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Jean-Louis Thiériot : “Notre relation avec l’Algérie est une chimère qui affaiblit la France”


Entre la France et l’Algérie, le temps de la désescalade n’est pas encore venu. A chaque semaine ses tourments. Le 18 mars, Bruno Retailleau a choisi, au nom de la laïcité, de ne pas se rendre à la rupture du jeûne du ramadan à la Grande Mosquée de Paris. Drame. Deux jours plus tard, le recteur de la Grande Mosquée de Paris choisit un média algérien, TSA, pour répondre au ministre de l’Intérieur. Un signe supplémentaire de “la phase de glaciation” décortiquée par l’ancien ministre délégué auprès du ministre des Armées et des anciens combattants, Jean-Louis Thiériot, dans l’entretien qu’il nous accorde.

Le député, membre de la commission de la défense nationale et des forces armées, et soutien de Bruno Retailleau dans la course à la présidence des Républicains, ne mâche pas ses mots. “Il est peu probable que l’Algérie revienne sur la position qui est la sienne, affirme Jean-Louis Thiériot. Pour la simple raison que sans l’adversaire français et l’utilisation à satiété de la mémoire coloniale, le gouvernement algérien se trouverait bien embarrassé pour justifier la situation économique très difficile du pays qui, 60 ans après l’indépendance, ne peut être que la conséquence de la gestion de l’économie algérienne par les autorités algériennes.”

L’Express : L’Algérie a rejeté lundi une liste de ressortissants algériens à expulser soumise par la France. Qu’en déduire à part la preuve de notre impuissance ?

Jean-Louis Thiériot : Il faut replacer les choses dans un contexte un peu plus large. Le gouvernement algérien issu du FLN, qui a éliminé avec soin toute opposition, a besoin pour rallier sa population de faire référence à un adversaire extérieur, c’est la “rente mémorielle” évoquée par Emmanuel Macron. La situation avec l’Algérie s’est dégradée depuis longtemps. Souvenons-nous de l’arrestation de Boualem Sansal en novembre, des propos du président Tebboune en décembre d’une extrême dureté à l’encontre de la France, ou encore du fait qu’a été rétabli, dans l’hymne national algérien, un couplet de haine anti-France. Le degré de violence symbolique est extrêmement fort.

Par conséquent, je ne suis absolument pas surpris par la décision prise par le gouvernement algérien. Ce n’est pas nous qui choisissons l’adversaire, c’est lui qui nous choisit. Nous faisons face à présent au choix clairement escalatoire d’Alger de ne pas respecter les accords du droit international.

Dans ces conditions, pourquoi s’évertuer à exiger des autorités algériennes qu’elles reprennent leurs ressortissants présents illégalement sur le sol français ?

Le drame de Mulhouse a jeté une lumière crue sur le fait que ne pas reprendre les ressortissants sous OQTF avait des conséquences directes sur la sécurité des Français. Aujourd’hui certains Algériens sous OQTF sont une menace pour notre sécurité. Ne rien tenter, c’est considérer qu’on doit, par principe, baisser le pavillon. On veut absolument entretenir avec l’Algérie une relation singulière. Mais si ça ne se passe pas bien, eh bien ça ne se passe pas bien !

Il paraît très compliqué d’avoir une politique de puissance vis-à-vis de Poutine et une telle politique de faiblesse vis-à vis de Tebboune

Avec le Maroc, les relations sont plus que normalisées. Ce n’était pas le cas cinq ans plus tôt. La réconciliation avec l’Algérie peut advenir. Nous rêvons tous d’une vraie réconciliation, comparable à ce moment fort entre François Mitterrand et Helmut Kohl à Verdun. En attendant, notre relation est une chimère qui donne une impression de faiblesse. Il paraît très compliqué d’avoir une politique de puissance vis-à-vis de Poutine et une telle politique de faiblesse vis-à-vis de Tebboune.

Quel objectif devrions-nous poursuivre désormais, selon vous ?

Si l’objectif est d’obtenir la reprise des ressortissants algériens illégalement présents sur le territoire national, je crains que nous fassions fausse route. J’entends les diplomates dire qu’on n’y arrivera que par une politique des petits pas. Peut-être, mais la situation s’est tellement envenimée… Il est peu probable que l’Algérie revienne sur la position qui est la sienne. Pour la simple raison que sans l’adversaire français et l’utilisation à satiété de la mémoire coloniale, le gouvernement algérien se trouverait bien embarrassé pour justifier la situation économique très difficile du pays qui, 60 ans après l’indépendance, ne peut être que la conséquence de la gestion de l’économie algérienne par les autorités algériennes. Donc la question est plutôt : quel est l’enjeu ? Une confrontation triplement symbolique. D’abord, un pays, un peuple, la France et les Français ont le droit de ne pas se faire humilier publiquement.

Deuxièmement, dans le monde international actuel qui est celui de la réaffirmation de la puissance, comment voulez-vous que notre diplomatie et la voix de la France soient prises au sérieux si nous ne sommes pas capables d’aller plus loin dans la riposte ? Réagir est une façon de ne pas affaiblir notre voix dans le monde.

