“La situation actuelle n’est pas bonne”, a reconnu Antony Blinken. Vendredi 19 juillet, le secrétaire d’Etat américain s’est exprimé lors d’un forum sur la sécurité à Aspen (Colorado) à propos de la menace du développement d’une arme nucléaire par l’Iran.
Alors que Téhéran nie toujours sa volonté d’en fabriquer une, le responsable des Affaires étrangères américaines a estimé que le pays avait réduit à “une ou deux semaines” le délai nécessaire pour produire les matières fissiles indispensables à la production d’une bombe nucléaire. Une déclaration qui fait écho aux alertes récentes sur l’accélération majeure du programme nucléaire iranien.
Un taux d’uranium déjà proche du niveau militaire
La démarche iranienne s’est enclenchée en 2018. Sous l’impulsion de Donald Trump, les Etats-Unis décident alors de sortir de l’accord international JCPOA. Signé en 2015, cet accord prévoyait de réduire les sanctions économiques américaines contre l’Iran en échange d’une limitation de son programme nucléaire à un usage civil, tel que la production d’électricité.
Si l’Iran reste signataire de cet accord aujourd’hui, Téhéran rompt peu à peu ses engagements depuis trois ans, comme le constate l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA). Celle-ci est chargée d’inspecter les usines iraniennes d’enrichissement d’uranium déclarées par l’Iran : “une usine en surface et une plus grande, souterraine, dans son complexe de Natanz, ainsi qu’une autre enterrée dans une montagne à Fordo”, détaille l’agence de presse Reuters. Selon la degré d’énergie nucléaire que l’on souhaite produire, le minerai d’uranium doit contenir un pourcentage plus ou moins élevé d’un atome particulier : l’uranium 235. En vérifiant ces installations, l’AIEA s’assure donc que ce taux d’enrichissement reste assez bas pour empêcher la production d’une bombe nucléaire.
Bien que l’agence soit limitée dans ses capacités d’inspection depuis 2018, son dernier rapport trimestriel de juin est sans appel : l’Iran est le seul Etat non doté d’armes nucléaires à enrichir de l’uranium jusqu’au niveau élevé de 60 %. Un taux bien au-dessus des 3 à 5 % nécessaires pour le nucléaire civil, et de plus en plus proche des 90 % obligatoires pour une application militaire. C’est ce niveau qui, selon Antony Blinken vendredi, pourrait être atteint par l’Iran en “une ou deux semaines”.
Des capacités pour deux bombes nucléaires
Par ailleurs, l’Iran semble accélérer la cadence. En juin, Téhéran a informé l’agence de l’ONU que le pays allait installer davantage de centrifugeuses dédiées à l’enrichissement sur ses sites de Natanz et de Fordow. Et ce, tout en continuant d’accumuler des stocks de cet uranium enrichi. Dans ce même rapport, l’AIEA estimait qu’à “la date du 11 mai 2024, le stock total d’uranium enrichi de l’Iran s’élevait à 6 201,3 kilos”, bien au-dessus du plafond de 202,8 kilos fixé par l’accord de 2015. Dès lors, l’AIEA estime que la République islamique disposerait désormais de suffisamment de matière “pour deux armes nucléaires, selon la définition théorique de l’Agence”, note Reuters.
Pour autant, le processus d’armement et de miniaturisation de cette bombe pour l’intégrer à un missile balistique prendrait plus de temps que le simple enrichissement d’uranium à un niveau militaire. Cette estimation est toutefois beaucoup plus complexe, variant entre quelques mois et un an, car elle dépend du niveau de connaissance des experts nucléaires iraniens.
Ainsi, les agences de renseignement américaines et l’AIEA croient savoir que l’Iran “a travaillé sur certains aspects de la militarisation […] jusqu’en 2009” dans le cadre d’un “programme coordonné d’armes nucléaires” officiellement interrompu en 2003, rapporte Reuters. Fin mars 2023, le général américain Mark Milley évoquait quant à lui “plusieurs mois” nécessaires pour y parvenir, dans une déclaration officielle citée par le quotidien Wall Street Journal.
Une voie diplomatique incertaine
Toutefois, le secrétaire d’Etat américain Antony Blinken s’est voulu rassurant sur ce point vendredi : “Ils n’ont pas développé une arme, […] mais c’est quelque chose que nous surveillons de très près, bien sûr.” Une tâche de plus en plus difficile : bien que l’Iran répète ne pas chercher à créer de nucléaire militaire, le conseil des gouverneurs de l’AIEA a dénoncé en juin le manque de coopération de Téhéran.
Pour autant, le ministre iranien des Affaires étrangères par intérim, Ali Bagheri, a déclaré cette semaine à au média américain CNN que Téhéran restait attaché à l’accord international de 2015 visant à limiter son programme nucléaire. Le secrétaire d’Etat américain a aussi répété vendredi que les Etats-Unis privilégiaient “la voie diplomatique”.
Une stratégie qui a déjà fonctionné : à l’été 2023, un accord entre l’Iran et les Etats-Unis prévoyant le déblocage de fonds iraniens et la libération de prisonniers avait permis un net ralentissement d’enrichissement de l’uranium iranien. Toutefois, la perspective d’un possible retour de Donald Trump à la présidence américaine en novembre pourrait doucher les maigres espoirs restants.
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