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Inéligibilité, appel, Jordan Bardella… Les questions qui se posent après la condamnation de Marine Le Pen


Marine Le Pen mise hors-jeu par la justice. Le tribunal correctionnel de Paris a décidé ce lundi 31 mars de condamner la cheffe de file du Rassemblement national à quatre ans de prison, dont deux ferme aménagés sous bracelet électronique, mais surtout à cinq ans d’inéligibilité avec application immédiate dans l’affaire des assistants parlementaires européens. Une décision très lourde, qui entérine pour l’instant ses espoirs d’une quatrième candidature à l’élection présidentielle en 2027. Mais plusieurs recours judiciaires s’offrent encore à elle. L’Express fait le point sur les différentes questions qui se posent à la suite de cette condamnation historique.

Quelles sont les motivations de la condamnation ?

Le tribunal a fait le choix de suivre une grande partie des réquisitions formulées par le parquet fin novembre dernier. La présidente Bénédicte de Perthuis a ainsi confirmé l’existence d’un “système” et d’une pratique “organisée et centralisée” pour “optimiser” de façon “intégrale” l’utilisation des enveloppes versées aux eurodéputés du Front national entre 2004 et 2016 afin de financer les activités du parti en France. Ainsi, les douze assistants de neuf eurodéputés (dont Marine Le Pen) étaient bien “rémunérés” par le Parlement européen, alors qu’ils travaillaient “en réalité” pour le Front national pour des tâches n’ayant aucun lien avec Bruxelles.

A propos de Marine Le Pen tout particulièrement, le tribunal a estimé que celle-ci se trouvait “au cœur” de ce système “dès 2009”, et que cette dernière s’est “inscrite avec autorité et détermination dans le fonctionnement instauré par son père, auquel elle participait depuis 2004”. Plus encore, la présidente Bénédicte de Perthuis a estimé que dès lors que Marine Le Pen a pris la tête du Front national, en 2011, le “système” s’est “optimisé” et les contrats se sont “multipliés”. “Les embauches étaient décidées par Marine Le Pen sans que le député soit consulté”, a ajouté le tribunal.

Pour justifier la peine d’inéligibilité immédiate à l’encontre de Marine Le Pen, la présidente Bénédicte de Perthuis a déclaré que le tribunal avait “pris en considération, outre le risque de récidive, le trouble majeur à l’ordre public, en l’espèce le fait que soit candidate à l’élection présidentielle une personne déjà condamnée en première instance”, a poursuivi la juridiction, jugeant “nécessaire” d’ordonner l’exécution provisoire (immédiate) “pour éviter un trouble irréparable à l’ordre public”.

Quels recours possibles pour Marine Le Pen ?

Comme tout justiciable, Marine Le Pen peut bien entendu faire appel de cette décision du tribunal. C’est d’ailleurs ce qu’a annoncé son avocat Rodolphe Bosselut dès ce lundi après-midi, dénonçant un “coup à la démocratie”. Mais c’est là que le détail de la décision prise par le tribunal correctionnel de Paris se révèle particulièrement sévère : en assortissant la peine de cinq ans d’inéligibilité de la cheffe de file du RN d’une application provisoire, ce jugement devient applicable immédiatement, et la procédure en appel ne suffit pas pour suspendre cette condamnation.

Au vu des délais habituels d’audiencement, l’AFP estime que le procès en appel pourrait se tenir d’ici un an, avec de nouveau trois mois avant le rendu d’une nouvelle décision. Ainsi, le délibéré pourrait seulement être rendu quelques mois avant l’élection présidentielle de 2027, ce qui pourrait éventuellement “sauver” Marine Le Pen. Mais encore faudrait-il que le jugement en seconde instance se montre plus clément envers elle.

Plusieurs scénarios sont ainsi possibles. La cour d’appel pourrait décider de revenir totalement sur la condamnation de la triple candidate à la présidentielle et de la relaxer : dans ce cas, Marine Le Pen pourrait bien entendu être candidate en 2027. Mais cette piste relèverait d’une divine surprise pour le RN, tant les preuves contre la formation d’extrême droite, accusée de détournement de fonds publics, sont accablantes.

La seconde instance pourrait également décider d’alléger la peine d’inéligibilité, en la rendant plus courte ou bien en supprimant son application provisoire. Ce dernier cas pourrait également rendre possible une candidature de Marine Le Pen au prochain scrutin présidentiel, car les autres recours que la cheffe de file du RN engagerait devant la justice – notamment en se pourvoyant en cassation – suspendraient cette fois-ci sa condamnation et donc son inéligibilité. Mais cette stratégie tomberait à l’eau si la Cour de cassation venait à rendre sa décision avant l’élection présidentielle de 2027 tout en confirmant sa condamnation.

