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Sebastian Coe : “La cérémonie d’ouverture des JO doit galvaniser et aussi provoquer”


Il a été le grand artisan du succès des Jeux de Londres de 2012. Double médaillé olympique en 1980 et 1984, Sebastian Coe – devenu lord sous Tony Blair, en 2000 – dirige depuis 2015 la World Athletics, la fédération internationale d’athlétisme, la discipline reine des Jeux olympiques. Le champion, toujours élancé et vif à 67 ans, a intégré depuis 2020 le Comité international olympique (CIO) et est vu comme l’un des successeurs potentiels du président de l’organisation, Thomas Bach – qui entretient le flou sur un troisième mandat à partir de 2025. L’hypothèse CIO, minée par ailleurs par d’anciennes affaires de conflit d’intérêts, n’est pas pour l’instant à l’ordre du jour, tant l’ancien athlète se dit concentré sur sa mission actuelle. A la tête de la World Athletics, dont le siège est basé à Monaco, Sebastian Coe s’est distingué par son attitude ferme à l’égard des athlètes russes, qui ne peuvent pas concourir aux championnats, même sous bannière neutre. Le dirigeant ne manque pas non plus une occasion d’afficher son soutien aux athlètes ukrainiens, durement touchés par le conflit en cours.

L’ancien coureur britannique a par ailleurs su moderniser l’image de l’athlétisme, inventant un nouveau format de compétition, plus ramassé, et encourageant les athlètes à communiquer sur les réseaux sociaux, pour inciter davantage de jeunes à s’intéresser à ces sports. Douze ans après les Jeux de Londres, il garde en mémoire le meilleur de cette olympiade, qui a transformé Londres et apporté beaucoup à l’image du Royaume-Uni. Son conseil à son homologue français des Jeux de Paris, Tony Estanguet ? “Ne pas laisser tout ça passer trop vite”, savoir savourer ce qui s’annonce comme des Jeux “fantastiques et extraordinaires”. Pour L’Express, le président de la World Athletics livre sa vision de Paris 2024.

L’Express : En tant qu’ancien président du comité d’organisation des JO de 2012, pouvez-vous nous dire quels sont les ingrédients indispensables à la réussite d’une olympiade ?

Sebastian Coe : Le premier ingrédient indispensable, c’est l’optimisme. Comprendre que les Jeux sont bien plus vastes que toutes les questions d’organisation ou même que les résultats. L’ambition globale doit être de créer des Jeux qui engagent, enthousiasment et même rassemblent le pays. Des Jeux qui y parviennent au niveau national, mais aussi au niveau international : reconnaître que vous êtes, pendant cette quinzaine olympique et paralympique, l’hôte de plus de 200 pays. La cérémonie d’ouverture doit en être le symbole : elle doit galvaniser, exciter et, dans une certaine mesure, provoquer. Sans être trop ésotérique, ou trop chauvine, pour que le reste du monde ne se dise pas que qu’il n’y en a que pour la France. Voilà donc un des défis à relever. Le deuxième est la cohérence des décisions. Le défi des Jeux ne se situe pas dans les deux dernières semaines ou les deux dernières années, mais il s’agit de créer une vision, de la concrétiser à chaque minute de la journée. C’est une question de culture au sein de l’organisation. Il faut s’assurer que vous faites des choses qui sont dans le meilleur intérêt de tous ceux qui sont là, et pas seulement répondre à des contraintes qui vous sont imposées par le Comité international olympique, le gouvernement, ou encore le maire. Ce dont je suis le plus fier à Londres, en dehors des héritages flagrants, ce ne sont pas toutes les choses que nous avons réussies. Ce sont toutes les choses qui n’ont pas mal tourné grâce à notre capacité d’agir très rapidement. Les gens me demandent toujours les choses que j’aurais faites différemment. En réalité, vous les faites toujours différemment parce que votre journée normale au sein du comité d’organisation olympique n’est souvent qu’une série de corrections à mi-parcours. Cela ressemble un peu à l’entraînement d’un athlète. Chaque séance d’entraînement révèle quelque chose. Et c’est souvent la base de la prochaine séance d’entraînement. Ou de la prochaine compétition. En étant capable d’identifier ces nuances subtiles de ce qui ne va pas, on peut rectifier rapidement le tir et pas trois mois plus tard, lorsque le problème est devenu flagrant et plus compliqué à résoudre. La règle d’or demeure de communiquer de manière très ouverte. Plus les choses se compliquent, plus il faut communiquer.

Et vous retrouvez tout cela dans ce que vous avez pu voir de l’organisation des Jeux de Paris ?

