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Dominique Simonnet : “Face à Donald Trump, il faut adopter la méthode du coyote”


Lundi 20 janvier, jour d’investiture du 47e président des Etats-Unis. À Washington, le teint orangé, la cravate pourpre, Donald Trump déroule. Un discours dans lequel s’entremêlent velléités expansionnistes et appels à la paix. Dans la rotonde du Capitole, résonne l’iconique “peace through strength” de Ronald Reagan que le milliardaire ne cite pas. Façon peut-être de signifier – outre le souci de s’extraire de toute filiation politique – que les mêmes mots revêtent là un sens différent.

Mais lequel ? Comment interpréter le double discours du nouveau chef de la première armée au monde, qui tout à la fois, menace d’annexer par la force des territoires souverains et se rêve en lauréat du Prix Nobel de la paix ? Si elle apparaît aussi paradoxale qu’inédite, la posture de Donald Trump épouserait les formes d’une philosophie familière – si ce n’est fondatrice – de l’Amérique moderne : la doctrine Monroe. L’analyse de Dominique Simonnet, journaliste, et essayiste spécialiste des Etats-Unis, co-auteur avec Nicole Bacharan de l’ouvrage “Les Grands jours qui ont changé l’Amérique” (Perrin, 2021).

L’Express : Tout en se présentant comme le gardien de la paix internationale, Donald Trump tient des positions particulièrement offensives voire belliqueuses à l’égard de territoires souverains et pacifiques. Comment expliquer cette ambivalence ?

Dominique Simonnet : C’est le retour de l’isolationnisme impérial. Autrement dit, la volonté d’afficher une Amérique souveraine qui veille sur ses intérêts au sens large – à la fois interne et externe. On est moins proche du “peace through strength” de Ronald Reagan que de la doctrine Monroe qui consiste à se distancier au maximum des conflits extérieurs qui coûtent ou pourraient coûter de l’argent aux Etats-Unis. C’est finalement l’essence même de ce pays qui s’est construit sur la volonté de se distinguer de la vieille Europe. Aujourd’hui, Donald Trump est dans cet état d’esprit. Il ne veut pas avoir à gérer des conflits qui n’ont, selon lui, rien à voir avec les Etats-Unis.

Il ne veut pas être lié à ces conflits, mais d’un autre côté, il se présente comme l’homme qui les résoudra…

Les résoudre oui, mais uniquement dans le but de défaire les Etats-Unis de cette contrainte matérielle et financière. Il habille cette volonté d’un discours pacifiste. Davantage encore qu’il espère véritablement obtenir le Nobel de la paix. Sauf que cette paix, il ne la pense qu’à l’aune des intérêts américains. Et pour l’obtenir, il est prêt à céder à Vladimir Poutine des bouts de territoires ukrainiens, d’acter la démilitarisation de l’Ukraine et de contraindre Kiev à renoncer à toute entrée dans l’Union européenne ou dans l’Otan. Mais cette vision ne prend pas en compte une donnée pourtant non négligeable selon laquelle la guerre en Ukraine profiterait énormément à l’industrie d’armement américaine. Un rapport d’un think tank républicain pointe le fait que l’arrêt du conflit en serait une perte financière grave pour l’économie outre-Atlantique.

Ainsi, ses menaces d’annexion du canal de Panama, du Groenland, et même du Canada ne seraient rien d’autre qu’une composante de sa stratégie de dissuasion ?

Je doute qu’il ait une vision claire de ces différents dossiers. Ce pourrait être en effet une façon de négocier d’égal à égal avec Poutine. On a tendance à l’oublier, mais lors de son premier mandat, Trump avait été en quelque sorte humilié par Poutine. Maintenant qu’il est de retour aux commandes, il veut négocier d’homme fort à homme fort. Il ne faut toutefois pas négliger l’importance de l’autre versant de la politique étrangère de Donald Trump. À côté de l’isolationnisme figure l’impérialisme. Constatant les velléités de reconstruction des grands empires – russe et chinois notamment – le nouveau président s’interroge : “Que reste-t-il de l’empire américain ? Pourquoi le Canada, qui est un pays voisin, n’est-il pas dans notre giron ? Le Groenland, étant géographiquement plus proche des Etats-Unis que du Danemark, pourquoi ne nous appartient-il pas ? D’autant qu’il déborde de ressources naturelles et constitue un enjeu stratégique majeur. Concernant le canal de Panama, il estime que l’influence chinoise y gagne trop de terrain, que les péages sont trop chers, ce qui nuit aux intérêts américains. Or, il ne résonne qu’en termes d’intérêts, et notamment d’intérêts marchands.

L’idée d’en finir avec les guerres pour laisser place au doux commerce, n’est-ce pas l’essence même des Etats-Unis ?

