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Cyril Hanouna, Eric Zemmour ou Philippe De Villiers sont victimes du syndrome Rudolf Hess


En mai 1941, Rudolf Hess, idéologue zélé du nazisme, prend une décision aussi audacieuse qu’insensée. Secrètement, il s’envole seul à bord d’un Messerschmitt Bf 110 en direction de l’Ecosse. Son objectif ? Rencontrer le duc de Hamilton et négocier une paix séparée entre l’Allemagne et le Royaume-Uni, persuadé que Londres saisirait cette occasion inespérée. Enflammé par les victoires allemandes et l’optimisme hyperbolique qu’elles lui inspirèrent, celui que Hitler avait désigné comme son “dauphin” dès 1933, commet une erreur fatale qui le conduira à la prison. Aveuglé par son enthousiasme, il mésestime totalement la situation.

Cette naïveté politique qui mise sur une victoire acquise d’avance rappelle étrangement l’ivresse de certains observateurs et acteurs politiques français après l’élection de Donald Trump en 2024. Cela se passe plutôt sur CNews, Europe 1 ou dans les pages du JDD qu’ailleurs, mais la victoire du 47e président des Etats-Unis et sa brutale entrée en scène politique de 2025 désinhibent totalement certains, au point qu’ils croient urgent de montrer au grand jour ce qu’ils dissimulaient hier encore. On n’hésite pas à se considérer comme les Trump français tel Eric Zemmour, par exemple…

Qui sera le Trump français ?

A de nombreuses reprises, Cyril Hanouna, qui paraît envisager une carrière politique, ne rechigne pas à s’imaginer marchant dans les pas électoraux du clownesque président américain. Il n’a certes pas traversé la Manche en Messerschmitt tel le Reichsminister mais il a assuré, un temps, qu’il allait traverser l’Atlantique pour rencontrer en février Trump et Musk – qu’il admire – à Mar-a-Lago… avant de renoncer pour de fumeuses raisons (la plus probable étant qu’il n’y était tout simplement pas invité).

Le rôle du Donald Trump français sera âprement disputé parce que Philippe de Villiers annonce que, s’il devient président de la République, Hanouna serait son J. D. Vance ! Quoi qu’il en soit, le raz de marée américain monte clairement à la tête de certains. Jusqu’à encore récemment les poutinophiles, par exemple, qu’ils se dissimulent au RN ou à la LFI, se faisaient discrets depuis l’invasion de l’Ukraine mais les voici de nouveaux, tout feu tout flamme, prétendant ne défendre que la paix alors que leurs arrière-pensées géopolitiques scintillent de mille feux. Cet opportun pacifisme dissimule mal leur servilité face au maître russe ou américain : assez curieux pour ceux, parmi eux, qui se prétendent “patriotes”.

Sursaut patriotique

Ils commettent, dans leur enthousiasme d’anticipation, une erreur d’appréciation. Croyant pouvoir reporter par simple translation la victoire électorale de Trump sur le territoire français, ils paraissent ignorer totalement que l’arrogance du personnage, ses intimidations à l’endroit de l’Europe, et spécifiquement de la France, provoquera sans doute un phénomène que tous les psychosociologues connaissent bien : lorsqu’un groupe est menacé physiquement ou symboliquement, cela solidarise les membres de l’in-group contre les membres de l’out-group. C’est ce qu’a montré, par exemple, Muzafer Sherif dans un livre publié en 1966, Group Conflict and Co-operation. Il y souligne que, lorsqu’un groupe perçoit une menace, il renforce sa cohésion interne et accroît son hostilité envers les groupes extérieurs. Cette réalité de la vie sociale a été de nombreuses fois confirmée expérimentalement aussi bien que par observation banale de faits historiques. Pour n’en citer qu’un : le sursaut patriotique après les attentats du 11 Septembre aux Etats-Unis en est une expression patente. Cette banalité sociologique échappe à certains, tout à leur enthousiasme de la victoire de Trump qui, pensent-ils, pourrait prophétiser leur propre destin.

Une partie des électeurs du Rassemblement national, notamment, risque de ne pas apprécier du tout un pacte idéologique passé hâtivement avec Trump, Musk et les autres car des personnages peuvent facilement passer d’une figure amie à une figure hostile si elle menace les intérêts et les symboles nationaux. Avant de singer hâtivement les attitudes d’un tyran démocratique, ils seraient peut-être avisés de méditer sur la naïveté de Rudolph Hess qui passa le reste de sa vie en prison, avant de se suicider dans sa cellule à l’âge de 93 ans.

Gérald Bronner est sociologue et professeur à La Sorbonne Université.




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