* . * . * .

Prix de l’innovation des personnalités Sciences et santé : Sarah Watson, l’IA pour déjouer des cancers rares


L’Express a placé la défense de la rationalité au cœur de son ADN. C’est pourquoi, chaque semaine, nous mettons en lumière les bénéfices qu’apporte la recherche à la société, sans jamais hésiter, non plus, à apporter notre contribution à la lutte contre la désinformation scientifique. Nous avons choisi, cette année encore, de prolonger cet engagement en soutenant des chercheurs qui partagent ces combats grâce à un événement dédié : la remise des Prix des personnalités Sciences et santé.

Le portrait de Sarah Watson pourrait commencer par une scène de son quotidien à l’Institut Curie à Paris, où elle travaille. Le texte, plein d’éloges – il en faut, pour décrire le personnage – parlerait alors d’une “scientifique, médecin et en même temps, chercheuse se hâtant dans les couloirs blafards de l’hôpital, masque sur la bouche, lunettes rondes sur le nez”. On la lirait en action, griffonnant des comptes rendus médicaux avant d’aller voir ses patients.

Revivez l’intégralité du Colloque Sciences et Santé de L’Express 2025 ici

Pareille amorce serait réaliste, mais quelque peu réductrice. Décrire Sarah Watson en professionnelle religieusement investie dans son travail n’est pas faux, mais passe à côté d’une des clés pour comprendre la réussite de la jeune femme : profondément “anticonformiste” – elle le dit elle-même – la scientifique n’a de cesse de surprendre, de casser les codes, faisant d’elle une pionnière en son domaine.

A 39 ans seulement, cette cancérologue a développé une intelligence artificielle (IA) capable de reconnaître le profil cellulaire d’une tumeur, et surtout, son organe d’origine. Une avancée majeure : ces informations sont essentielles pour déterminer les traitements à administrer contre un cancer. Jusqu’à présent, en France, environ 7 000 patients se trouvaient chaque année sans solution thérapeutique, parce que les médecins n’arrivaient pas à savoir dans quelle partie de leur corps la maladie était née. Très vite, de nombreux ont adopté l’outil, dans l’espoir de pouvoir les soigner.

Des années de vie supplémentaire

Avec son IA, Sarah Watson prouve qu’il est possible d’agir contre les “sarcomes à primitif inconnu”, les cancers de sa spécialité. Personne n’osait y penser auparavant. “On parle d’années de vies supplémentaires pour certains patients gagnées grâce à notre technologie. C’est beaucoup, pour ce type de maladies.” La jeune spécialiste démontre également que conjuguer recherche et soin est possible. Ses professeurs étaient septique. Elle a su les convaincre, à force de travail. L’Institut Curie lui a fait une dérogation. ” Il me fallait garder du “vrai” dans mon métier, construire une relation avec le malade”, raconte cette grande empathique.

Son projet d’intelligence artificielle est né en 2018, d’une rencontre. L’un de ses étudiants, Julien Vibert, très intéressé par les nouvelles technologies, lui parle des avancées de l’IA, et de ses potentielles applications en santé. La scientifique n’avait jamais touché à ce genre d’algorithmes ; Chat GPT n’existait pas. Le jeune homme lui propose de systématiser et d’automatiser ses recherches de pointe sur la composition moléculaire des tumeurs. Avec beaucoup de flair, et un certain sens de l’ouverture et de l’interdisciplinarité, Sarah Watson accepte.

Le duo s’échine à pianoter des heures, entassé dans le bureau sans fenêtres de la scientifique. La salle mesure en tout et pour tout neuf mètres carrés, elle est recouverte d’affiches de peintres, Van Gogh, Picasso, Nicolas de Staël, de Unes du New Yorker et de cartes postales. Sarah Watson ressort de vieux échantillons des réserves de l’Institut, les soumet à la machine. Devant ses premières preuves de concept, publiées en 2021 dans la revue scientifique Journal of Molecular Diagnostics, la chercheuse réalise à peine l’ampleur de leur découverte : “On s’est dit que, quand même, on tenait un truc intéressant”, se remémore-t-elle. On l’imagine célébrer son avancée en prenant une bouffée de la vapoteuse qui traîne près de son ordinateur.

