Son nom figurait au sommet de la liste des cibles d’Israël depuis l’attaque sanglante du Hamas le 7 octobre. Le chef du bureau politique de l’organisation terroriste, Ismaïl Haniyeh, a été tué ce mercredi 31 juillet à Téhéran, dans une frappe imputée à l’Etat Hébreu. La veille, le dirigeant de 61 ans avait participé à la cérémonie d’investiture du nouveau président iranien Massoud Pezeshkian, allié du Hamas et ennemi juré d’Israël. Bien que significative, cette perte ne signe toutefois pas la fin de l’organisation. “On peut détruire une structure politico-militaire, mais plus difficilement une idéologie qui se combat à un autre niveau et sur la durée”, souligne David Rigoulet-Roze, chercheur associé à l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris) et rédacteur en chef de la revue Orients stratégiques.
L’Express : Que représente la mort d’Ismaïl Haniyeh pour le Hamas ?
David Rigoulet-Roze : Ismaïl Haniyeh était une figure centrale du mouvement et, depuis 2017, le chef de son bureau politique résidant à Doha au Qatar. Il était l’incarnation diplomatique de l’organisation à l’extérieur de la bande de Gaza. C’est donc incontestablement une grosse perte pour le Hamas. D’autant plus, qu’historiquement, Ismaïl Haniyeh avait été très proche du fondateur de l’organisation, Cheikh Ahmed Yacine, tué le 22 mars 2004 par les Israéliens, et avait été un temps Premier ministre de l’Autorité palestinienne entre 2006 et 2014, avant de prendre la direction du Hamas entre 2014 et 2017 et de remplacer formellement Khaled Mechaal à la tête du bureau politique il y a sept ans. Du point de vue israélien, c’est donc une grande réussite que d’être parvenu à l’éliminer.
Cette perte significative pour le Hamas n’est toutefois pas totalement une surprise. Dès le mois de novembre 2023, Benyamin Netanyahou avait clairement indiqué qu’il avait chargé le Mossad d’éliminer tous les chefs du Hamas “partout où ils se trouvent”. Ismaïl Haniyeh était donc une cible désignée officiellement. La surprise, c’est plutôt qu’il ait été tué à Téhéran, ce qui soulève d’ailleurs beaucoup de questions sur le système de sécurité iranien. Il est probable que les Israéliens ne souhaitaient pas procéder à son élimination au Qatar, dans la mesure où Doha fait partie des négociateurs impliqués dans les discussions avec le Hamas sur les otages. Cela aurait embarrassé les deux parties.
Ismaïl Haniyeh avait-il été impliqué dans les attentats du 7 octobre ?
Même s’il s’était réjoui de l’attaque du 7 octobre, il n’a vraisemblablement pas été un planificateur ou un donneur d’ordre. Celle-ci a été planifiée par Yahya Sinouar, le chef du bureau politique du Hamas à Gaza, et Mohammed Deif, le chef de sa branche armée. On se souvient en revanche qu’Ismaïl Haniyeh avait tourné une vidéo dans laquelle il avait remercié les participants à l’attaque, juste avant de faire une prière de bénédiction. Il avait donc cautionné politiquement l’attaque et était devenu une cible légitime du point de vue israélien.
Quelles conséquences vont avoir sa mort sur l’avenir du Hamas ?
Dans l’immédiat, cela constitue un nouveau choc à encaisser pour le Hamas, qui est déjà laminé militairement dans l’enclave de Gaza. Politiquement, comme le soulignent certains responsables de l’organisation, dont Sami Abu Zuhri, l’un de ses porte-parole, le Hamas est d’abord une organisation et une idéologie qui ne dépendent pas d’une seule incarnation. Le fait d’avoir éliminé Ismaïl Haniyeh ne va donc pas suffire à faire disparaître le Hamas. C’est le problème de l’objectif déclaré de l’opération israélienne dans la bande de Gaza : l’éradication du Hamas. On peut détruire une structure politico-militaire, mais plus difficilement une idéologie qui se combat à un autre niveau et sur la durée.
D’un point de vue politique et médiatique, il y aura néanmoins des conséquences importantes pour le Hamas. Même s’il a toujours été fidèle à l’ADN historique du Hamas, Ismaïl Haniyeh était perçu comme la figure diplomatique de l’organisation et bénéficiait d’une image moins radicalisée que certains autres de ses membres. Il s’efforçait notamment de défendre la survie politique du mouvement en pariant sur une gouvernance inclusive pour “le jour d’après” en Palestine. Cette stratégie avait été visible récemment lors de l’accord entre les différentes composantes palestiniennes – et tout particulièrement entre le Hamas représenté par Moussa Abou Marzouk et le Fatah par Mahmoud Aloul – formalisé sous les auspices de la Chine à Pékin. A travers l’élimination d’Ismaïl Haniyeh, les Israéliens ont voulu montrer que ce n’est tout simplement pas envisageable.
