Les vaches ont un organisme dichromatique. Leurs rétines sont dépourvues de récepteur rouge, ce qui les rend plus ou moins daltoniennes. Un débat a existé chez les scientifiques, mais ces derniers l’ont finalement tranché il y a de cela quelques années : les yeux des bovins ne perçoivent que des variations de jaune et de bleu. Ce mardi 25 février, peu avant 10 heures ce matin, Oupette, 6 ans, l’égérie de cette nouvelle édition du Salon international de l’Agriculture, a donc vu s’avancer vers elle une masse turquoise, un brin floue… qui n’était autre que Marine Tondelier, la secrétaire nationale des Ecologistes, arborant pour l’occasion l’une de ses deux vestes vertes, la version flashy. Passage obligé, la patronne d’Europe Ecologie-Les Verts s’est pliée à la traditionnelle photographie dans l’enclos. Petite caresse sur la tête de la plus belle des Limousines du salon, échange prolongé avec son éleveur… Les écolos sont certes les amis des bêtes. Pourquoi ne pas devenir ceux des agriculteurs ?
Marine Tondelier et sa brochette d’écolos ruraux, conviés spécialement pour la grand-messe annuelle, observent donc les exposants avec leurs plus beaux yeux : ceux de la convoitise. Il faut dire qu’un an après la crise agricole, durant laquelle les Verts ont été érigés en épouvantail du monde paysan, la profession demeure hostile à cette formation politique, souvent perçue comme donneuse de leçons ou trop éloignée des enjeux propres aux campagnes. L’intéressée s’en défend : “Je suis venue vous dire qu’il y a 200 fermes qui disparaissent par semaine dans ce pays, 10 000 par an, et que ça ce n’est pas la faute des écologistes, affirme celle qui est également petite-fille d’agriculteur. On a l’impression de servir de bouc émissaire […]. Je précise que dans l’histoire, les boucs émissaires sont par principe innocents”, poursuit-elle, avant de fustiger la nouvelle loi d’orientation pour la souveraineté agricole. Autour de la patronne, le député-paysan Benoît Biteau, la parlementaire de la Drôme Marie Pochon à l’initiative de la proposition de loi – adoptée – visant à garantir un revenu digne aux agriculteurs, opinent du chef.
Dernièrement, les écolos aiment d’ailleurs brandir un sondage selon lequel ils seraient les deuxièmes “meilleurs alliés des agriculteurs” derrière le RN – peu reluisant dans le détail puisque seuls 32 % des interrogés estiment que les Verts défendent les intérêts de la profession. Et dans les travées du salon, les écologistes demeurent clivants. “C’est qui ?” Les visiteurs, interloqués par la nuée de micros tendus, laissent parfois échapper quelques insultes lorsqu’ils reconnaissent Marine Tondelier.
“Moi au moins je ne te mangerai pas, je suis végétarienne”
Mais face aux caméras, la déambulation a des allures de promenade de santé. Finie la castagne : la numéro 1 du parti au tournesol a déjà réglé ses comptes la veille, dans une visite un peu plus discrète (les médias n’ont pas été prévenus), avec la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA) et la Coordination rurale (CR). Exit aussi les questions sur l’actualité de son parti, notamment au sujet des soubresauts de “l’affaire Bayou”. Au programme donc, les écolos refont le monde (agricole). Ici la visite d’une coopération laitière pour parler, entre autres, fixation des prix de vente, et séance photo brique de lait à la main ; là quelques clichés, cosse du Lot dans les bras, et l’occasion de susurrer à l’agneau quelques mots doux : “Moi au moins je ne te mangerai pas, je suis végétarienne.” Ou encore une rencontre avec une association qui défend les races locales de bovins. “Quand vous votez des lois, pensez aux PME et aux TPE !”, la rattrape un exposant dans l’allée. Et Marine Tondelier de lui tendre sa carte, comme aux autres : “Si quelque chose ne vous convient pas, appelez-moi.” La patronne des écolos passera aussi une tête au stand de la Confédération paysanne, syndicat agricole de gauche promouvant une agriculture paysanne respectueuse de l’environnement. Et ira tout de même échanger avec les Jeunes Agricultures (JA), réputés proches de la FNSEA. Un peu d’altérité ne fait jamais de mal.
Le contexte actuel, les récentes élections des chambres d’agriculture, ainsi que les échanges nourris avec les différents exposants ont renforcé Guillaume Gontard, patron des sénateurs écolos, dans ses convictions. “Les faits nous donnent raison, petit à petit. Mais l’image des écologistes n’est pas simple. Je viens d’un territoire rural, et quand j’interpelle les gens là-bas, et que je leur précise que je suis écolo, ils me disent ‘Toi c’est pas pareil !’. En fait, beaucoup ne regardent pas réellement ce que nous proposons.” Les écologistes ne prêtent-ils pas, parfois, le flanc aux critiques ? “Les préjugés sont nourris d’un côté comme de l’autre”, admet Marie Pochon. La direction du parti va mettre à disposition des organisations syndicales, de la presse agricole, et de ses adhérents un sondage pour “comparer ce que les agriculteurs perçoivent des écologistes et la réalité de ce que l’on porte”, dixit l’entourage de la secrétaire nationale. Face aux clichés, les écolos veulent objectiver leur constat.
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