Lorsqu’on l’interroge sur ses plus belles réussites, c’est une toute autre scène qu’elle évoque. Juin 2024, au Black Lab, une salle de spectacle lilloise. En plein concert de rock’n’roll, la chercheuse s’improvise speakerine sur scène, pour une soirée caritative. Voix claire, tee-shirt blanc et allure fière, elle se fait applaudir par plusieurs centaines de personnes. L’un des moments les plus importants de sa vie, dit-elle. Ce soir-là, elle recevait un chèque de 80 000 euros, récolté par un de ses patients, Charles Delobel.

Récolte de fond et rock’n’nroll

Leur collaboration est digne d’un mauvais téléfilm. Elle lui annonce le pire : un sarcome à primitif inconnu, stade avancé, très peu de chances de rémission. Lui n’en fait qu’à sa tête, refuse son sort et plaque tout pour un dernier pied de nez. Il se lance dans l’organisation de concerts caritatifs pour soutenir “cette docteure qui ne donne pas la sensation d’en être une, hyperaccessible, hyperhumaine, cash et simple”. Il est aujourd’hui le premier financeur de son laboratoire.

Lorsqu’il lui a parlé de l’idée, la chercheuse a accepté sans hésiter, gage de son goût pour l’aventure, qu’elle soit scientifique ou humanitaire, et d’un certain sens de la fête : “Sarah Watson est brillante à tout point de vue, mais cultive également une certaine originalité, une certaine liberté. Ce n’est pas la dernière à prolonger la soirée jusqu’à pas d’heure. Mais elle sera à l’heure le lendemain et aura fait son footing”, confie son chef, Steven Le Gouill, directeur de l’ensemble hospitalier de l’Institut Curie.

C’est ce même Charles Delobel qui permet à Sarah Watson de passer du simple prototype informatique à l’outil déployable. A l’époque, Sarah Watson n’en était qu’au début de ses travaux. Charles Delobel travaillait au sein du groupe de télécommunications Orange. Il connaît des développeurs en intelligence artificielle, sait où toquer pour obtenir des accès à la puissance de calcul nécessaire. La chercheuse sent qu’il faut le prendre au sérieux, accepte son aide. L’entreprise a depuis dépêché auprès d’elle deux de ses opérateurs à plein temps pour entraîner la machine à reconnaître des associations probantes parmi des millions de caractéristiques génétiques et moléculaires.

“Je ne sais pas comment elle fait pour s’impliquer autant, rester aussi proche de ses malades, tenir malgré les drames qui se jouent. C’est une énigme”, lance le patient, quand on lui parle de l’engagement de la scientifique. Disponible jusque très tard, elle ne manque pas d’adresser des petits mots à ses patients, les aider dans l’épreuve. Le métier est dur : à la fin, très peu d’entre eux survivent – ces types de cancers ont un pronostic de l’ordre de quelques mois tout au plus. “C’est pour ça que je fais de la recherche à côté, explique-t-elle. Pour me sentir utile, avancer, et changer à long terme ces mauvais résultats.”

Une IA très particulière

D’ordinaire, les scientifiques entraînent leurs IA sur un exercice et les corrigent si elles se trompent. Sarah Watson, elle, fait les choses à l’envers. “On a d’abord développé un algorithme capable de dire d’où venaient des tumeurs faciles à identifier et pour lesquelles nous avions la réponse. Puis on lui a soumis nos cancers mystérieux. La machine a sorti une réponse, dont on ne connaissait pas la fiabilité. Mais cela nous a permis de choisir un traitement et, lorsqu’on l’a attribué au patient, cela a fonctionné, sa maladie s’est mise à reculer”, raconte la chercheuse. Les spécialistes reproduisent l’expérience, une fois, puis deux, puis sur cinquante patients.

C’est peut-être cela le plus fou dans cette technique : encore aujourd’hui Sarah Watson ne sait pas si le résultat donné par la machine est le bon, si les cancers qu’elle teste viennent bien des poumons, du pancréas ou des reins, ni pourquoi l’algorithme aboutit à ce résultat. A la tête d’un comité de pilotage sur cette technique, la jeune femme travaille désormais à une nouvelle version de son algorithme. Elle tente d’augmenter sa fiabilité – 20 % des résultats sont encore incohérents. Et elle a déjà une nouvelle idée : “On pourrait faire de la rétro-ingénierie, c’est-à-dire étudier notre algorithme au lieu des cancers. Si l’on arrive à comprendre comment il donne ces résultats, peut-être pourra-t-on mieux comprendre la maladie.”

Un article de notre dossier spécial “Personnalités de L’Expresss Les Prix 2025 des sciences et de la santé”, publié le 13 mars.




Source
Exit mobile version