Qui dirige vraiment le Hamas aujourd’hui ?
A l’intérieur de la bande de Gaza, il s’agit incontestablement de Yahya Sinouar. Il en est la tête pensante au sein de l’enclave, et décide de tout, en plus de valider chaque étape du processus de négociation avec Israël. A tel point qu’il y avait parfois des frictions avec Ismaïl Haniyeh et son bureau politique situé à l’extérieur de Gaza. Notamment parce que Haniyeh jugeait problématique une forme d’intransigeance de Yahya Sinouar sur certains aspects de la négociation. Désormais, la question ne se posera plus et cela renforce mécaniquement le poids de Yahya Sinouar dans l’enclave.
Le Hamas a dénoncé “un acte lâche qui ne restera pas sans réponse”. A quel type de représailles peut-on s’attendre ?
En réalité, le Hamas n’est plus vraiment aujourd’hui en capacité de répliquer. En revanche, la question est plutôt celle de la mobilisation potentielle de la Moukawama, c’est-à-dire les forces de ladite “résistance” à Israël, dont fait évidemment partie le Hezbollah, la milice chiite libanaise pro-iranienne qui vient de voir l’un de ses plus importants chefs militaires, Fouad Chokr, être éliminé par Israël dans son fief de Beyrouth.
Certaines déclarations ont indiqué que l’élimination d’Ismaïl Haniyeh allait “renforcer la détermination des résistants sur tous les fronts à poursuivre le djihad […] et à affronter l’ennemi sioniste”. Derrière ce type de déclaration, qui renvoie pour partie à des éléments de langage, l’idée est tout de même qu’un processus belligène est à l’œuvre. Et il est certain que l’élimination d’Ismaïl Haniyeh ne va pas améliorer la situation au niveau régional.
Faut-il craindre un embrasement de la région ?
A priori, une élimination ciblée n’est pas de nature à déclencher un embrasement multi-fronts. C’est la raison pour laquelle les Etats-Unis s’opposaient à une opération massive d’Israël contre le Liban après le drame qu’il s’est produit sur le Golan, et ce afin précisément d’éviter un élargissement du conflit avec l’ouverture d’un deuxième front avec le Hezbollah au Liban, voire ailleurs. Sous la pression américaine, Israël a donc pour le moment privilégié la stratégie des éliminations ciblées. Mais on n’est jamais à l’abri d’un mauvais calcul aux conséquences précisément incalculables.
En outre, le Hamas est un mouvement d’obédience sunnite, contrairement à la myriade des mandataires pro-iraniens de l’Iran comme le Hezbollah, chiites. Si Téhéran a fait le choix de soutenir le Hamas, ce n’est pas par affinité, mais parce que cette organisation s’inscrit, elle aussi, dans une lutte contre l’Etat d’Israël. Au-delà d’une dénonciation vigoureuse de l’élimination d’Ismaïl Haniyeh, qui entraînera sans aucun doute une réponse, Téhéran n’a pour autant pas l’intention de laisser le conflit devenir incontrôlable sur le plan régional.
L’élimination d’Ismaïl Haniyeh sur le sol iranien constitue un camouflet pour Téhéran…
Indéniablement. On se trouve dans le cadre d’une opération s’étant déroulée à l’intérieur du pays, alors qu’Ismaïl Haniyeh avait été invité pour venir célébrer l’élection du nouveau président iranien Massoud Pezechkian. Il y avait déjà eu des précédents en matière de défaillance sécuritaire, mais l’image que cela renvoie est désastreuse pour le pouvoir iranien, d’autant plus qu’Ismaïl Haniyeh était logé non pas dans un hôtel de la capitale mais dans un complexe supposément sécurisé des Gardiens de la Révolution. A l’inverse, Israël démontre par cette élimination que ses forces sont capables de réaliser une opération spectaculaire d’élimination ciblée en plein Téhéran.
Les discussions autour d’un potentiel cessez-le-feu avec le Hamas sont-elles définitivement enterrées après l’élimination d’Ismaïl Haniyeh ?
Il est incontestable que cela ne va pas les favoriser. Et c’est un euphémisme. Une “fenêtre d’opportunité” avait été signalée récemment avec l’idée que le Hamas avait accepté pour la première fois d’assouplir l’une de ses positions de principe, qui était celle d’un cessez-le-feu définitif préalable. Même si des blocages existaient encore entre les positions israéliennes et celles du Hamas, le secrétaire d’Etat américain Antony Blinken avait fait part d’un optimisme raisonné en indiquant que les discussions avançaient et que l’on approchait de la “ligne d’arrivée”. L’élimination d’Ismaïl Haniyeh, qui poussait en faveur de pourparlers, hypothèque donc clairement la finalisation d’un accord. C’est devenu un scénario très improbable à court terme.
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