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Turquie : l’arrestation du maire d’Istanbul, une “éviscération de la démocratie”


“La Turquie est maintenant une autocratie à part entière”, titre Foreign Affairs. “Une autocratie pure et simple” pour Politico. Après l’incarcération dimanche 23 mars pour “corruption” d’Ekrem Imamoglu, principal opposant au président turc Recep Tayyip Erdogan, les médias étrangers sont unanimes. “Son emprisonnement est largement considéré comme un geste politique pour éliminer un grand concurrent de la prochaine course présidentielle”, rapporte de fait l’agence Associated Press.

Le principal intéressé dénonce, lui, “une exécution sans procès”. “Je suis là. Je porte une chemise blanche et vous ne pourrez pas la salir. Mon poignet est solide et vous ne pourrez pas le tordre. Je ne reculerai pas d’un pouce. Je gagnerai cette guerre”, a-t-il déclaré dans un message transmis par ses avocats. Outre Ekrem Imamoglu, près de cinquante co-accusés ont également été placés en détention pour “corruption” et “terrorisme” selon la presse turque.

15 millions de personnes aux urnes

Dimanche, comme chaque soir depuis mercredi, jour de l’arrestation de l’opposant, des dizaines de milliers de personnes se sont rassemblées aux abords de l’hôtel de ville d’Istanbul en guise de soutien à Ekrem Imamoglu. Une vague de protestation inédite dans le pays depuis le grand mouvement de contestation de Gezi, parti de la place Taksim en 2013. Ces rassemblements sont “les plus grandes manifestations que la Turquie ait vues depuis plus d’une décennie”, souligne ainsi le magazine britannique The Economist. Au cours d’affrontements, “la police anti-émeute a eu recours à des balles en caoutchouc et du gaz poivre à Istanbul, tandis que les manifestants à Ankara ont été accueillis avec des canons à eau”, relate Al Jazeera.

Après avoir assisté, impuissants, à la suspension des fonctions du maire d’Istanbul dimanche, les soutiens d’Ekrem Imamoglu ont multiplié les gestes d’encouragement à son égard. Dimanche, le Parti républicain du peuple (CHP), principale force de l’opposition, a maintenu une élection primaire à laquelle Ekrem Imamoglu était le seul candidat. Résultat : 15 millions de personnes ont soutenu le maire d’Istanbul dans les urnes. Un score lui permettant d’être officiellement désigné ce lundi par son parti candidat à la prochaine élection présidentielle prévue en 2028.

“Un plan calculé et approfondi”

Dans l’enquête ayant mené à l’arrestation du politique, le bureau du procureur en chef d’Istanbul a accusé Imamoglu d”‘établir et de gérer une organisation criminelle, de prendre des pots-de-vin, d’extorsion et d’enregistrer illégalement des données personnelles”. Les procureurs l’ont également accusé de soutenir le terrorisme par sa coordination politique avec un groupe prokurde lors des élections locales de l’année dernière. “Lors de l’interrogatoire, les autorités lui ont présenté une carte montrant des photographies de 99 personnes prétendument impliquées dans le stratagème de corruption, exigeant qu’il identifie celles qu’il connaissait et explique ses relations”, raconte le plus ancien quotidien anglophone de Turquie, Hürriyet Daily News.

Les accusations de Recep Tayyip Erdogan contre l’opposition interviennent après les victoires inattendues du CHP dans plusieurs villes du pays lors des élections municipales de 2024. Pour Foreign Affairs, ceci ne peut être une coïncidence : “Le plan pour retirer Imamoglu du jeu était calculé et approfondi”. “Erdogan a amené le pouvoir judiciaire sous son autorité en purgeant des milliers de juges et en les remplaçant par des loyalistes. Les médias ont été muselés ; plus de 90 % des médias turcs appartiennent à des entreprises progouvernementales, et les journalistes indépendants sont régulièrement emprisonnés”, déplore le bimestriel américain. Ce lundi 24 mars, dix journalistes turcs, dont un photographe de l’AFP, ont été interpellés à leur domicile, a rapporté l’association turque de défense des droits humains MLSA.

“Un chemin similaire à celui que Poutine a emprunté en Russie”

En arrêtant son principal opposant, “Erdogan met en danger la démocratie turque”, affirme The Economist, qui regrette que “l’avantage de la suppression d’un grand rival” vaille “le coup de l’éviscération de la démocratie”. Foreign Affairs est, lui, plus catégorique et se désole en voyant que Recep Tayyip Erdogan “suit un chemin similaire à celui que Poutine a emprunté en Russie”. “S’il réussit, il se dirigera vers la prochaine élection contre un adversaire qu’il a choisi lui-même, assurant ainsi son règne à vie”, continue le bimestriel.

Même si l’opposant au régime en place était libéré avant les prochaines élections, Ekrem Imamoglu sera “confronté à un obstacle potentiellement insurmontable”, avertit The Economist. “La veille de sa détention, les autorités ont révoqué son diplôme universitaire, le rendant inéligible à la présidence en vertu de la loi turque, puisque ce mandat n’est ouvert qu’aux diplômés”, résume le magazine britannique. Les contestations en Turquie sont donc loin de toucher à leur fin.




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