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Derrière la folle popularité des spectacles sons et lumière, une aubaine pour le patrimoine


Dans la nuit, la silhouette de la cathédrale de Laon (Hauts-de-France) se détache du ciel étoilé. Au rythme d’une musique électronique, presque cinématographique, la pierre prend vie grâce aux projecteurs installés à quelques mètres de la façade. Les images défilent et couvrent tout l’espace offert par le monument classé historique depuis 1840. Des tours aux trois portails en passant par la rosace, chaque relief est sublimé par les équipes du Monumental Tour qui passent en revue les derniers détails. Dans vingt-quatre heures, 3 000 personnes seront rassemblées face à Notre-Dame de Laon, immergées dans un univers de son et lumière.

Créé en 2019 par le DJ français Michaël Canitrot et placé sous le patronage de la Commission nationale française pour l’Unesco, le Monumental Tour a pour objectif de “tordre le cou aux clichés” tant sur un patrimoine à l’image poussiéreuse que sur une musique électronique cantonnée aux clubs. En cinq ans, 18 évènements ont ainsi pris place dans des lieux exceptionnels en France ou à l’étranger, avec à chaque fois la même volonté de valoriser les monuments. “Par notre travail, on veut changer le regard des spectateurs et leur donner envie de se réintéresser au lieu par le prisme d’un art plus contemporain”, explique Jérémie Bellot, en charge de la création du mapping vidéo, une technique qui consiste à projeter des images à grande échelle sur des surfaces en relief. Michaël Canitrot va plus loin : “En développant le concept, je voulais que les spectateurs deviennent acteurs et contribuent à la transmission du patrimoine pour les générations à venir par leur participation financière”.

Une nouvelle façon de financer le patrimoine

Ces nouveaux spectacles sont une aubaine pour le secteur. Si tous les sites ne justifient pas l’introduction d’expériences immersives dans leur programmation de la même manière, elles permettent de financer la restauration et l’entretien de certains d’entre eux en prenant le relais des financements publics. C’est le cas de la cathédrale de Laon. “Les fortes retombées médiatiques du spectacle de Michaël Canitrot nous donnent de la légitimité pour attirer des financements privés” constate Eric Delhaye, le maire de la ville.

Comme pour tous les événements du Monumental Tour une billetterie solidaire a été mise en place. Chaque spectateur donne ce qu’il veut pour la restauration du patrimoine via l’achat d’un billet compris entre 10 et 50 euros. Cette année, 32 000 euros ont été récoltés pour la restauration du grand orgue de Notre-Dame de Laon, soit un peu plus de 7 % des 450 000 euros nécessaires à sa restauration totale.

Le coût de telles installations peut vite monter. Chaque site adopte alors la stratégie la plus adaptée à ses besoins. Depuis 2019, le château de Vaux-le-Vicomte (Seine-et-Marne) propose de découvrir son histoire grâce à un univers sonore en trois dimensions. Froissements de soie, chuchotements, portes claquées… Equipés d’un casque donnant l’impression d’entendre des sons venant de devant, derrière et sur les côtés, les visiteurs revivent les principales intrigues qui se sont déroulées dans ce lieu. Pour mettre en place ce parcours immersif, le château de Vaux-le-Vicomte a dû trouver 750 000 euros. Après avoir investi 112 500 euros de fonds propres, le château a décidé d’augmenter de 40 centimes chaque billet d’entrée, apportant ainsi 120 000 euros supplémentaires. Pour le reste, en plus de financements par mécénat, le monument a fait appel à des subventions régionales à hauteur de 40 %, selon un rapport du programme Réinventer le patrimoine, un fonds lancé par plusieurs organismes dont la Banque des territoires.

Ce fonctionnement mêlant des fonds à la fois publics et privés se développe dans plusieurs lieux du patrimoine. “Aujourd’hui, les entreprises privées approchent les monuments publics avec une idée de spectacle déjà en tête, détaille Antoine Roland, créateur de l’agence Correspondances Digitales spécialisée dans l’innovation culturelle. Les institutions contribuent à la production par leur expertise ou en leur ouvrant les portes. Mais les projets s’auto-financent.”

C’est le cas pour Aura. Le son et lumière installé au dôme des Invalides verse une redevance au Musée de l’Armée pour la location du site. Le spectacle, qui a accueilli plus de 60 000 spectateurs entre septembre et décembre 2023, a pour vocation de “se produire plusieurs années dans ce lieu magnifique”, précise Stéphane Roisin, directeur général de la filiale Europe et Moyen-Orient du studio Moment Factory, à l’origine du spectacle.

Pour le directeur général, le plus grand changement opéré dans les “business modèles” des lieux culturels repose dans la temporalité de leur programmation : “Les lieux accueillent dans leur parcours permanent de plus en plus d’événements qui s’y installent pour des années.” Une stratégie adoptée dès 2018 par l’abbaye aux Dames de Saintes (Nouvelle-Aquitaine) pour son Voyage sonore 3D. Equipés d’un casque, les visiteurs déambulent au cœur du site guidés par une médiation sonore. Les coûts de production de cette technologie s’élèvent à 600 000 euros. Pour les amortir, l’objectif est de programmer cette expérience pour quatre à sept ans. En 2019, elle a rapporté 89 000 euros de chiffre d’affaires. En 2022, elle a séduit 12 000 visiteurs sur les 50 000 venus à l’abbaye.

