Délais de vente, évolution des taux, marges de négociation… Thomas Lefebvre, le directeur scientifique de Se Loger-Meilleurs Agents, dresse l’état des lieux d’un marché immobilier fortement chahuté l’an dernier. Si le pire semble passé, l’avenir n’est pas encore au beau fixe.
L’Express : Comment s’est comporté le marché immobilier en 2024 ?
Thomas Lefebvre : Il est très compliqué de faire un bilan univoque, car la conjoncture immobilière a été mouvante et elle a changé tout au long de l’année. Une chose est sûre : l’année dernière a été la pire depuis longtemps. Le point bas du cycle baissier, en termes de volume et de prix, a été enregistré au premier semestre. Depuis septembre, en revanche, nous constatons un retour des acquéreurs et un léger accroissement du nombre de ventes.
Comme le marché immobilier reprend un peu de vigueur, les prix sont entrés dans une phase de stabilisation. Cette bonne nouvelle est surtout due à une meilleure conjoncture financière, car les particuliers empruntaient autour de 4,30 % sur vingt ans début 2024, contre 3,50 % en moyenne à la fin de l’année. La baisse des taux de crédit leur a permis de retrouver du pouvoir d’achat et, mécaniquement, le nombre de ménages solvables a augmenté. Les banques ont alors distribué davantage de crédits, ce qui a contribué à faire repartir les transactions.
Pour autant, si le marché immobilier se porte mieux au niveau global, il existe une forte hétérogénéité à l’échelon local. Dans les villes où le pouvoir d’achat a été le plus contraint, c’est-à-dire celles où les prix ont évolué plus vite et plus fort que le budget des acquéreurs, la crise a été plus marquée. Les baisses des prix et des ventes y ont été plus importantes que la moyenne nationale. A titre d’exemple, entre 2015 et 2022, les prix des appartements ont progressé de 50 % à Lyon et de 52 % à Nantes. Or, dans le même temps, la baisse historique des taux de crédit, à moins de 1 % sur vingt ans, a permis un gain moyen de pouvoir d’achat d’environ 30 %. Le “surplus” de hausse est donc assimilable à une bulle immobilière, qui est en train de dégonfler aujourd’hui. Pour preuve, entre 2022 et 2024, le prix des logements dans ces deux villes a chuté respectivement de 13 et 12 %.
Cette analyse ne vaut-elle que pour les grandes métropoles ?
Non, car juste après les périodes de confinement, les villes moyennes situées à proximité d’un bassin d’emploi ont vu leur attractivité exploser. Elles ont attiré en masse les ménages à la recherche de logements plus spacieux ou de maisons avec jardins à des tarifs plus accessibles. Face à une demande totalement euphorique et une offre qui n’avait pas évolué et restait relativement faible, les prix ont grimpé très rapidement. Ce phénomène d’emballement a pris fin dès que les taux d’intérêt ont remonté, car le pouvoir d’achat des acquéreurs a alors fortement diminué, entraînant un effondrement de la demande.
Aujourd’hui, le marché immobilier de ces villes moyennes patine, avec des baisses de prix parfois sévères, comme c’est le cas à Rouen ou Saint-Etienne. En revanche, les agglomérations qui ont subi un emballement moindre connaissent plutôt un atterrissage en douceur de leur marché. Les prix s’y érodent doucement, de mois en mois, et ce phénomène va continuer jusqu’à ce que l’offre et la demande retrouvent leur équilibre.
Qu’en est-il dans le neuf ?
Sur ce marché, les prix n’évoluent pas comme dans l’ancien. La construction s’inscrit dans le temps long : il faut plusieurs années entre le moment où un programme de logements neufs est envisagé et celui où il sort de terre. Avec la crise de ces dernières années, les promoteurs se sont retrouvés pris en tenaille. D’ordinaire, ils déterminent le prix de vente de leurs logements en fonction du coût du foncier, des matériaux et de la main-d’œuvre. Or, les trois ont fortement augmenté après la pandémie du Covid et le déclenchement de la guerre en Ukraine.
