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Même le prix du riz flambe : pourquoi le Japon est frappé par le retour de l’inflation


Au pays du sushi, l’impensable est arrivé. Le riz, pilier de la cuisine nippone, vient à manquer. Le prix de la céréale a bondi d’environ 70 % sur un an en janvier, poussé par cette pénurie qui a débuté l’été dernier. Un contexte exceptionnel qui a conduit le gouvernement à débloquer ses réserves stratégiques en février.

A l’origine de cette secousse, un faisceau de facteurs. La faute, d’abord, à une météo capricieuse, qui a perturbé le rendement des récoltes. Puis l’alerte au séisme, en août dernier, et la crainte d’un manque ont provoqué des achats de panique et des spéculations. Enfin, le nombre de touristes a explosé, augmentant la demande. Des raisons plus structurelles expliquent aussi cette situation de crise. L’Etat japonais fixe un cadre strict pour l’importation de riz bon marché. Un choix “désastreux”, juge Marcel Thieliant, directeur pour l’Asie-Pacifique à Capital Economics. D’ailleurs, l’écart de prix s’est sensiblement creusé avec d’autres pays producteurs, comme la Thaïlande.

Inflation importée

Cet exemple illustre une réalité nouvelle pour un pays longtemps prisonnier d’une spirale déflationniste : le retour de l’inflation. “Le riz est un des rares secteurs où le Japon est quasi autosuffisant, on aurait donc pu s’attendre à ce qu’il soit épargné par l’inflation, observe Célia Colin, économiste à Rexecode. Finalement, la hausse de son prix gonfle l’inflation alimentaire, qui pèse pour 26 % de l’indice des prix à la consommation.” A son plus haut niveau en deux ans, l’inflation japonaise a atteint 4 % en janvier. Inimaginable il y a encore quelques années.

A l’exception du riz, les racines de l’inflation nippone sont en réalité à chercher hors des frontières de l’archipel, dans la flambée des coûts à l’importation. Tributaire à près de 90 % du monde extérieur pour ses besoins en énergie, le Japon a subi de plein fouet la hausse des prix depuis le début de la guerre en Ukraine. Plus généralement, les importations de marchandises – notamment alimentaires – se sont renchéries sous l’effet de la perturbation des chaînes d’approvisionnement après la pandémie. Mais c’est surtout l’affaiblissement de sa monnaie qui a exacerbé ces coûts. En l’espace de trois ans, le yen a perdu plus de 20 % par rapport au dollar américain, alourdissant la facture pour de nombreux produits.

Ce levier, qui était un choix – le Japon a misé sur la dévaluation de sa monnaie pour stimuler ses exportations –, semble de moins en moins efficace. “La sensibilité des exportations à un yen plus faible a diminué. Cela s’explique en partie par l’évolution de leur structure, les entreprises japonaises ayant désormais leurs usines dans d’autres pays. Cette production n’est donc pas affectée par les variations monétaires”, pointe Takahide Kiuchi, économiste au Nomura Research Institute et ancien membre du conseil d’administration de la Banque du Japon.

Une nouvelle réalité

Dans ce virage inflationniste, la hausse des prix et celle des rémunérations n’ont pas suivi la même cadence. Si les négociations du printemps dernier ont abouti à un relèvement moyen des salaires de 5 % en nominal, ils ont décliné en termes réels – c’est-à-dire hors inflation – pour la troisième année consécutive. “Pour l’instant, le scénario souhaité d’une consommation tirée vers le haut par les salaires met du temps à se mettre en place. Ils ont augmenté plus lentement que les prix, ce qui pèse sur la demande”, regrette Motohiro Sato, professeur d’économie à l’université Hitotsubashi à Tokyo.

Les ménages, qui ont ainsi vu leur pouvoir d’achat s’effriter, s’ajustent progressivement à cette nouvelle donne. “Les consommateurs japonais sortent de vingt ans de traumatisme, durant lesquels ils ont été habitués à épargner et différer leurs achats en attendant que les prix baissent. Sortir de cette logique ne se fait pas aussi rapidement que le souhaiterait la Banque centrale”, remarque Jean-François Chambon, gérant de fonds actions japonaises senior chez Ofi Invest Asset Management.

