Il s’agit de l’une des nominations les plus symboliques de la nouvelle administration américaine. Kash Patel, fidèle parmi les fidèles de Donald Trump, a été choisi pour prendre la tête du FBI, l’agence honnie par le président républicain. Un choix ressemblant en tout point à une vengeance : Kash Patel, proche des thèses conspirationnistes QAnon et convaincu qu’un “Etat profond” de gauche complote pour renverser le camp Trump, n’avait cessé de répéter durant la campagne sa volonté de poursuivre tous ceux qui avaient voulu se mettre en travers du chemin du milliardaire, journalistes et membres de l’administration Biden compris.
Mais Kash Petel n’est pas encore à la tête du FBI. Sa nomination doit encore être approuvée par le Sénat, où il a été auditionné le jeudi 30 janvier dernier. Il fallait donc un dirigeant par intérim de l’agence fédérale, qui devait en principe être Robert Kissane, l’un des plus importants agents antiterroriste de l’agence à New York. Celui-ci devait être secondé par un certain Brian Driscoll, en charge du bureau de Newark, dans le New Jersey, depuis moins d’une semaine seulement. Mais peu après l’investiture de Donald Trump, la Maison-Blanche publie l’inverse sur son site Internet : Brian Driscoll à la tête du FBI, et Robert Kissane directeur adjoint. Une erreur qui n’a pas été corrigée par la Maison-Blanche, comme le raconte le New York Times, et voilà ainsi l’agent Driscoll propulsé à la tête de l’une des institutions les plus influentes du pays.
Un refus d’obéir à l’administration Trump
Conséquence de cette bévue pouvant apparaître anecdotique, le camp Trump se retrouve aujourd’hui à devoir affronter un adversaire farouche. Car si Kash Patel a promis dans son audition au Sénat que “tous les employés du FBI seront protégés contre les représailles politiques”, c’est tout l’inverse qui semble déjà se produire. Le ministère de la Justice américain a ainsi demandé dès le lendemain à la direction de l’agence de renvoyer huit hauts responsables. Mais aussi et surtout de recevoir le nom et les fonctions de plus de 6 000 employés du FBI ayant participé aux enquêtes sur les émeutes du 6 janvier 2021 et l’assaut du Capitole par les partisans de Donald Trump, laissant présager le début de la purge tant annoncée durant la campagne présidentielle.
Mais c’était sans compter la résistance d’un homme, que rien ne prédestinait à occuper un tel poste : Brian Driscoll. Surnommé “Drizz” par ses proches, qui le comparent allègrement au capitaine Jack Sparrow du film “Pirates des Caraïbes”, avec ses cheveux mi-longs bouclés et sa moustache, ce dernier fait usage de tout son pouvoir pour ralentir l’action de la nouvelle administration. Dans un courrier aux employés du FBI, il a ainsi affirmé qu’il avait bien accédé à la demande du ministère de la Justice. Mais que les agents n’avaient été identifiés que par leur titre, leur bureau et leur rôle, et non par leur nom, la demande centrale de l’administration Trump.
#ICYMI: Acting Director Brian Driscoll recently spoke at a National Sheriffs’ Association roundtable, highlighting the #FBI‘s efforts in New Orleans and at both U.S. borders while stressing the importance of partnerships. pic.twitter.com/KJVcRDmbY3
— FBI (@FBI) February 6, 2025
Dans un message ayant beaucoup circulé au sein du personnel du FBI et relayé par NBC News, un employé a résumé la situation ainsi : “En clair, le ministère de la Justice est venu et a voulu licencier un groupe d’agents ayant travaillé sur le 6 janvier. Driscoll est une bête. Il a tenu bon et a dit au ministère de la Justice, mandataire du gouvernement, d’aller se faire f***re”.
Lui-même concerné par la possible purge
De quoi lui valoir des procès en “insubordination” de la part du ministère de la Justice, et de nombreuses rumeurs de licenciement. Mais Brian Driscoll est bel et bien toujours à la tête du FBI, et semble déterminé à utiliser ses pouvoirs intérimaires jusqu’à la dernière minute. Vétéran au sein du FBI, sa carrière de plus de 15 ans au sein de l’agence fédérale l’aura notamment vu intégrer l’équipe de libération des otages, avec des opérations périlleuses en Irak, en Afghanistan ou encore en Syrie. Chris O’Leary, un ancien haut responsable de la lutte contre le terrorisme à New York ayant travaillé avec lui, a loué son expérience auprès du New York Times, affirmant que “ce dont le FBI a le plus besoin, c’est d’un leader qui a des principes, et nous en avons un avec lui”.
Surtout, il est lui-même concerné par cette purge qui semble en passe de s’opérer au sein du FBI. Brian Driscoll avait en effet participé à l’arrestation de Samuel Fisher, un adepte de la théorie QAnon, retrouvé à Manhattan près de deux semaines après l’assaut du Capitole avec plusieurs armes à feu et plus d’un millier de munitions. Condamné à trois et demi de prison après avoir plaidé coupable pour possession d’arme illégale, mais aussi pour avoir pénétré illégalement dans le Capitole le 6 janvier 2021, Samuel Fisher fait partie des personnes graciées par Donald Trump depuis sa prise de fonction le 20 janvier dernier.
La “résistance discrète”
Brian Driscoll semble donc être devenu “le symbole improbable de la résistance discrète” contre la nouvelle administration Trump et sa volonté de châtier tous ceux qui s’étaient opposés à elle, écrit ainsi le New York Times. Au sein du FBI, il est devenu en l’espace de quelques semaines une forme de héros, plusieurs employés le qualifiant d'”erreur providentielle”. Des montages réalisés circulent au sein du FBI, le représentant en Saint patron veillant sur ses employés, ou encore en Batman luttant dans l’ombre contre le “Département de l’efficacité gouvernementale” d’Elon Musk.
Mais Brian Driscoll risque de n’être qu’un retardateur de l’inévitable prise de contrôle du camp Trump. Sauf retournement surprise, Kash Patel prendra bien la tête du FBI dans les prochaines semaines, avec un Sénat à majorité républicain qui ne semble en aucun cas motivé à se mettre en travers du chemin du président américain et de son administration.
L’objectif du directeur par intérim du FBI est peut-être toutefois ailleurs. Selon NBC, les agents de l’agence fédérale auraient été “encouragés” par l’action de Brian Driscoll, qui, en rendant public les ordres reçus de Washington, aurait surtout voulu chercher à mobiliser le personnel et le grand public à propos des projets de l’administration Trump. Ainsi, neuf agents du FBI ont lancé ce mardi une procédure judiciaire pour empêcher le ministère de la Justice de collecter des informations sur les personnes impliquées dans les anciennes enquêtes visant Donald Trump, dénonçant une “purge” orchestrée par le président en guise de “représailles”. Si cela n’a jusqu’ici pas freiné le nouveau président américain, il devra batailler pour arriver à ses fins.
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