Cette triple contrainte a entraîné une hausse du prix des logements neufs mis en vente au moment même où les taux d’intérêt grimpaient. Les logements en construction sont alors devenus inaccessibles et les rares acquéreurs qui disposaient d’un budget suffisant pour devenir propriétaires ont souvent privilégié l’ancien, devenu plus abordable. Le marché du neuf s’est alors complètement retourné. La crise que traverse le secteur aujourd’hui est cataclysmique : dans certaines villes, le volume de ventes s’est effondré de près de 90 %.
Actuellement, beaucoup de promoteurs ont cessé toute mise en chantier et le nombre de transactions ne remonte pas. Pire encore : si le marché de l’accession dans le neuf reste bloqué, celui de l’investissement a complètement disparu. C’est la première fois en près de quarante ans qu’aucune loi de défiscalisation ne permet de soutenir l’investissement locatif privé dans le neuf, puisque le dispositif Pinel a pris fin le 31 décembre 2024. Cette absence risque d’amplifier la pénurie de logements à louer dans les années à venir.
Le marché locatif a-t-il échappé à la crise ?
Bien au contraire : les tensions que les professionnels de l’immobilier constataient depuis quelques années se sont amplifiées. Aujourd’hui, le marché locatif traverse une crise sans précédent, partout en France et particulièrement dans les grandes villes. La raison ? Tous les ménages qui n’ont pas pu acheter ces deux dernières années sont restés locataires, ce qui a entraîné un assèchement de l’offre, avec une baisse moyenne de 25 % des annonces de mise en location. Dans le même temps, la demande a fortement augmenté, notamment celle des jeunes actifs et étudiants, et elle peine à être satisfaite.
Pourtant, paradoxalement, grâce à la baisse des prix et la hausse moyenne des loyers, l’investissement locatif offre en 2025 une rentabilité supérieure à ce qu’elle était il y a quelques années. A Paris, par exemple, un logement rapporte en moyenne 4 % brut, contre 3 % environ en 2020. Mais beaucoup de particuliers hésitent à investir dans la pierre pour louer, car le cadre légal et fiscal n’est pas clair et surtout très instable. L’année 2025 va donc encore être une année compliquée pour les locataires, même si la pénurie va se desserrer au fur et à mesure que les volumes d’achat vont repartir.
Qu’anticipez-vous dans les mois qui viennent ?
Le marché immobilier semble sortir de l’ornière. Si le scénario financier prévu, avec une stabilisation des taux d’emprunt autour de 3 % en mars ou avril, se déroule comme prévu et que les banques continuent de prêter, le volume de transactions repartira légèrement. Mais l’incertitude qui règne sur l’évolution du marché du crédit nous rend prudent. Début 2025, le taux des OAT – les Obligations assimilables au Trésor -, qui conditionne celui des crédits immobiliers, a fait le yoyo en passant de 2,8 à 3,5 % en quelques jours, avant de redescendre. La reprise est donc fragile, d’autant que le contexte macroéconomique et politique, à l’échelle nationale et mondiale, est très incertain. Ce contexte pourrait remettre en question l’atterrissage des taux.
Par ailleurs, même si le marché immobilier se porte mieux, nous constatons toujours des délais de vente importants. Malgré des prix globalement plus cohérents, surtout dans les grandes métropoles où ils sont davantage en phase avec la nouvelle donne de marché, les marges de négociation restent élevées. Elles sont aujourd’hui entre 5 et 6 % en moyenne, mais peuvent atteindre jusqu’à 10 % pour certains logements sans atouts particuliers et avec des travaux. Aujourd’hui, les acquéreurs ont une connaissance plus fine du marché et ils font très attention à ne pas acheter à des prix surestimés. D’autant que ceux qui sont les plus actifs sont en très nette majorité des secundo-accédants, c’est-à-dire des personnes qui revendent un logement pour en racheter un autre.
Les primo-accédants, qui étaient très nombreux lorsque le marché était euphorique, ont quasiment disparu. Quant aux investisseurs, qui représentaient près de 20 % des transactions durant la période faste, ils sont devenus rares. Il est donc nécessaire de les faire revenir, en développant des aides efficaces pour les encourager à acheter, et en lançant un nouveau mécanisme simple pour soutenir l’investissement locatif.
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