Edouard Philippe est “kunderien”. C’est-à-dire qu’il aime pouvoir changer d’avis, convaincu, en lecteur persistant et concentré de l’auteur de L’Insoutenable Légèreté de l’être, que la quête de la vérité pleine et pure a tout d’une chimère. Douter, tâtonner paraît relever, chez lui, d’une exigence, de l’ordre de celles qui ne se discutent pas.
En 2020, l’épidémie de Covid l’a d’ailleurs conforté dans cette idée : on apprend en marchant. Plus les temps semblent troublés, plus l’incertitude devient un droit précieux. “Je n’ai aucun problème à dire ‘ben écoutez les gars, c’est probablement une bonne idée de changer d’avis’, aucun problème, je l’ai fait !”, fanfaronnait-il à la fin du confinement quand on l’interrogeait sur l’évolution de son discours sur le port du masque. Depuis, l’ancien Premier ministre l’a appris à ses dépens : les mots de la veille vous poursuivent le lendemain. Il n’oubliera jamais l’information judiciaire sur la gestion de la crise sanitaire ouverte contre lui par la Cour de justice de la République. De ce virus inconnu, il aurait dû tout comprendre, tout savoir, immédiatement et sans balancement.
L’époque ne tolère ni l’ambiguïté ni le mouvement
A l’impossible, nul n’est tenu : proverbe obsolète. L’époque ne tolère ni l’ambiguïté ni le mouvement. Est-ce pour cette raison qu’Edouard Philippe, interrogé par Le Point sur “ses atouts pour affronter et espérer battre Marine Le Pen” formule cette curieuse réponse ? “Je me prépare pour proposer des choses aux Français. Ce que je proposerai sera massif. Les Français décideront.” Lui qui se plaît à mettre en scène un “recul” depuis son départ de Matignon au début de l’été 2020, ne manquant jamais une occasion de rappeler qu’il prend le temps de travailler, lire, se nourrir intellectuellement, pour, surtout, ne pas se précipiter mais ciseler une vision et des propositions pour le pays qu’il entend, c’est désormais officiel, présider, lui le laborieux donc, n’a que cette vague promesse à énoncer ? Voilà encore agitée l’explication de la “préparation” pour justifier de ne pas répondre à cette interrogation qui ne paraît pourtant ni anecdotique ni prématurée : comment un candidat modéré peut-il l’emporter demain face au Rassemblement national, premier parti de France ?
“Personne ne devrait avoir aucun doute sur le fait [qu’une victoire de Marine Le Pen en 2027] est possible”, déclarait Edouard Philippe un an plus tôt. L’ancien Premier ministre ne souffre donc pas du trouble qui ronge Emmanuel Macron (le déni de réalité) ni même d’une tendance à la minimisation des obstacles qui, devant lui, peuvent se dresser. Plus pernicieux le mal qui le dévore, plus obscur aussi : la conscience de son temps, lequel exige de la radicalité et transforme en mensonges les vérités d’hier.
Sur tout sujet, l’écologie, le féminisme, la sécurité… parler c’est risquer de laisser une trace qui, plus tard, servira d’outil de décrédibilisation. Comment l’ignorer ? La proposition la plus précise qu’il a faite – la retraite à 67 ans – lui colle à la peau. En 2024 (comme en 2023, en 2022, en 2021, en 2020…), on farfouille dans les déclarations passées des responsables politiques pour exhumer une lointaine phrase ou idée désormais dépassée et ainsi pouvoir crier à la faute. Accepter qu’évolue un raisonnement devient la marque des faibles d’esprit ou des mystificateurs. On ne pense bien que si l’on pense une fois pour toutes. La période du monolithique s’ouvre et avec elle l’ère de la prudence. Edouard Philippe s’adapte, qui pourrait le lui reprocher ? Sur bien des sujets, l’ex-locataire de Matignon préfère ne pas laisser d’indices. 2027, horizon lointain. Surtout ne rien dire, ne rien faire qui pourrait, dans quelques mois ou années, nécessiter précision, correction. L’envie de victoire vaut bien quelques sacrifices.
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