, cette fois, ne sera pas prise de court, contrairement à ce qu’il s’était passé en 2017. Sous l’impulsion de Xi Jinping, l’Empire du Milieu a considérablement accru ses efforts, ces dernières années, pour accroître son autonomie stratégique sur des technologies clés, comme les semi-conducteurs. Et à moins dépendre du marché américain en diversifiant ses exportations, notamment vers les pays du Sud.
Pékin s’est non seulement mis en ordre de bataille pour résister à une guerre commerciale, mais aussi pour pouvoir contrattaquer. “Il ne fait aucun doute que la Chine se prépare aux tarifs douaniers de Trump et qu’elle prendra des mesures de rétorsion, tout en essayant d’engager un dialogue pour faire baisser le niveau de pression. La question est de savoir dans quelle mesure elle y parviendra…”, s’interroge Steve Tsang, directeur de l’institut SOAS China, à l’université de Londres.
Des opportunités pour Pékin
Le régime communiste dispose d’options pour riposter, à commencer par l’instauration de ses propres droits de douane. “La Chine menacera les Etats-Unis de représailles qui auront des répercussions sur des cibles que Trump juge importantes : les agriculteurs et le marché boursier”, explique Dereck Scissors, spécialiste de la Chine à l’American Enterprise Institute, un centre de réflexion. A l’image des mesures prises par l’administration Biden ces quatre dernières années, la Chine pourrait aussi bloquer certaines exportations de composants stratégiques vers les Etats-Unis. “Elle contrôle des éléments de chaînes d’approvisionnement essentielles pour des technologies clés, qu’elle pourrait menacer de perturber”, complète William Matthews, analyste à la Chatham house. Autre arme, le boycott : le géant asiatique a déjà commencé à montrer de quoi il était capable en ouvrant le mois dernier une enquête anti-monopole contre le champion de la high-tech américaine Nvidia, et en interdisant à ses entreprises de s’approvisionner auprès de lui en processeurs graphiques, selon le South China Morning Post. Une riposte directe : le roi des puces destinées à l’intelligence artificielle a l’obligation depuis 2022 de ne plus livrer ses produits les plus sophistiqués aux groupes chinois.
Mais s’il risque d’accroître les tensions commerciales et géopolitiques entre Pékin et Washington, le come-back de Trump pourrait aussi créer des opportunités pour Pékin. Alors que l’administration Biden s’est efforcée d’unifier ses alliés face à la Chine, Donald Trump a déjà commencé à les menacer et à les bousculer, au nom des intérêts américains. Sans compter que le 47e président n’a aucun respect pour les organisations internationales. Autant d’espaces dans lesquels les autorités chinoises pourraient s’engouffrer pour prétendre à un rôle plus global sur la scène mondiale, et tenter d’influencer encore davantage les institutions onusiennes. Au passage, ce retrait des États-Unis “offrira à la Chine de plus grandes possibilités pour promouvoir ses technologies vertes, ses systèmes d’intelligence artificielle et d’autres technologies dans les pays en développement, ce qui signifie que les normes techniques et les produits chinois sont plus susceptibles de s’imposer, augmentant ainsi l’influence mondiale du pays”, pronostique William Matthews.
L’épineuse question de Taïwan
En réalité, Trump pourrait faciliter la stratégie chinoise. “Pékin prévoit qu’une présidence Trump exacerbera le chaos et la polarisation au sein des États-Unis tout en érodant davantage la réputation internationale de l’Amérique, résume Tong Zhao, chercheur au Carnegie Endowment for International Peace, à Washington. Elle cherche donc à capitaliser sur cette situation en se concentrant sur le renforcement de sa propre puissance et de son soft power, et en renforçant ses liens avec la communauté internationale – en particulier les nations du Sud mondial et les alliés occidentaux des Etats-Unis – de façon à isoler Washington sur la scène internationale.”
Reste à savoir quelle attitude adoptera Trump à l’égard de Taïwan, le dossier le plus explosif entre les deux premières puissances mondiales. Il n’est pas exclu que le leader républicain, puisse sacrifier l’île – que le régime communiste souhaite faire revenir dans son giron – en s’en servant comme monnaie d’échange dans une négociation avec Xi Jinping. Et ce, même si de nombreuses voix au sein du gouvernement et du Congrès américains s’opposeraient à un tel arrangement, au nom de la défense d’un régime démocratique et des intérêts géopolitiques des Etats-Unis. La situation est d’autant plus incertaine qu’Elon Musk, proche conseiller de Trump et propriétaire de X, SpaceX ou Tesla, dont la plus grande usine de voitures électriques se trouve en Chine, n’a pas hésité à s’aligner sur les positions chinoises concernant Taïwan. “Contrairement à ses prédécesseurs, Donald Trump ne semble pas profondément attaché aux valeurs démocratiques qui distinguent traditionnellement les Etats-Unis de la Chine, pointe l’analyste Tong Zhao. Sa position à l’égard de Pékin pourrait être surtout transactionnelle, ce qui pourrait lui permettre de conclure des accords controversés avec Pékin.” Potentiellement aux dépens de Taïwan.
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