Oui, mais il s’agit là d’une vision idyllique et illusoire, davantage encore dans une économie totalement interconnectée. Prendre des mesures protectionnistes unilatérales – comme il le fait avec les droits de douane – conduira forcément à des mesures de rétorsions qui porteront un coup aux Etats-Unis. En interne, les consommateurs américains souffriront de ces mesures protectionnistes puisque les entreprises répercutent cette hausse des droits de douane sur le prix des produits. En outre, sur le plan purement géopolitique, se retirer des conflits, n’empêchera pas que les instabilités régionales aient des répercussions aux Etats-Unis. Un Moyen-Orient en effervescence par exemple, avec un conflit ouvert avec l’Iran, aurait des répercussions évidentes sur l’économie américaine. Le fait que Donald Trump ne prenne pas en compte cette notion d’interdépendance économique et géopolitique est en ce sens inquiétant.

En outre, il est totalement hermétique au système de valeurs. Pour lui, il n’y a que des intérêts, ceux des Etats-Unis, et les siens en particulier. L’ennui est que les peuples réagissent également en fonction de leurs convictions et de leurs émotions, liées à leur histoire, et on ne peut pas considérer les intérêts indépendamment des valeurs communes qui fondent les démocraties. Les traités sont d’ailleurs aussi fondés sur un système d’alliances, qui sont elles-mêmes fondées sur ces valeurs communes. L’Otan, par exemple, s’est constitué sur un idéal démocratique et un système d’entraides. Avec Donald Trump, on a atteint le paroxysme de l’America First !

Donald Trump est-il le premier président des Etats-Unis à aller aussi loin dans l’America First ?

Probablement, oui. Depuis le début de l’Histoire américaine, il y a une volonté de rester un peu à l’écart. Mais ce souhait s’est systématiquement heurté au réel. Woodrow Wilson a été élu sur la promesse de ne pas engager les Etats-Unis dans ce qui n’était pas encore un conflit mondial [NDLR : la Première Guerre mondiale, 1914-1918], ce qu’il a fini par être contraint de faire. Une trentaine d’années plus tard, l’histoire s’est répétée avec Roosevelt. Même avant Pearl Harbor, tout le monde avait compris que les Etats-Unis ne pourraient pas rester longtemps en dehors du conflit. Les Américains se sont donc très souvent retrouvés obligés d’intervenir parce que des événements qui se produisaient à des milliers de kilomètres de leur territoire avaient des répercussions sur eux.

Quelles pourraient être à moyen terme les conséquences de cet America First ?

Le Canada a fait savoir qu’en cas d’augmentation des droits de douane, il répliquait en imposant aux produits américains des tarifs équivalents. Les échanges commerciaux entre les deux pays étant pratiquement à égalité, cette mesure aura donc des répercussions directes aux Etats-Unis. Quant à l’Europe, elle a du mal à parler d’une même voix. Deux discours s’opposent : ceux qui voient le retour de Donald Trump comme un électrochoc, une occasion pour l’Europe de muscler sa politique commerciale et de développer enfin une défense commune pour pallier le retrait américain.

D’autres, qui tiennent un discours plus pessimiste, estimant qu’il est trop tard pour rivaliser face à l’empire commercial que sont les Etats-Unis. Je pense que les initiatives hors cadre UE, communes à plusieurs pays européens, mais en nombre réduit, seraient plus efficaces. Une chose est sûre : sur de nombreux sujets, comme sur le numérique par exemple, l’Europe doit répondre non pas seulement par des régulations comme elle a tendance à le faire, mais par des initiatives de création, avec de véritables plans d’investissement.

En privilégiant une logique purement centrée sur les intérêts américains, Donald Trump ne risque-t-il pas de se mettre à dos ses plus proches alliés, comme Giorgia Meloni, qui verrait d’un très mauvais œil une hausse des taxes sur les produits italiens, ou encore Javier Milei, pour qui les droits de douane ne sont qu’un accélérateur d’inflation ?

Donald Trump utilise les droits de douane comme une arme politique. Ses annonces sont des coups de bluff pour engager des négociations et se donner l’avantage. Il déteste les négociations multilatérales et les alliances contraignantes. Les pays européens ont besoin des Etats-Unis, de même que Washington a besoin des pays européens. Il veut donc entamer des parties de bras de fer avec chacun. S’il n’y a pas d’initiative commune, ce sera à chacun de savoir réagir. En Californie, lorsque vous vous aventurez dans le désert, des petites pancartes vous indiquent ce qu’il faut faire si vous rencontrez un coyote : faire face, écarter les bras, bomber le torse, se faire plus grand que vous ne l’êtes, pour le faire reculer. Face à Trump, il faut adopter la méthode du coyote, ce qui ne veut pas dire employer sa brutalité. Il faut se faire grand.




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