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Deux ans après le rapport sur l’indépendance énergétique, quel bilan pour la France ?


C’était il y a deux ans. Après plusieurs mois d’enquête et des dizaines d’auditions souvent hautes en couleur, les députés Raphaël Schellenberger et Antoine Armand livraient leur rapport sur la perte d’indépendance énergétique de la France. Pas moins de 490 pages comprenant une trentaine de recommandations pour le pays. Un travail salué, qui mettait en lumière les erreurs passées en matière de choix énergétiques.

Vingt-quatre mois plus tard, Raphaël Schellenberger, qui a présidé l’ensemble des auditions, tire le bilan de ce travail titanesque. “Je suis partagé, avoue le député alsacien. Certes, il y a bien eu une prise de conscience collective liée à la sortie du rapport. Les préoccupations énergétiques sont remontées sur le dessus de la pile. Cependant, il ne faudrait pas que les décisions stratégiques continuent de trop tarder. L’avenir du pays en dépend”.

La conversation ayant lieu quelques jours à peine après un Conseil de politique nucléaire (CPN) prolifique en annonces, on pouvait s’attendre à plus d’enthousiasme. Le 21 mars dernier, l’Elysée a dévoilé les grands principes du schéma de financement du programme EPR2, qui devra être soumis à Bruxelles : un prêt bonifié couvrant au moins la moitié des coûts de construction et un contrat pour différence censé protéger les consommateurs, sans trop plomber les finances d’EDF. Pour assurer la souveraineté du pays, le CPN a également validé la stratégie de développement des activités minières d’Orano et demandé aux industriels (EDF, Framatome…), au Commissariat à l’énergie atomique (CEA)et à l’ensemble des acteurs mobilisés sur les réacteurs à neutrons rapides (RnR) de concevoir un programme industriel permettant d’aboutir à la construction d’un réacteur capable de fonctionner en consommant une partie de nos déchets nucléaires.

Il en faut pourtant davantage pour impressionner les experts de l’énergie. “Trois ans se sont écoulés depuis le discours de Belfort d’Emmanuel Macron pour esquisser le schéma de financement des futurs EPR, qui restent le fer de lance de la relance nucléaire. Nous avons, en France, un vrai problème dans le processus décisionnel”, déplore Raphaël Schellenberger.

L’ancien président de l’Assemblée nationale Bernard Accoyer passe en revue les trente propositions du rapport de 2023. Se doter d’une ambition énergétique pour les trente prochaines années au moins, et d’une programmation étayée scientifiquement et industriellement ? “Je pense que ce travail n’a pas été conduit”, tacle le spécialiste. Réformer dans l’année et en profondeur le marché européen de l’électricité ? “Celui-ci reste globalement peu différent de ce qu’il était avant la crise”. Renforcer notre souveraineté sur l’ensemble de la chaîne de valeur ? “Ce n’est pas spectaculaire, ni très parlant jusqu’ici”. Refaire de la filière nucléaire la grande force française ? “Il y a encore du chemin à faire, c’est le moins que l’on puisse dire”.

En définitive, peu de mesures préconisées dans le rapport ont véritablement été mises en œuvre, soupire l’ancien député, qui préside l’association Patrimoine nucléaire et Climat. A la décharge du gouvernement, relancer le nucléaire prend du temps. “Quand on arrête de construire pendant plus de vingt-cinq ans des réacteurs, et que l’on envoie à la retraite du personnel compétent, des techniciens spécialisés, des ingénieurs, on perd le savoir-faire. Tout devient plus difficile : préparer le projet, mettre au point le design des nouveaux réacteurs… “, souligne Bernard Accoyer.

“On a peur de faire des choix”, abonde Raphaël Schellenberger. “Sans compter le manque flagrant d’analyses techniques”, s’inquiète Henri Wallard, ancien directeur général de l’Andra, l’Agence nationale des déchets radioactifs, et auteur de Mensonge d’Etat : imposture écologique (Fayard, 2025).

