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Citroën sous la menace d’une initiative collective : “Il est temps de réformer l’action de groupe en France”


Ses airbags défectueux sont à l’origine de l’un des plus gros scandales automobiles. Et ont eu raison de son existence. Disparu avec pertes et fracas en 2017, l’équipementier japonais Takata a commercialisé pendant des années des airbags composés de nitrate d’ammonium. Or, lorsqu’il est exposé longtemps à l’humidité et à la chaleur, ce composant chimique bon marché devient instable et potentiellement explosif. De quoi transformer des équipements destinés à protéger les conducteurs en véritables bombes à retardement. Un choix funeste qui a donné lieu à la plus vaste campagne de rappel de l’histoire des Etats-Unis il y a près d’une décennie. Une trentaine de morts et plus de 400 blessés ont été liés au dysfonctionnement des airbags de Takata outre-Atlantique.

L’Europe, elle, commence à mesurer l’ampleur du désastre. Après plusieurs accidents mortels impliquant son modèle C3, Citroën a notamment engagé le rappel de plusieurs centaines de milliers de véhicules. Le français et sa maison-mère Stellantis sont désormais sous la menace d’une initiative collective au pénal. Une procédure qui se distingue de l’action de groupe, dispositif qui fête cette année ses dix ans d’existence en France. Et affiche des résultats pour le moins mitigés, à en croire Maria José Azar-Baud, avocate et maître de conférences en droit privé à Paris-Saclay. Fondatrice de l’Observatoire des actions de groupe, elle est membre de deux structures au Portugal et aux Pays-Bas agissant comme demanderesses dans des contentieux collectifs européens.

L’Express : Début juin, une action de groupe a été lancée contre Stellantis, qui a rappelé plusieurs centaines de milliers de véhicules des marques Citroën et DS dans le cadre du scandale des airbags défectueux fournis par l’équipementier japonais Takata. Quel est l’intérêt de recourir à cette procédure dans un tel dossier ?

Maria José Azar-Baud : La procédure ouverte contre Stellantis n’est pas une action de groupe. La stratégie de mon confrère avocat vise à une constitution massive de parties civiles au pénal. Ce choix tient notamment au fait qu’un avocat ne peut engager une action de groupe. L’action de groupe est un mécanisme très spécifique, ouvert exclusivement aux associations agréées dans le domaine du droit de la consommation. Elle peut être engagée si le litige concerne l’une des cinq disciplines juridiques que sont la consommation, la santé, l’environnement, la protection des données personnelles ainsi que les discriminations, notamment au travail, d’où le fait que les syndicats peuvent engager une action de groupe portant sur cette dernière question.

Dans le cas présent, les dossiers individuels de ceux qui adhèrent à la plateforme déployée par mon confrère seront présentés en même temps ou par tranches. Chacun sera représenté personnellement en justice. C’est une “initiative collective”, mais pas une action collective à proprement parler, ni une action de groupe. Il s’agit d’une alternative aux actions de groupe dont il faut reconnaître qu’elles fonctionnent mal en France. L’Observatoire que j’ai fondé en 2017 fait état de 37 actions de groupe engagées au total, dont 20 en droit de la consommation. Sept actions de groupe ont été déboutées sur le fond ou déclarées irrecevables, quatre ont été conclues par une transaction et une seule, l’affaire de la Dépakine, a abouti à une décision favorable sur le fond au sens où Sanofi a été déclaré responsable !

Un rapport parlementaire remis en 2020 arrivait à la même conclusion, estimant que le dispositif, né dans le cadre de la loi Hamon sur la consommation en 2014, n’avait “pas été à l’origine d’avancées significatives dans la défense des consommateurs”. A quoi cet échec tient-il ?

L’action de groupe ne fonctionne pas en France car elle présente des “défauts de conception”. D’abord, peu d’entités peuvent agir et elles n’ont pas toujours les moyens, notamment financiers, pour le faire. Une action de groupe requiert des expertises coûteuses, des campagnes de communication et d’adhésion, des avocats spécialisés et si possible compétents en droit comparé car les litiges dépassent les frontières.

Ensuite, l’objet de l’action de groupe est actuellement trop restreint : le domaine doit être transversal et permettre la réparation des préjudices individuels homogènes quelle que soit la matière (concurrence, droits fondamentaux, etc). Le système “d’opt-in” est enfin inefficace. Pour bénéficier de la décision, les personnes doivent adhérer au procès au bout de longues années. La notion “d’opt-out”, c’est-à-dire un système dans lequel le groupe englobe tous ceux qui sont dans la même situation, sauf ceux qui décident de s’en exclure, permettrait d’améliorer l’accès à la justice, l’efficience du système juridique et la dissuasion des pratiques illicites.