Cette nouvelle maîtrise du temps permet de créer une fidélisation des publics tout en agissant sur le plaisir de visite. Par les images, les sons et les couleurs, ces évènements font appel aux émotions des spectateurs, créant des souvenirs sensoriels liés à des lieux précis. Stéphane Roisin parle d’un effet “madeleine de Proust” incitant les visiteurs à revenir. Pour Romain Sarfati, cofondateur du son et lumière Luminescence, installé à l’église Saint-Eustache dans le Ier arrondissement de Paris, “les expériences sensorielles et émotionnelles connectent de manière profonde les spectateurs avec notre histoire collective”.

Une diversification de l’offre

En effet, pour Yann Leroux, psychologue spécialiste du numérique, le succès des spectacles son et lumière vient de leur capacité à “faire travailler tous les sens et à plonger totalement le spectateur dans un univers cohérent, lui procurant du plaisir”. Partant de ce constat, les lieux culturels s’orientent vers des modèles pluriels mêlant toucher, audition, vision et même parfois odorat.

Dans les musées, dont la vocation première est d’apporter des connaissances aux visiteurs, les médiations numériques, associées au simple divertissement, peuvent parfois être vues d’un mauvais œil. Malgré les débats soulevés, le cofondateur de Correspondances Digitales remarque une “certaine maturité sur la question” et “une alliance de plus en plus forte entre les mondes audiovisuel et muséal” traduisant la volonté des institutions de se diriger vers des expositions hybrides. L’exposition ‘Inventer l’impressionnisme. Paris, 1874’ du musée d’Orsay est par exemple couplée à l’expérience immersive ‘Un soir avec les impressionnistes, Paris 1874’. Grâce à un casque de réalité virtuelle, les visiteurs sont envoyés en avril 1874 dans l’univers de la première exposition impressionniste. Ils y côtoient Monet, Cézanne ou encore Renoir. Les deux aspects de la visite ont été réalisées par des commissaires d’exposition et sont en place jusqu’à août 2024.

Lorsqu’un lieu propose d’ajouter de l’évènementiel à sa programmation, il doit “toujours le faire en lien avec son parcours permanent”, insiste Stéphane Roisin. Même si cela implique une approche plus scientifique, moins bien reçue par le public, “l’expérience injecte une nouvelle réflexion dans la médiation et augmente la qualité du parcours permanent”. Elle permet également d’attirer un public plus jeune, souvent difficile à atteindre avec un simple parcours classique. “35 % du visitorat d’Aura aux Invalides ont moins de 30 ans”, remarque Stéphane Roisin.

Premier rôle pour les réseaux sociaux

Un chiffre corroboré par Emeline Tritz, qui cumule plus de 100 000 abonnés sur TikTok et Instagram. L’influenceuse culture partage à sa communauté, constituée à 40 % de personnes âgées de 18 à 25 ans, de nombreux événements et expériences insolites dans des lieux culturels. “Les contenus proposant des spectacles faisant appel aux émotions sont ceux qui fonctionnent le mieux, constate la jeune femme. Surtout lorsque la scénographie transporte le spectateur dans un univers singulier”. Sa vidéo publiée à la suite de sa visite à Aura Invalides a été vue plus de 2 millions de fois.

@emtritz

L’expo du moment à Paris ❤️‍???? C’est l’expo immersive Aura et ça se passe au Dôme des Invalides. J’y étais encore jamais allée alors double surprise en découvrant ce lieu avec l’expérience !❤️‍???? L’expo commence dès aujourd’hui. Il y a deux créneaux par chaque soir, à 20h et 21h, du lundi au samedi✨ ????9,50€ pour les -18 ans, 13,50€ pour les -26 ans et 22€ en tarif plein. ????Tu dois absolument réserver ton billet en ligne avant de venir #pourtoi #foryou #fyp #sortiraparis #thingstodoinparis #quefaireaparis #culturetiktok #expoparis #aurainvalides

♬ son original – Emeline | Culture & Lifestyle

Pour Camille Rondo, maîtresse de conférences au Celsa et spécialiste des enjeux liés à la médiation culturelle et aux dispositifs de communication numériques, les réseaux sociaux jouent un rôle central dans la communication autour de ces événements. “Ce sont les nouveaux livres d’or. On partage des photos et des vidéos sur nos profils pour dire qu’on y a été et qu’on recommande ce spectacle”, explique-t-elle.

Le maire de Laon en a fait le constat : “Lors des deux dernières éditions du Monumental Tour, des vidéos ont été très largement diffusées sur les réseaux sociaux. Aujourd’hui, on voit la retombée sur l’attractivité de la ville”. La vidéo du concert donné l’année dernière, vue plus de 1,5 million de fois sur Instagram, a créé un engouement au-delà des frontières françaises. Des spectateurs sont venus d’Europe, des État-Unis, d’Australie ou encore d’Amérique latine pour profiter du spectacle mais aussi visiter Laon, ses ruelles médiévales et son centre historique. “Ce projet, c’est une rencontre entre différents intérêts. Celui de valoriser le patrimoine, de développer une création artistique incroyable et de donner une certaine attractivité à une ville” remarque, admiratif, Michaël Canitrot.





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