Je pense que oui. Chaque olympiade est différente, mais 80 % de la gestion de projet reste la même. Et celle-ci devient de plus en plus uniforme au fur et à mesure que l’on se rapproche de la cérémonie d’ouverture. La variation dans ces 20 % finaux dépend vraiment de la nature de vos Jeux, de votre pays, de votre système politique, de vos structures et de l’approche du CIO. A l’époque, j’ai travaillé dans une grande proximité avec Jacques Rogge [NDLR : président du CIO de 2001 à 2013], j’avais une relation très fluide. Il a été très clair dès le départ sur le fait qu’il ne discuterait jamais des Jeux dans un environnement extérieur, avec des ministres de mon pays ou le maire, sans que je sois présent. De même, je n’aurais jamais discuté du CIO ou de notre engagement sans qu’il soit présent, et c’est ce que nous avons fait pendant sept ans. Cela a très bien fonctionné. Son point de vue était que si vous avez un bon comité d’organisation, il faut lui faire confiance. Il estimait que le CIO devait être vu comme une organisation de contrôle qui travaillait en étroite collaboration dans certains domaines clés. Il ne s’agissait pas de discussions très médiatisées. Elles avaient juste lieu tout le temps.

Douze ans après Londres 2012, avez-vous constaté un impact à long terme des Jeux pour le Royaume-Uni ?

Dans une étude qui a été faite six mois après les JO, 80 % des Britanniques disaient qu’ils aimeraient qu’ils aient lieu à nouveau. 75 % déclaraient que les Jeux avaient eu un impact positif sur leurs enfants. Si vous regardez l’est de Londres, qui était une zone défavorisée se situant au sommet de l’indice de privation au Royaume-Uni, elle s’est transformée en une nouvelle ville avec des maisons abordables, des infrastructures et des installations sportives qu’elle n’avait jamais eues. Enfin, quelque 70 % des personnes interrogées ont déclaré que les Jeux paralympiques avaient réellement contribué à mettre en valeur le handicap et les déficiences, en particulier sur le lieu de travail et dans les établissements d’enseignement. L’héritage a été profond. Du côté du sport, nos équipes olympiques sont plus fortes aujourd’hui qu’elles ne l’étaient en 2012. Nous avons été le premier pays à gagner plus de médailles lors des olympiades suivantes, à Rio puis à Tokyo. L’héritage a donc été très important aussi sur le plan sportif.

Nous vivons actuellement une période tendue, avec plusieurs conflits en cours. Selon vous, qu’est-ce que les Jeux olympiques peuvent apporter au monde en ce moment ? Simplement le pouvoir des symboles et de la performance, ou plus que cela ?

Le mouvement olympique a toujours été plus que cela. C’est l’une des plus grandes démonstrations d’humanité. Il incarne par essence la condition humaine, la nature compétitive des individus et même des nations. Ainsi que l’impact plus large que le sport peut avoir sur tout, de la santé à l’éducation, en passant par la construction de la nation et la cohésion sociale. Le mouvement olympique est très, très puissant. Mais, comme tous les mouvements, il doit continuellement s’interroger sur sa pertinence, en particulier dans un monde qui évolue rapidement et qui change, où les jeunes se posent beaucoup plus de questions morales que ma génération ou celle de mes parents. Ils sont profondément contre les discriminations. Comme pour les universités, les gouvernements, les associations, ils attendent du mouvement olympique qu’il ressemble au monde dans lequel ils vivent. Sinon ils se tournent vers quelque chose qui leur ressemble plus. C’est pourquoi nous devons tous en être conscients dans nos organisations sportives, et dans n’importe quelle organisation.

Vous avez apporté de nombreux changements pour rendre l’athlétisme plus attrayant pour les jeunes. C’est peut-être aussi nécessaire pour le mouvement olympique ?

Ces changements sont bien plus profonds que la simple compétition. Vous savez, par exemple, je suis très fier que, avec la World Athletics, nous soyons la seule organisation sportive internationale dont le conseil d’administration est composé à parité de femmes et d’hommes. Treize hommes, treize femmes. Par ailleurs, pour intéresser les jeunes, il y a aussi ce que nous faisons en ce moment, c’est-à-dire examiner notre produit, voir comment nous faisons la promotion de notre sport, à quoi il ressemble à la télévision, à quoi il ressemble dans les stades, l’introduction de nouvelles compétitions. Mais, surtout, le véritable enjeu, c’est de savoir si nous prenons des positions fortes sur les grandes questions mondiales ou si nous nous contentons de faire comme tout le monde ? C’est aussi important pour les jeunes. J’espère être à la tête d’une organisation qui est en phase avec leurs préoccupations. Et, en particulier, certaines politiques autour du développement durable. Ou d’autres questions moins en vue mais importantes, comme les transferts d’allégeance, parce qu’ils touchent à certaines questions liées à la protection du bien-être des athlètes et même à la traite d’être humains [depuis 2018, la fédération internationale d’athlétisme restreint les possibilités de naturalisation d’athlètes, afin de limiter les dérives dans ce domaine].

Pour conclure sur une note plus personnelle, quels sont, à part l’athlétisme, les sports que vous regarderez avec intérêt pendant les Jeux olympiques de Paris ?

Je suis un grand fan de judo, j’en ai fait par intermittence tout au long de ma vie. Teddy Riner est un de mes héros. Donc, si j’arrive à dégager du temps, ce sera probablement pour aller assister à des compétitions de judo.




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