La scène internationale aura bientôt – de nouveau – les yeux rivés sur l’Iran. Six candidats, la plupart conservateurs, ont été autorisés à concourir à l’élection présidentielle du 28 juin destinée à remplacer Ebrahim Raïssi, décédé dans un accident d’hélicoptère en mai 2024, d’après l’annonce faite ce dimanche 9 juin par le ministère de l’Intérieur. Nommé dans l’urgence, le président par intérim, Mohammad Mokhber, 68 ans, est chargé de superviser la bonne organisation du scrutin prévue initialement au printemps 2025.
Les candidats ont été sélectionnés par le Conseil des gardiens de la Constitution, un organe non élu dominé par les conservateurs et chargé de superviser le processus électoral, parmi les 80 personnalités ayant déposé leur candidature. Parmi elles, quatre femmes – mais n’a été qualifiée, comme à chaque présidentielle. “En réalité, c’est Ali Khamenei (le guide suprême) qui décide, car les membres du Conseil l’écoutent et lui sont très loyaux”, précisait dans les colonnes de L’Express, Arash Azizi, historien et journaliste iranien. Et d’ajouter : “Ces élections ne seront pas libres et équitables, car aucune élection dans la République islamique ne l’a jamais été.”
Parmi les candidats qui auront la possibilité de faire campagne, figure le président conservateur du Parlement et ancien membre des Gardiens de la révolution, Mohammad-Bagher Ghalibaf. Très proche du pouvoir, il s’était retiré en 2017 au profit d’Ebrahim Raïssi. On retrouve aussi le maire de Téhéran, Alireza Zakani, et Saïd Jalili, l’ancien négociateur ultraconservateur du dossier nucléaire. Candidat à la présidentielle à trois reprises auparavant, Saïd Jalili affirme avoir obtenu le soutien de nombreux fidèles de Raïssi, dont certains sont susceptibles de se retirer en sa faveur. Il est un fervent partisan du hijab obligatoire.
Ont également été sélectionnés Amir Hossein Ghazizadeh Hashemi, le chef ultraconservateur de la Fondation des martyrs, et Mostafa Pourmohammadi, un ancien ministre de l’Intérieur. Le seul réformateur en lice est Massoud Pezeshkian, un député de la ville de Tabriz (nord-ouest) et ex-ministre de la Santé.
La candidature de Mahmoud Ahmadinejad
En revanche, le Conseil a disqualifié le populiste Mahmoud Ahmadinejad, qui souhaitait, à 67 ans, retrouver le poste de président qu’il a occupé de 2005 à 2013. L’ex-chef d’Etat ultraconservateur – dont les mandats ont été marqués par de vives tensions avec l’Occident sur le programme nucléaire iranien – avait déjà été écarté aux présidentielles de 2017 et 2021. Un autre vétéran de la République islamique, Ali Larijani, ancien président du Parlement et considéré comme modéré, a également été rejeté. Selon le quotidien britannique The Guardian, la validation de sa candidature aurait été un “test d’une relative ouverture du conseil”. Le Conseil des gardiens n’a pas justifié publiquement ses choix.
À l’élection de 2021, cette instance n’avait retenu que sept candidats sur les 592 postulants, invalidant de nombreuses personnalités réformistes et modérées. Ce qui avait ouvert la voie à Ebrahim Raïssi, le candidat du camp conservateur et ultraconservateur, facilement élu au premier tour. Seuls 49 % des électeurs iraniens avaient participé à ce scrutin, soit le plus faible taux pour une présidentielle depuis la Révolution islamique de 1979. À noter que de nombreux Iraniens sont découragés par le manque de diversité politique et la déception semble encore de mise pour ce nouveau scrutin, avec un candidat de moins qu’il y a trois ans.
Pas de changement en vue ?
“Les réformistes ont perdu de leur attrait dans les zones urbaines, où de nombreux Iraniens ne croient pas que le régime des mollahs, soutenu par le Corps des Gardiens de la Révolution islamique, tolérera le changement social”, analyse The Guardian. Elu pour quatre ans, le président n’est pas le chef de l’Etat, car ce rôle revient au Guide suprême. Le président iranien dirige le gouvernement, participe aux conférences internationales, mais n’a pas le dernier mot. “La disparition de Raïssi ne remettra ainsi nullement en cause le rapprochement avec la Russie et la Chine, le durcissement sur le nucléaire”, estime toujours The Guardian.
Sur ce volet, d’ailleurs, l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) a adopté le 5 juin une résolution rappelant formellement à l’ordre Téhéran, alors que le programme nucléaire iranien prend de l’ampleur. Or, le journal iranien Javan, proche du pouvoir, a déclaré y voir une forme d”ingérence des pays européens dans le scrutin : “L’Europe se lance dans la campagne présidentielle afin d’aider une faction particulière”, a ainsi traduit Courrier international.
Une chose est sûre : ce scrutin se réalisera dans une situation socio-économique très dégradée. À cause des sanctions internationales, mais aussi d’une mauvaise gestion interne, l’inflation touche de plein fouet l’Iran, affectant la qualité de vie de ses habitants. Thierry Kellner, maître de conférences à l’université libre de Bruxelles et co-auteur avec Mohammad-Reza Djalili d’une Histoire de l’Iran contemporain (La Découverte) décrivait dans L’Express “une situation grave pour la population, marquée par une paupérisation grandissante.” Reste à savoir à qui reviendra la charge d’améliorer la situation du pays.
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