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Refuser de serrer la main d’un député RN est irresponsable, par Denys de Béchillon


Ont été – justement – traités de pignoufs les députés de gauche qui ont refusé de serrer la main du benjamin (Rassemblement national) des députés, Flavien Termet, alors qu’il surveillait l’urne pour l’élection du président de l’Assemblée nationale. Mais ce ne serait pas bien grave s’il ne s’agissait que d’avoir manqué à la courtoisie minimale, parlementaire ou non. Nous savons depuis longtemps qu’il n’y a rien de mieux à attendre de ceux – insoumis ou écolos – qui ont fait de ce genre de comportement leur marque de fabrique. Ils n’allaient pas perdre l’occasion de s’héroïser à bon compte en donnant à voir la fermeté de leurs corps dressés en rempart contre la peste brune. Dont acte. C’est ridicule, mais ce n’est pas dramatique.

Ce qui l’est beaucoup plus – et relève en vérité de l’impardonnable – c’est qu’Olivier Faure, Boris Vallaud et Agnès Pannier-Runacher ont eux aussi refusé de serrer cette main, car cela emporte une trahison complète de l’esprit de responsabilité dont “leur” gauche, dite de gouvernement, se veut gardienne par contraste avec toutes les autres.

Dieu sait pourtant qu’elle nous tympanise avec son amour de la Nation. Elle l’enrubanne dans les plis de sa novlangue, prône “Le vivre-ensemble”, nous enseigne comment il faut s’y prendre pour “faire société” et désigne le Parlement comme le très haut-lieu de Sa présence au monde. Un vrai crédo, chanté dans la ferveur. Comme chez les pires chaisières.

Notre Constitution – que nos amis portent en sautoir quand ça les arrange – enseigne (art. 27) que “tout mandat impératif est nul”. Entendez par-là qu’il est “représentatif” par principe absolu. Cela signifie que chaque député représente la Nation tout entière et pas sa circonscription, ni son parti, ni d’ailleurs ses seuls semblables par le genre, l’âge, la couleur de peau, les origines, les préférences sexuelles, etc. Il incarne et doit servir la Nation, toute la Nation, rien que la Nation. En ce sens, le célèbre glapissement mélenchonien lâché lors de la perquisition des bureaux de LFI en 2018 – “La République, c’est moi !” – ne manquait pas d’exactitude juridique. Dans les occasions protocolaires, où la symbolique joue à plein, la main refusée à un député est forcément refusée à la France. Il ne peut pas y avoir de député paria, ni de sous-député, ni rien qui interdise de voir en lui une fraction valable du pays tout entier ; sauf à laisser entendre qu’il n’y aurait pas de Nation du tout, voire qu’il y aurait en son sein une caste de sous-Français. L’auraient-ils pensé que nos grognards en peau de lapin ne s’y seraient pas pris autrement.

Dieu sait aussi que je ne suis pas suspect de complaisance envers le RN. Il n’empêche. 11 millions de Français relégués à l’état de mauvais sujets, indignes de présence parlementaire parce qu’ils ont voté pour ce parti ? Et tout ça dans un pays qui a fait du pluralisme l’une de ses autres exigences constitutionnelles ? C’est tout simplement honteux, comme il est honteux de se liguer pour empêcher que les députés issus de ces rangs exercent des responsabilités fonctionnelles au sein de l’Assemblée, qui plus est sans manifester l’ombre d’une aversion symétrique pour les élus de LFI. Honteux et complètement idiot si ce n’est franchement suicidaire. Il y a au moins deux raisons à cela.

La première est qu’il est délirant, pour qui ne voit pas en la guerre civile l’objectif ultime de l’action politique, de transformer l’adversaire en ennemi. La deuxième est qu’il est inepte de renforcer ceux que l’on entend combattre. Peut-on croire que l’humiliation subie ne les dopera pas ? Peut-on raisonnablement penser que ces forces politiques obsédées par l’idée que “le système” s’organise depuis toujours pour les priver du pouvoir ne sortiront pas renforcées par la vérification de leurs craintes ? Peut-on “en responsabilité républicaine”, comme on dit au PS, ne pas redouter que ces mêmes forces, nourries d’une compréhensible rancune, ne fassent de ce même pouvoir un usage clanique, fermé, terriblement sûr de lui et, par-là-même, encore plus dévastateur, le jour où elles en jouiront ? Tout cela est atterrant. Pignoufesque, mais surtout irresponsable.




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