Les entreprises, elles aussi, s’adaptent. “Pendant les deux décennies dites “perdues”, elles ont dû maîtriser leurs coûts et n’ont pas procédé à des hausses de rémunérations, rappelle Jean-François Chambon. De plus, les PME n’ont pas les moyens d’absorber ce coût supplémentaire dans l’immédiat, elles attendent un effet de ruissellement de la part des grands groupes qui se fournissent auprès d’elles.”

Le dilemme de la BoJ

Dans ce contexte, la Banque du Japon (BoJ) se livre à un numéro d’équilibriste. C’est bien sa politique monétaire très (trop ?) accommodante qui a conduit à la situation actuelle. Mais elle joue à contretemps. Quand la Réserve fédérale américaine, la Banque centrale européenne et d’autres institutions relevaient leurs taux pour parer l’inflation galopante, elle temporisait, espérant sortir – enfin – du piège déflationniste. Aujourd’hui, alors que ses homologues ont amorcé un assouplissement, la BoJ pourrait encore serrer la vis.

La difficulté : prolonger la sortie de la déflation sans freiner la demande – et donc la croissance – par une hausse de taux trop rapide. D’autant que le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche ajoute de l’incertitude. “La politique commerciale américaine menace de peser davantage sur les exportations tout en exacerbant la faiblesse du yen”, pointe Michael Wolf, économiste à Deloitte aux Etats-Unis, dans une note. A Tokyo, certains s’inquiètent à l’idée que les droits de douane imposés par Donald Trump ne provoquent une reprise de l’inflation aux Etats-Unis, ce qui pousserait la Fed à ne pas poursuivre sa baisse de taux. Une manœuvre à même d’accentuer encore la force du billet vert face au yen, poussant le Japon à un durcissement monétaire. Selon les projections de Marcel Thieliant, les taux japonais pourraient avoisiner les 2 % en 2030, contre 0,5 % aujourd’hui.

De l’inflation, et après ?

Le tableau n’est toutefois pas si sombre. Malgré les questions qu’elle soulève à court terme, la hausse des prix est en réalité accueillie comme une bonne nouvelle au Japon. Elle est synonyme de reprise. En novembre dernier, le gouverneur de la BoJ, Kazuo Ueda, saluait d’ailleurs “un redressement modéré de l’économie”. En parallèle, l’inflation nourrit l’espoir d’un redressement des finances publiques – une fragilité du pays – car elle fait reculer le ratio d’endettement national, qui dépasse actuellement les 240 %, en augmentant le PIB nominal. De son côté, le FMI s’attend à une accélération de la croissance en 2025, escomptant un renforcement de la consommation privée.

Quelques signes encourageants se font d’ores et déjà sentir : la demande des ménages s’est redressée en décembre, augmentant de 2,7 % sur l’année. Le Japon peut aussi compter sur les dépenses des visiteurs étrangers : la baisse du yen réjouit les touristes, toujours plus nombreux – près de 37 millions en 2024. Un chiffre que le gouvernement souhaite porter à 60 millions d’ici à 2030.

L’inflation, certes, s’est accélérée. Mais il y a peu de risques qu’elle devienne incontrôlable. “Il y a plusieurs facteurs de long terme – comme le déclin démographique – qui tirent les prix à la baisse, si bien que l’on ne s’inquiète pas d’un emballement de la boucle prix-salaires”, explique Célia Colin. D’autant que les prix du riz devraient dégonfler : grâce aux volumes de la réserve stratégique, des consommateurs qui pourraient se tourner vers des céréales alternatives et une possible hausse des importations, les experts de Capital Economics prédisent une baisse de 30 % d’ici le début de l’année prochaine, de quoi réduire l’inflation globale de 0,6 point. Tokyo a peut-être enfin trouvé la bonne recette.




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