A l’inverse, la cour d’appel pourrait délivrer le même jugement qu’en première instance, c’est-à-dire l’inéligibilité avec une exécution provisoire de cinq ans, et donc confirmer l’impossibilité pour Marine Le Pen de se présenter à la prochaine élection présidentielle. Dans ce scénario, d’autres recours seraient alors possibles, et notamment celui de se pourvoir en cassation. Mais cette piste se révèle également être particulièrement ardue pour la cheffe de file du RN. Car si la Cour de cassation ne rend pas son délibéré avant l’élection présidentielle – ce qui est loin d’être inenvisageable au vu des délais très courts dans lesquels tout ceci se déroulerait -, l’inéligibilité serait alors maintenue. Ainsi, on peut estimer que si le procès en appel n’allège pas nettement ou ne revient pas sur la condamnation de la cheffe de file du RN, il paraît bien difficile de la voir candidate en 2027.

Quelles sont les autres condamnations ?

Si son jugement reste évidemment le plus symbolique, Marine Le Pen n’est pas la seule figure du Rassemblement national à avoir été condamnée ce lundi. Louis Aliot, vice-président du Rassemblement national mais surtout maire de Perpignan, a ainsi lui aussi été condamné à une peine de 18 mois de prison dont six mois ferme, directement aménagés sous bracelet électronique, ainsi qu’à trois ans d’inéligibilité. Cette dernière n’est cependant pas applicable immédiatement ; s’il fait appel, il ne perdra donc pas la mairie de Perpignan. Mais si le jugement en seconde instance venait à confirmer la condamnation du tribunal correctionnel, il ne pourrait vraisemblablement pas se représenter en 2026.

Julien Odoul, qui avait peiné à justifier pendant le procès pourquoi il avait demandé en 2015 à “faire connaissance” de l’eurodéputée qui l’employait officiellement en tant qu’assistant parlementaire, a quant à lui été condamné à une peine de huit mois avec sursis simple et un an d’inéligibilité, sans exécution provisoire. S’il fait appel, il ne perdra ni son mandat de conseiller régional, ni son mandat de député. Au total, 23 personnes ont été condamnées, de cadres historiques comme Wallerand de Saint-Just à Bruno Gollnisch à certaines figures moins connues comme Catherine Griset, proche amie de Marine Le Pen, Thierry Légier, garde du corps de Jean-Marie Le Pen, puis de Marine Le Pen et Jordan Bardella, ou encore Nicolas Bay, ancien vice-président du RN qui avait quitté le parti en 2022 pour rejoindre Reconquête – avant d’en être exclu en juin dernier -.

Autre conséquence de ce procès, non négligeable : le Rassemblement national a également été condamné à une peine de deux millions d’euros, dont un million ferme, et une confiscation d’un million d’euros saisis pendant l’instruction. Pour un parti dont les difficultés financières ont toujours été présentes – et ont été l’une des motivations à utiliser les enveloppes des eurodéputés du Parlement européen afin de faire fonctionner le parti à Paris -, cette partie du délibéré pourrait également poser problème, notamment en vue de l’organisation des prochaines campagnes électorales.

Quelles conséquences pour 2027 ?

En l’état, Marine Le Pen ne peut donc pas être candidate pour l’élection présidentielle de 2027, ni même en cas d’élections législatives dans les cinq prochaines années. Dans le scénario où sa procédure en appel confirmerait le jugement rendu en première instance, tous les regards se porteraient alors sur un homme : Jordan Bardella, qui reprendrait vraisemblablement le flambeau pour porter la candidature du Rassemblement national au prochain scrutin présidentiel.

Comme un signe avant-coureur, Marine Le Pen a d’ailleurs affirmé que le président du RN avait “bien sûr la capacité d’être président de la République” auprès de BFM TV avant son jugement. “Quand on atteint le niveau de Jordan Bardella à l’âge qu’il a, il n’y a aucune raison de se priver d’une ambition qui pourrait dépasser celle qui est la sienne aujourd’hui”, ajoutait-elle alors. Une “ambition” qui pourrait donc bien s’accélérer de façon impromptue, mais qui pose évidemment la question de la capacité de Jordan Bardella, aujourd’hui 29 ans, à être capable d’endosser un tel rôle.

Des propos abondés par le vice-président du parti Louis Aliot ce lundi matin, avant le jugement, qui affirmait qu'”il ne fait pas mystère qu’aujourd’hui Jordan Bardella serait le mieux placé, évidemment, pour succéder (à Marine Le Pen) à une candidature à la présidentielle”.

Par ailleurs, en principe, dans l’hypothèse encore très lointaine où Jordan Bardella venait à être élu président de la République en 2027, il pourrait éventuellement faire le choix de nommer Marine Le Pen Première ministre. A première vue, la peine d’inéligibilité interdit ainsi de se présenter à une élection, et non d’être nommé à un poste gouvernemental. Mais tout dépendrait de la lecture de l’article 131-26 du code pénal qui dispose que “l’interdiction du droit de vote ou l’inéligibilité […] emportent interdiction ou incapacité d’exercer une fonction publique”. Or, les juristes ne s’accordent pas si la “fonction publique” inclut ou non les postes gouvernementaux, cette situation ne s’étant pas encore produite.

Ce choix, qui serait un véritable pied-de-nez à la justice contre qui le Rassemblement national veut préparer sa riposte, relève encore bien entendu aujourd’hui de la politique-fiction. Mais à l’heure où le Rassemblement national fait face à une crise d’ampleur quasi inédite, toutes les conséquences de cette condamnation historique sont encore loin d’être connues.




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