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Nucléaire, défense, biotech… Comment Bercy protège nos pépites françaises des rachats étrangers


Le ton employé illustre la sensibilité du dossier. “De quoi parlez-vous ? Biogaran n’est pas à vendre. Nous n’avons reçu pour l’instant que des marques d’intérêt. Rien de plus. Tout ce qui circule ne sont que fariboles”, nous rétorque sèchement un porte-parole du laboratoire Servier, propriétaire de Biogaran, le champion français des médicaments génériques. Circulez, il n’y a rien à voir. A l’heure où la souveraineté stratégique est au cœur de la politique économique d’Emmanuel Macron, l’avenir du laboratoire, qui fournit à lui seul un peu plus d’un tiers des génériques vendus dans l’Hexagone, interroge. Des semaines que la rumeur d’une possible cession enfle. Or, dans la liste des prétendants qui auraient toqué à la porte de Servier figurent deux industriels indiens. A Bercy, on ne prend pas l’affaire à la légère. “Si une vente de Biogaran à une entreprise étrangère était enclenchée, l’opération devrait d’abord passer par la procédure du contrôle des investissements étrangers”, promet un conseiller de Bruno Le Maire. En clair, Servier devra obtenir le feu vert de l’Etat.

A l’automne dernier, Bercy n’a pas délivré son précieux sésame, faisant capoter une autre opération de rachat. Celle d’une PME, Segault, à un industriel américain. Pas des gélules cette fois, mais de la tuyauterie. Des “robinets papillon”, des clapets, des valves, des soupapes… équipant les sous-marins nucléaires et une partie des centrales d’EDF. Trop stratégique. Hors de question de mettre la marine française dans la main des Américains, avait alors tonné le ministre de l’Economie. Comme si la notion d’entreprise stratégique était à géométrie variable.

En réalité, l’exécutif est pris entre deux feux : protéger au mieux les intérêts économiques de la Nation, et ne pas rebuter les groupes étrangers qui souhaitent y investir. Mieux, les inciter à signer des chèques le plus gros possible quand il s’agit de créer une nouvelle usine dans les batteries électriques ou les semi-conducteurs. La contradiction n’est pas nouvelle. Dès 1966, une loi signée par le général de Gaulle reconnaît la liberté des “relations financières de la France avec l’étranger”, tout en réservant au gouvernement un droit de veto sur un rachat étranger qui touche à la défense et aux intérêts du pays. Le dispositif se renforce en 2003, juste après la prise de contrôle de Gemplus – la perle des cartes à puce – par l’américain Texas Pacific Group, puis une nouvelle fois en 2005, au moment où circulent des rumeurs de rachat de Danone par PepsiCo. Mais c’est en 2014, dans la foulée de la vente de la branche énergie d’Alstom à l’américain GE, que le chantre du made in France Arnaud Montebourg sophistique le bouclier.

Le texte impose alors une autorisation pour toute prise de participation supérieure à 25 % du capital d’une entreprise française dans les domaines de la défense, de la santé, des transports, de l’énergie, des télécoms et de l’eau. En 2019, Bruno Le Maire en rajoute une louche, élargissant le champ des secteurs concernés aux nouvelles technologies, à l’agroalimentaire, aux biotechs ou à l‘intelligence artificielle. Rebelote pendant le Covid, quand il abaisse le seuil de déclenchement de la procédure à 10 % du capital seulement.

En cas d’accord, Bercy pose ses conditions

Le résultat ? L’an passé, un peu plus de 300 dossiers auraient atterri sur le bureau de Thomas Ernoult, le responsable de la cellule en charge du contrôle à Bercy. Une équipe de sept hauts fonctionnaires épluche le pedigree de l’acheteur, décortique son projet, soupèse ses promesses. Le nombre de refus ? Le secret est jalousement gardé, mais une poignée – au mieux – de dossiers auraient été recalés, d’après nos informations. Quand l’autorisation est délivrée, Bercy pose ses conditions : un chapelet de petites lignes suspensives, allant du respect des contrats en cours au maintien de l’outil industriel, en passant par la sécurisation des droits de propriété intellectuelle. Le maintien de l’emploi, lui, n’est jamais mis dans la balance. “Au fil des années, la liste des conditions imposées aux acheteurs s’est allongée. Et leur durée d’application est désormais illimitée”, constate Vincent Brenot, avocat associé chez August Debouzy rompu à ce type de paperasse.

Reste que derrière le cadre très administratif de la procédure se dessine le flou de la discussion. “En réalité, tout se négocie”, témoigne Olivier de Maison-Rouge, un avocat spécialisé dans le secteur de la défense, notamment. L’un de ses confrères relate ce contrat portant sur le rachat d’une entreprise de logiciels de chiffrement qui a manqué de tomber à l’eau récemment : l’acheteur, échaudé par les conditions imposées par Bercy, menaçait de retirer son offre. Problème : il ne restait plus que trois mois de trésorerie dans les comptes de l’entreprise. Faute d’autres candidats au rachat, les équipes de Bercy se sont montrées plus conciliantes. Pur pragmatisme, défend un ancien membre de la cellule. De là à fermer les yeux sur le respect des engagements au fil du temps…

Depuis une dizaine d’années, la pile des dossiers à suivre s’est sérieusement alourdie. Or, les moyens de contrôle sont minces. Et si la meilleure méthode était la menace ? En janvier 2021, le projet d’OPA du canadien Couche-Tard sur Carrefour est immédiatement abandonné après que Bruno Le Maire a mis publiquement son veto, en direct, au micro d’une grande radio. Pas d’affaire à instruire. Une forme de dissuasion nucléaire économique.




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