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La protection des enfants, grande oubliée des années Macron : pourquoi le compte n’y est pas


Introuvable. Le 23 décembre dernier, lorsque le secrétaire général de l’Elysée Alexis Kohler égrène les noms des nouveaux ministres du gouvernement Bayrou, l’Enfance n’est pas évoquée. La ministre déléguée Agnès Canayer, jusqu’alors chargée de ces questions, n’est pas reconduite. La thématique ne fait pas non plus partie du portefeuille de Catherine Vautrin, nommée ministre du Travail, de la Santé, des Solidarités et des Familles.

Cinq jours plus tard, Emmanuel Macron annonce finalement la création d’un Haut-Commissariat à l’enfance, réassurant sur les réseaux sociaux que la protection des plus jeunes “est au coeur de [son] engagement”. Selon Le Figaro, qui révèle l’information, le chef de l’Etat souhaiterait “externaliser” la gestion de ce dossier, et ainsi “la préserver de l’instabilité politique”. Un argumentaire dont se méfient les professionnels du secteur, dépités par l’impossible mise en oeuvre des initiatives lancées par les gouvernements successifs et le manque d’investissement politique sur le sujet. “Depuis deux ans, nous avons eu quatre ministres ou secrétaires d’Etat différents liés à l’Enfance. Il faut se battre pour que cette dernière reste une priorité politique – ce qui ne semble pas être le cas, sans ministère de plein exercice rattaché au Premier ministre”, regrette Florine Pruchon, coordinatrice de la Dynamique pour les droits de l’enfant, qui regroupe une vingtaine d’associations.

Le secteur, pourtant, ne cesse d’alerter sur la crise sans précédent dont il fait l’objet. Selon l’Observatoire national de la protection de l’enfance, pas moins de 344 682 mineurs ou jeunes majeurs étaient pris en charge par l’Aide sociale à l’enfance (ASE) au 31 décembre 2022, soit une augmentation de 18 % depuis 2011. Près de la moitié de ces enfants sont placés dans des familles ou structures d’accueil, qui manquent à la fois de places, de personnels et de moyens. Depuis 2016, le nombre d’assistants familiaux employés par les départements a ainsi chuté de 9 %, tandis que le nombre de jeunes accueillis en établissements a plus que doublé entre 2011 et 2022. En 2023, le Syndicat de la magistrature s’alarmait ainsi dans un sondage que 77 % des juges pour enfants aient déjà renoncé au placement d’un mineur en “raison d’un manque de place ou de structure adaptée” – à l’époque, le syndicat recensait “plus de 3300 enfants en danger maintenus dans leurs familles”, faute d’accueil disponible.

“Poids politique”

Malgré une dizaine de rapports rendus sur les difficultés de la protection de l’enfance ces cinq dernières années, la situation semble bloquée. “Les remous politiques ont évidemment gelé beaucoup de projets, avec des initiatives qui sont tout simplement parties dans les limbes”, résume Thierry Herrant, chargé de mission pour l’Union fédérative nationale des associations de familles d’accueil. A titre d’exemple, le professionnel cite un ambitieux plan lancé par la ministre déléguée à l’Enfance Sarah El Haïry en avril dernier, consistant à mettre en place, avec les départements, sept groupes de travail dédiés à la protection de l’enfance. Objectif affiché ? “Dégager des recommandations” sur la base des “expériences réussies” dans les territoires. “Personne n’a su ce qu’ont donné ces groupes de travail, qui n’ont donné lieu à aucune conclusion et sont, a minima, en suspens”, regrette Thierry Herrant.

Pour porter ces sujets, souvent complexes, la présidente du Conseil national de la protection de l’enfance (CNPE) Anne Devreese espère la nomination d’un Haut-Commissaire dont le “poids politique” permettrait d’agir concrètement : “Qu’il ou elle soit ministre, secrétaire d’Etat ou Haut-Commissaire, son efficacité dépendra de sa capacité à remporter les arbitrages interministériels et inscrire durablement les droits et besoins des enfants dans les priorités gouvernementales”, précise-t-elle. La tâche est ardue : malgré une réelle prise de conscience sur l’état des politiques publiques liées à la protection de l’enfance, les personnalités politiques qui ont décidé de s’engager durablement sur ces thématiques restent rares. “Cela nécessite un investissement de long terme, avec de très faibles bénéfices politiques, puisqu’on traite d’une catégorie de population peu soutenue et peu représentée”, commente-t-elle.

“Ce n’est que des emmerdes”

“Se mobiliser politiquement sur ces sujets, ce n’est que des emmerdes”, lâche sans détour Lyes Louffok, ancien enfant placé et actuel candidat du Nouveau Front Populaire lors des élections législatives en Isère. “C’est un secteur extrêmement complexe, difficile à faire bouger, pour lequel il faut accepter de se fâcher avec des élus locaux, trouver les bons moyens de pression… Personne n’a envie de ça, alors même que ce n’est pas une thématique qui va rapporter des voix”, évoque-t-il. Au cours de son parcours médiatique et politique, ce militant des droits de l’enfant a ainsi observé une “absence totale” de ce sujet dans la vie interne de la plupart des partis – y compris à gauche. “Ce n’est pas considéré comme un combat intéressant, noble ou stratégique. Même lors des élections départementales, vous ne trouvez pas une ligne sur la protection de l’enfance dans les programmes, alors qu’il s’agit parfois de la dépense la plus importante des départements”, assure-t-il.