De manière plus générale, les procédures judiciaires sont beaucoup trop longues, par exemple, Sanofi a été déclaré responsable dans le dossier de la Dépakine au bout de cinq ans et c’est seulement à la suite d’une telle décision que le juge ouvre la période d’adhésion, ce qui permettra aux victimes de demander à faire partie “du groupe représenté” par l’association demanderesse. Or, comme Sanofi a fait appel, ce délai n’a même pas encore commencé à courir… Sans compter que les indemnisations par personne sont très faibles : qui adhérera pour quelques dizaines, voire centaines d’euros ? Qui sera à même de prouver son préjudice au bout de dix ans de procédure ? Ces considérations sont de nature à dissuader les associations d’agir et les individus d’adhérer, ce qui crée un cercle vicieux. L’action de groupe a été adoptée a minima en France, il est temps de la réformer. Elle fonctionne pourtant bien dans d’autres pays européens.

Quels sont les enseignements sont à tirer des autres pays européens ?

L’une des difficultés en France consiste en la capacité des associations à financer leurs frais. J’interviens régulièrement au Portugal et aux Pays-Bas. La démarche y est entièrement différente. D’une part, les actions collectives sont souvent financées par des tiers financeurs des procès, ce qui permet de supporter des procédures qui peuvent coûter des millions d’euros ainsi que l’aléa inhérent à tout procès en justice.

D’autre part, les pays européens où l’action de groupe marche reposent sur le dispositif d’”opt-out”. Cela revient à protéger une majorité, alors qu’en France seule une minorité de personnes pourra in fine bénéficier de la procédure. Cela change le rapport de force avec les entreprises.

Le fort encadrement de l’action de groupe restrictive en France a souvent été présenté comme un moyen de lutter contre les prétendues dérives des class actions aux Etats-Unis. Qu’en pensez-vous ?

Je pense qu’il s’agit d’un argument fallacieux. Les supposées dérives des class actions n’ont rien à voir avec le mécanisme de l’action collective mais avec les modalités du système judiciaire. On reproche aux class actions américaines des condamnations trop importantes, entraînant souvent une confusion inappropriée avec les dommages et intérêts punitifs. On critique des honoraires de résultats trop élevés pour les avocats américains mais ils sont souvent convenus dans le cadre des transactions et en France de telles pratiques sont interdites. Enfin, si une class action arrive au stade du “procès” aux Etats-Unis, elle sera jugée par un jury populaire. Or, cette institution est méconnue des juridictions françaises qui ont à traiter des actions de groupe.

Aux Pays-Bas et au Portugal, de même qu’au Royaume-Uni, les actions de groupe fonctionnent et n’ont pas donné lieu à des excès. Il faut redonner du poids à l’action de groupe en France. Je ne vois pas pourquoi en France le consommateur serait laissé pour compte.

L’an dernier, un texte révisant l’action de groupe a été adopté par l’Assemblée nationale avant d’être retoqué par le Sénat. Quel regard portez-vous sur ce qui était proposé ? Quels sont selon vous les axes d’amélioration possibles du dispositif ?

Pour que l’action de groupe fonctionne en France, il faut que le champ de l’action soit universel, élargir le spectre des personnes pouvant agir aux associations ad hoc, mettre en place l’”opt-out” pour les cas où les dommages sont similaires et favoriser le financement des procès par des tiers. Si la proposition de l’Assemblée nationale de 2023 contient des développements positifs à certains égards, le Sénat est revenu sur les principales avancées. C’est terrible car nous en revenons au bilan actuel. Dans les deux cas, l’”opt-in” demeure de rigueur, ce qui est entièrement inefficace pour les petits litiges.

En outre, la proposition de loi visait à transposer une directive européenne sur les actions représentatives en protection des intérêts collectifs des consommateurs, comme l’ont déjà fait 19 des 27 Etats membres. La France n’a notifié à la Commission européenne qu’une transposition partielle grâce aux règles préexistantes sur les actions de groupe. Une Commission mixte paritaire devait trancher sur les divergences entre le texte de l’Assemblée nationale et celui du Sénat. Toutefois, il n’y avait aucune information publique à cet égard avant la dissolution de l’Assemblée nationale. Encore moins maintenant.




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