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Donald Trump est-il plus bête qu’un chimpanzé ? Par Gérald Bronner


Tout le monde le sait, Donald Trump a une interprétation bien à lui de la façon d’exercer le pouvoir : la brutalité. C’est vrai dans tous les domaines : le commerce – avec l’augmentation faramineuse des droits de douane –, l’immigration ou même encore les questions géopolitiques, avec ses déclarations sur la bande de Gaza qui pourrait devenir une “formidable zone touristique” et la façon qu’il a choisi de tenter de régler la guerre entre l’Ukraine et la Russie.

Les voies de Trump ne sont pas si impénétrables que cela : il paraît faire une analogie grossière entre les négociations commerciales – dont il a eu l’habitude avant qu’il ne se lance en politique – et la façon de diriger les Etats-Unis. Une tractation, dans le domaine marchand, est toujours sous-tendue par un rapport de force : les valeurs morales, l’orgueil, les conjectures à moyen et long termes ne sont que d’un médiocre secours. Business as usual.

Donald Trump a-t-il tort de se comporter de cette manière ? Après tout, les Etats-Unis sont encore la première force mondiale. Pourquoi se priverait-il ? Par chacune de ses décisions, il a l’air de nous demander : et qu’allez vous donc faire ? Dans l’immédiat, c’est vrai, chacun des acteurs partenaires des Etats-Unis a beaucoup à perdre et c’est à peu près tout ce que le 47e président américain a dans sa manche.

Comportement stratégiques

Cependant, seuls les esprits court-termistes peuvent croire que, lorsqu’il y a une opportunité, il y a toujours lieu de l’exploiter immédiatement. Cette voracité du pouvoir, même les chimpanzés, qui appartiennent pourtant à une espèce très hiérarchique et agressive, ont appris à s’en méfier. Car oui, il y a de la politique chez nos lointains cousins, et même des formes de comportements stratégiques. C’est ce qu’a démontré l’une des stars de la primatologie mondiale, Frans de Waal, dans nombre d’articles scientifiques tirés d’observations de terrain et qu’il a synthétisé dans un livre, La Politique du chimpanzé.

Que nous y apprend ce chercheur néerlandais ? Dans tous les groupes de chimpanzés, il existe des “cliques” d’individus fondées sur des affinités électives plutôt que sur une proximité familiale, et ceux-ci sont capables de se liguer, si l’un d’entre eux est attaqué, contre le mâle dominant lui-même. C’est tellement vrai qu’aucun membre, si fort soit-il, ne peut devenir prééminent dans son groupe s’il ne dispose de son propre réseau d’alliances fiables.

Aucun “mâle alpha” n’est assez puissant pour s’imposer par la seule domination aveugle sans jamais tenir compte des dommages que pourrait faire une coalition hostile à son règne. Et ce d’autant que le chimpanzé a de la mémoire. Comme le souligne le sociologue Laurent Cordonier dans son livre La nature du social à propos des relations simiesques : “Un individu qui se fait rudoyer par un autre membre du groupe est capable d’attendre que se présente une situation favorable avant de lui rendre la pareille.”

Maladie auto-immune

En se comportant de façon aussi brutale, Trump n’élève pas sa politique au-dessus de la subtilité d’un mâle dominant chimpanzé, au contraire. Il croit que celui qui détient la force aujourd’hui ne doit jamais se préoccuper de ses faiblesses futures. Mais qu’a-t-il à craindre, pourrait-il se demander en martelant de ses poings son torse vindicatif ?

Il pourrait, d’abord, susciter à son détriment des alliances contre-nature que, hier encore, personne n’aurait imaginées. Ensuite, il pourrait durablement abîmer le soft power américain, une des armes majeures de ce pays : par exemple, quelles seront les conséquences, ne serait-ce qu’en termes d’image, du gel de l’activité de l’Agence américaine pour le développement ?

Enfin, les nombreuses décisions antisciences du 47e président des Etats-Unis vont faire un tort difficilement réversible à un écosystème de recherche toujours fragile. Il n’est qu’à citer la réduction de 4 milliards de dollars imposée à la recherche médicale au cours de ce mois de février.

La vraie question qui va émerger des cendres de la situation portera sur la nature même de la démocratie. Après tout, Trump a été légitimement élu. Il n’en reste pas moins l’exemple inquiétant d’une maladie auto-immune d’un système politique que nous chérissons.

*Gérald Bronner est sociologue et professeur à La Sorbonne Université.




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