Au sein du gouvernement, d’anciens ministres chargés de ce portefeuille admettent que le poste nécessite une “forte volonté politique”. “Il y a une réalité : dans la formation intellectuelle de nombre de responsables politiques et administratifs, les questions sociales en général et celles liées à l’enfance en particulier ne sont pas toujours prioritaires”, raconte Adrien Taquet, secrétaire d’Etat à l’Enfance entre 2020 et 2022. “C’est une politique publique interministérielle par nature, et une grosse partie du travail consiste à insister auprès de nos collègues pour rappeler son importance. Cela impose un minimum de poids politique”, souligne-t-il.

“Ce n’est pas un portefeuille fait pour les gens passifs, je vous le garantis”, réagit de son côté Laurence Rossignol, secrétaire d’Etat puis ministre chargée de l’Enfance de 2014 à 2017. Bien qu’elle ait bénéficié d’un “contexte médiatique favorable” lors de son mandat, marqué par la publication de plusieurs livres et reportages sur les dysfonctionnements de l’ASE, l’ex-ministre témoigne d’un accueil politique “très inégal” sur la question. “J’ai rencontré beaucoup de vice-présidentes chargées de l’Enfance dans leurs départements ravies de trouver enfin une écoute et un collectif, tant elles avaient eu du mal à pénétrer les services sur ces sujets. A l’inverse, d’autres fonctionnaires ne montraient aucun intérêt, n’acceptant de parler de protection de l’enfance que pour évoquer les mineurs non accompagnés”, retrace-t-elle.

Dans un tel contexte, Isabelle Santiago, députée (PS) du Val-de-Marne et rapporteure de la commission d’enquête sur les manquements des politiques publiques liées à la protection de l’enfance – relancée en novembre dernier après quatre mois d’arrêt dus à la dissolution -, ne peut que regretter le “peu d’investissement politique” à la suite des recommandations des nombreux rapports publiés sur le sujet. “La spécificité de cette matière, c’est qu’elle se situe à la croisée de beaucoup de politiques publiques, trop souvent traitée en ‘silo’, ce qui tend à l’invisibiliser”, souligne-t-elle. Sans base de données permettant d’identifier au préalable les familles les plus fragiles, avec des moyens financiers insuffisants pour faire face à la demande, et souffrant d’un manque criant de structures adaptées, les départements peinent à sortir la tête de l’eau. “Mais lorsqu’ils tentent d’alerter l’Etat, la responsabilité leur est souvent renvoyée. Chacun travaille dans son coin, se renvoie la balle, et les problématiques ne sont pas réglées, voire occultées”, estime la députée.

“J’étais dans un désert”

Paradoxalement, le dispositif législatif encadrant la protection de l’enfance n’a jamais été aussi fourni, largement renforcé par les lois de 2007, 2016 et 2022. Un constat que nuance Lyes Louffok, qui regrette que “les élus ne respectent pas toujours la législation”. “On manque de données sur le nombre d’enfants placés à l’hôtel, le nombre de mesures non exécutées, avec une absence totale de transparence dans certains territoires, qui se croient au-dessus des lois”, assure-t-il. Dans un secteur où “tout le monde se tient un peu par la barbichette” et où “les associations n’ont pas toujours intérêt à faire des esclandres”, Thierry Herrant dénonce de son côté “un manque criant de contrôles et de sanctions”. “Pour faire respecter la loi, il ne faut pas hésiter à vous accrocher avec les responsables locaux, fouiller dans ce qui dysfonctionne, pour mettre tout le monde autour de la table et prendre le lead. C’est peut-être ce dont le secteur de la protection de l’enfance souffre le plus aujourd’hui : l’absence de tels bulldozers politiques.”

Une partie du problème, c’est que personne n’a écouté ces enfants, ni cherché à comprendre le milieu très opaque dans lequel ils vivaient

Isabelle Santiago, députée

D’autant que, pendant longtemps, les enfants placés à l’ASE ont manqué d’un relais médiatique pour faire entendre leur voix. “Une partie du problème, c’est que personne n’a écouté ces enfants, ni cherché à comprendre le milieu très opaque dans lequel ils vivaient”, regrette Isabelle Santiago. Selon la députée, la récente diffusion de reportages “choc” sur l’ASE ou de témoignages d’enfants placés commence tout juste à sensibiliser l’opinion publique. “Il y a eu vrai déblocage médiatique, mais qui n’a pas la même portée que les violences conjugales ou les scandales autour des Ehpad ou des crèches, précisément par manque d’identification”, estime-t-elle.

Dans son combat médiatique pour faire valoir les droits des enfants placés, Lyes Louffok s’est ainsi souvent senti seul. “Au début, j’étais dans un désert : les gens parlaient encore des ‘enfants de la Ddass’ et de tous les préjugés qui leur collaient à la peau”, fait-il valoir, évoquant “la régression” que représente selon lui la création d’un Haut-Commissariat à l’enfance, en lieu et place d’un ministère dédié. “Quand on connaît les arcanes du pouvoir et ce qu’il faut donner de soi-même pour remporter des arbitrages favorables sur la protection de l’enfance, on comprend que la bataille est loin d’être gagnée”, souffle-t-il.




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