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Interdire les voitures thermiques ? “Le sujet n’est plus celui-ci, mais…”


Jordan Bardella (RN), François-Xavier Bellamy (LR) ou Marion Maréchal (Reconquête) en ont fait un marqueur de leur campagne pour les européennes : l’arrêt en 2035 de la vente de véhicules neufs à moteur thermique serait une catastrophe économique, sociale, géopolitique et même écologique. A entendre les trois candidats, cette échéance, fixée par la Commission européenne en juillet 2021 puis confirmée par le Parlement européen, doit être purement et simplement abrogée. Spécialiste des questions de stratégie industrielle dans l’automobile et associé chez Deloitte, Jean-Michel Pinto s’étonne de la tournure prise par ce débat, qu’il juge à contretemps des réalités du secteur.

L’Express : La fin des ventes des voitures thermiques neuves en 2035 semble faire l’unanimité contre elle au sein de la droite et de l’extrême droite. Comment cette date, encore lointaine, a-t-elle été décidée au niveau européen ?

Jean-Michel Pinto : Cette échéance est le fruit d’un compromis. Les constructeurs automobiles plaidaient pour 2040, les partisans d’une transition écologique plus rapide pour 2030. A la suite de la Cop26 de Glasgow, en 2021, la proposition initiale de 11 pays menée par le Danemark visait une interdiction en 2030, repoussée dans le texte final à 2035. C’est ce cap qu’a retenu la Commissions européenne. Une clause de revoyure est néanmoins prévue en 2026, pour faire le point et revoir éventuellement le calendrier.

Le débat politique qui se cristallise aujourd’hui autour de cette date me surprend : pour certains responsables politiques, on se doit d’être pour ou contre l’interdiction des véhicules thermiques. Mais le sujet n’est plus celui-ci. Est-ce que le passage à l’électrique fait baisser les émissions de CO2 d’une voiture ? La réponse est très clairement oui. Un véhicule électrique émet plus de carbone lors de sa fabrication mais moins à l’usage. Sur sa durée de vie, il y a un consensus aujourd’hui pour dire que ses émissions totales sont inférieures de 50 à 70 % à celle d’un véhicule thermique. Et cet écart continuera de se creuser si, comme beaucoup d’industriels s’y attellent, on parvient à réduire encore les émissions lors de la phase de production. La seule question qui vaille aujourd’hui, c’est comment réussir cette bascule, et à quel rythme ?

D’autant que les constructeurs automobiles ont déjà fait leur aggiornamento…

Absolument ! Ils ont investi massivement dans de nouvelles usines et de nouvelles plateformes produits. Ils ont étoffé leur gamme de véhicules électriques. Bref, ils se sont mis en ordre de marche. Il existe des nuances, entre les constructeurs européens, sur le rythme et la méthode, mais pas de désaccord sur le fond. Parce qu’il n’y a pas d’alternative. Les Chinois sont passés les premiers à l’électrique et disposent aujourd’hui de technologies très avancées. Les Américains y sont venus plus tardivement, mais ils mettent aujourd’hui des moyens colossaux. Et nous, Européens, nous devrions rester sur le thermique ?

D’un point de vue industriel et technologique, ce raisonnement ne tient pas. On ne peut pas se permettre de rater à nouveau le coche, comme on l’a fait sur les panneaux solaires. Cette transition fait sens d’un point de vue écologique mais aussi économique, par la force des choses, puisque l’Europe ne peut pas laisser ses deux principaux concurrents prendre des positions dominantes sur ce marché clef pour l’industrie européenne.

Le débat sur la méthode est cependant légitime. Certains industriels disent parfois : “Les Etats-Unis subventionnent, la Chine planifie et l’Europe régule”. Au-delà des seules normes, l’Europe doit activer tous les leviers pour se doter, elle aussi, d’une industrie performante dans ce domaine.

Quelle est l’importance du secteur en Europe ?

C’est un vecteur essentiel de prospérité. Une étude de Deloitte le rappelait dès 2020. L’automobile représente 7 % de la valeur ajoutée brute de l’Union européenne et 11 % de la valeur ajoutée produite par le secteur privé. À titre de comparaison, pour un poids en termes d’emploi comparable (13 millions), l’industrie touristique représente seulement 4 % de la valeur ajoutée. L’automobile est donc primordiale dans la création de richesse et d’emplois qualifiés en Europe, à tous les niveaux de la chaîne : constructeurs, loueurs, distributeurs… A défaut d’avoir été pionniers sur l’électrique, les Européens doivent absolument améliorer leur compétitivité en la matière.

Comment faire ?

Il y a plusieurs leviers. Les aides publiques à l’investissement, au Capex, qui permettent de bâtir des giga-usines. Les bonus à l’achat éco-conditionnés, comme celui introduit en France. Et la baisse des coûts de fabrication, qui passe notamment par un prix de l’énergie compétitif, terrain sur lequel, là encore, la France est bien placée grâce au nucléaire.

Il faut aussi conserver des centres de R & D en Europe, parce que la voiture électrique est d’abord une voiture électronique. Le logiciel est un élément clef du succès. Personne, dans le secteur automobile, ne se pose aujourd’hui la question du “oui ou non” à l’électrique. Il serait plus judicieux de parler des moyens que l’Europe doit mettre en œuvre pour soutenir cette transformation. C’est un “électrochoc”, que le continent n’a pas le droit de rater.




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