Deux dossiers illustrent ces difficultés. Le premier concerne la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), ce texte de 150 pages, toujours en préparation, qui doit engager 300 milliards d’euros d’ici à 2045. “Ce document ne se projette pas suffisamment sur le long terme”, estime Henri Wallard. Et surtout, il fait la part belle aux énergies renouvelables sans étude d’impact. “Si on déploie massivement l’éolien et le solaire, notre réseau électrique risque d’être déstabilisé”, avertissait récemment Bernard Accoyer, qui déplore le souhait du gouvernement de valider ce texte par décret, évitant ainsi tout débat parlementaire. Ce point épineux fera d’ailleurs l’objet d’une conférence de presse organisée par plusieurs sénateurs, députés et experts de l’énergie le 1er avril. Selon eux, la PPE, telle qu’elle est imaginée aujourd’hui, ne peut conduire qu’à une hausse importante des prix de l’électricité.

Rattraper le temps perdu

L’autre dossier qui montre l’impréparation de la France face au “mur énergétique français” évoqué par le député Antoine Armand dans son livre éponyme (Stock, 2024), c’est celui des SMR, ces petits réacteurs nucléaires modulaires. Sous prétexte qu’il s’agit de projets neufs, Emmanuel Macron a voulu en faire un pilier de notre stratégie énergétique. Mais trois ans après le discours de Belfort, le bilan est peu glorieux. EDF a essuyé un revers avec son projet Nuward. Et les petits réacteurs de 4e génération ont fait l’objet d’un rapport sévère, commandé par le Haut-commissaire à l’énergie atomique Vincent Berger. “Hormis les petits modèles qui produisent de la chaleur, tout le monde en prend pour son grade dans ce document, souligne un expert de l’énergie : les délais de commercialisation semblent irréalistes, les projets nécessitent des combustibles innovants, ce qui suppose de construire une filière dédiée mais aussi de piocher dans les réserves stratégiques en plutonium pour les concevoir.” Des écueils qui rendent peu probable la construction de réacteurs opérationnels dans des délais raisonnables.

“Sur la période récente, la vraie bonne surprise concerne les RnR”, tempère Henri Wallard. La demande, par l’Elysée, d’un programme industriel et le départ annoncé de François Jacq de la tête du CEA sont considérés comme des signaux positifs pour les défenseurs des réacteurs à neutrons rapides. Cependant, nombre d’experts attendent des précisions. “Un doute subsiste dans la formulation du communiqué provenant de l’Elysée, souligne Bernard Accoyer : le travail qui est fait sur les petits réacteurs de 4e génération répond-il aux besoins ? Ou bien est-ce qu’il va falloir relancer un projet de type Astrid ? Ce n’est pas clair”.

“Des compétences sont parties. On ne rattrapera pas le temps perdu”, rappelle de son côté Claire Kerboul, docteur ès sciences physiques, spécialisée en physique nucléaire et auteure de L’urgence du nucléaire durable (De Boeck supérieur, 2023). “Du côté des réserves en uranium, indispensables pour faire fonctionner nos réacteurs nucléaires actuels, la France prend des mesures pour maintenir son niveau d’indépendance énergétique, mais pas pour l’augmenter”, ajoute Teva Meyer, géographe et spécialiste du nucléaire. Or, les risques géopolitiques ont plutôt tendance à s’amplifier : par exemple, qui empêcherait la Chine de faire main basse, à l’avenir, sur certaines mines d’uranium situées dans des pays voisins, glisse un expert ?

Sur les questions énergétiques, enfin, une plus grande implication de tous les élus de la nation serait la bienvenue. “Il faudra sans doute accroître le rôle de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST), afin d’évaluer régulièrement les politiques mises en œuvre”, conclut Henri Wallard. Ce mardi 1er avril, sénateurs et députés interpelleront l’Etat sur la future PPE et ses possibles conséquences sur les prix de l’électricité. C’est un bon début. Mais il reste encore tant à faire pour consolider notre indépendance énergétique.




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