Quitte à tarder à s’accorder sur un nom, autant choisir le moment le plus opportun pour le dégainer. Une heure dix avant l’interview présidentielle sur France 2, par exemple ? Façon pour le Nouveau Front populaire (NFP) de contraindre Emmanuel Macron à se positionner. Ce qui est chose faite. Mercredi soir, le chef d’Etat a évacué l’idée d’adouber Lucie Castets, candidate officielle de la coalition de gauche : “Le sujet n’est pas un nom donné par une formation politique. La question est quelle majorité peut se dégager à l’Assemblée pour que le gouvernement de la France puisse passer des réformes.”
Une fin de non-recevoir en somme, qui a suscité l’ire des responsables du NFP. “Macron est un personnage dangereux et capricieux”, persifle la cheffe de file des députés insoumis Mathilde Panot sur X. Dans son sillage, la patronne des Verts, Marine Tondelier s’amuse à un drôle de parallèle : “Emmanuel Macron, on dirait mon fils de 5 ans quand il perd au Monopoly Junior”. Sur TF1 ce mercredi matin, Olivier Faure, premier secrétaire du parti à la rose et premier à avoir proposé le nom de l’énarque de 37 ans, surenchérit : “Le président vit dans un monde parallèle. Le réel lui échappe”.
Le réel politique, peut-être. Mais le réel juridique, pas nécessairement. Si l’on se réfère à la Constitution, l’article 8 se borne à indiquer : “le président de la République nomme le Premier ministre”. Une lettre constitutionnelle “courte et obscure”, pointe un professeur en Droit public en clin d’œil à la formule de Napoléon Bonaparte premier consul. Ainsi, l’absence de règles institutionnelles précises oblige à admettre que le locataire de l’Elysée n’est contraint ni par le temps, ni par la configuration du paysage politique.
L’absence de majorité, l’argument clef
Ainsi, les lieutenants de la coalition de gauche ont beau crier tous azimuts qu’Emmanuel Macron “est obligé de nommer le candidat du NFP”, il n’en est rien. Primo, nommer le chef de la majorité à l’Assemblée nationale ne relève que de la coutume républicaine. Deuzio, avec 182 sièges pour le NFP, 168 pour la coalition présidentielle, et 143 pour RN, aucune majorité claire n’est sortie des urnes. “Rien ne justifie que l’on doive se sentir obligé d’accorder son attribut le plus éminent – le gouvernement de la France – à ceux qui occupent moins du tiers des sièges à l’Assemblée nationale”, évacuait notamment le constitutionnaliste Denys de Béchillon dans l’Express.
En outre, sur le plan juridique, quels que soient le nom et la couleur politique du successeur de Gabriel Attal, Jupiter n’est contraint par aucun délai. Il peut ainsi tout à fait attendre la fin des Jeux olympiques et paralympiques, “une période qui impose une stabilité institutionnelle et gouvernementale”, juge Thomas Clay, professeur de droit public. “De manière évidente, jusqu’à la mi-août, on doit être concentré sur les Jeux. Et puis à partir de là, en fonction de l’avancée de ces discussions, ce sera ma responsabilité de nommer un Premier ministre ou une Première ministre”, a fait valoir Emmanuel Macron mardi soir.
D’autant que si François Mitterrand et Jacques Chirac ont nommé en moins de quarante-huit heures le chef de l’opposition à Matignon en 1986, 1993 et 1997, un épisode pourrait plus ancien encore pourrait faire office de précédent. “Après la censure de 1962, de Gaulle a attendu deux mois, et dissous l’Assemblée nationale entre-temps, avant finalement de renommer Pompidou à Matignon”, souligne le professeur de droit à l’université Panthéon-Assas Paris II, Guillaume Drago. Ainsi, qu’importe le caractère inédit de la situation politique, Emmanuel Macron reste maître des horloges et, pourrait-on ajouter, gardien des clefs de Matignon.
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