Enfin, troisième élément symbolique, les propos de l’ancien ministre algérien et ambassadeur Abdelaziz Rahabi qui a déclaré il y a quelques jours : “Notre problème est avec la droite, non avec la France.” C’est une immixtion dans la politique intérieure française. Au regard de ces éléments, nous n’avons pas d’autres choix que la riposte graduée réclamée par Bruno Retailleau.

Etes-vous optimiste sur les résultats d’une telle riposte ?

Je ne m’attends pas à des miracles, quel que soit le degré de riposte, mais la France ne peut pas être ainsi blessée par un autre pays.

Il faut voir le temps long. Aujourd’hui, nous allons vers une période de glaciation qui a commencé lorsque nous nous sommes rapprochés du Maroc. On peut être confronté à cela quelques années durant mais gardons en tête que l’Algérie n’est pas un partenaire économique essentiel de la France. Nous ne dépendons pas du gaz algérien et les échanges avec Alger représentent moins de 1 % de nos échanges commerciaux. La France ne se met pas dans une situation difficile.

Faut-il assumer une rupture des relations diplomatiques ?

On a toute une gamme de ripostes. Regardons le rétablissement de l’obligation de visas pour les passeports diplomatiques, penchons-nous sur la question des biens mal acquis par la nomenklatura algérienne, interrogeons-nous sur le régime des accords spéciaux sur la Sécurité sociale – je rappelle que les Algériens sont traités en la matière comme des Français ce qui n’est le cas d’aucun autre pays du Maghreb. Si la France a encore un ambassadeur en Algérie, l’inverse n’est pas vrai.

La suspension de l’accord de 1968 agite le débat public. Êtes-vous favorable à sa suspension ?

A quoi servirait sa suspension ? Si l’on pense qu’elle rétablira tout à coup les laissez-passer consulaires, à mon avis, on se trompe. Mettez Marine Le Pen ou Eric Ciotti aux affaires, vous aurez de magnifiques effets de manche mais, à la fin, ils ne décideront pas davantage le président Tebboune à changer de politique. Il ne faut pas l’exclure. Il faut accepter que seul le temps, la durée des sanctions, permettent d’avancer. A une phase de glaciation, succède toujours une phase de réchauffement.

La seule sanction vraiment contraignante serait l’interruption des versements d’argent privé de France vers l’Algérie. D’après les informations dont je dispose, à peu près 6 milliards d’euros sont envoyés tous les ans de particulier à particulier et cela représente un vrai facteur de stabilité pour l’Algérie dans la situation de crise économique qui est la leur. Donc leur interruption pourrait avoir des conséquences sociales susceptibles de faire bouger les lignes. Mais il me semble que la légalité de la mesure est limitée car l’Union européenne l’interdit sauf circonstances exceptionnelles liées aux troubles de l’ordre public. C’est à examiner.

Faut-il craindre les réactions de la diaspora algérienne en France ?

J’ai deux principes sur ce sujet. Les Français d’origine algérienne sont français et il faut les considérer comme des Français, donc je me refuse à un procès a priori. Si cette inquiétude aboutit au fait qu’on ne fait rien, cela signifie que nous sommes parvenus au degré ultime de la soumission, et il s’agit là d’une faute politique.

Nous avons des forces de sécurité intérieure pour répondre à ce risque. Nous avons connaissance de l’activisme d’un certain nombre d’agents des services algériens.

Un haut fonctionnaire de Bercy a été interpellé pour une affaire d’espionnage et de facilitation des filières clandestines, ce n’est pas acceptable. Jusqu’où tout cela peut manipuler la diaspora ? C’est un risque à intégrer mais nous sommes censés pouvoir faire avec.

Le 1er novembre 2024, l’Etat français a reconnu que Larbi Ben M’hidi, défenseur de l’indépendance de l’Algérie, avait été assassiné par des militaires français en 1957. Quinze jours plus tard, Boualem Sansal est arrêté à l’aéroport d’Alger. Emmanuel Macron a-t-il fait fausse route en mettant l’accent sur la politique mémorielle ?

Je ne prononcerai pas de jugement, on ne se fourvoie jamais à faire un acte de vérité. Mais le faire sans certitude que cela répond à une forme de demande aboutit à la situation que nous connaissons. La réponse des autorités algériennes face à ce geste mémoriel fort et gratuit, c’est l’arrestation de Boualem Sansal quinze jours plus tard. Comme dirait le président, “on ne peut pas dire que c’est un échec mais ça n’a pas marché”.

En 2017, Emmanuel Macron qualifiait la colonisation de “crime contre l’humanité”. En 2021, il affirme que le système algérien s’est construit sur “une rente mémorielle”. Que comprenez-vous du discours présidentiel sur l’Algérie ?

Je n’ai pas fait d’études d’exégèse biblique. Je ne sais pas le lire. Croire aujourd’hui que le mémoriel suffira à restaurer la confiance est une erreur.

Bruno Retailleau a choisi de ne pas se rendre à la Grande Mosquée de Paris pour la rupture du jeûne. Est-ce opportun dans le contexte de tensions avec l’Algérie ?

Je crois que c’eût été inopportun d’y aller. La Grande Mosquée de Paris est le relais du gouvernement algérien. Quand on est confronté à un pays qui, en violation du droit international, refuse de reprendre 60 de ses ressortissants, il y a des lieux où il n’est pas décent d’aller. On aurait accusé Bruno Retailleau de double langage.




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