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Amiral Pierre Vandier : “Si les dictatures ont la bombe, nous ne pouvons pas renoncer à l’avoir”


L’Express : En quoi l’invasion de l’Ukraine change-t-elle la donne sur le plan nucléaire ?

Pierre Vandier L’Ukraine a rendu ses armes nucléaires soviétiques contre les garanties de sécurité du mémorandum de Budapest de 1994. Mais, vingt ans plus tard, les Russes retournent la table, prennent la Crimée à l’Ukraine. La leçon pour l’Ukraine, latente sur toute la planète, est qu’elle n’en serait pas là si elle avait gardé ses armes. Ensuite, les Russes, dès le début de l’invasion de 2022, ont pratiqué un chantage nucléaire et déclaré que toute interférence mènera à des conséquences effroyables. On appelle ça la sanctuarisation agressive : un territoire conquis se trouve immédiatement couvert par le parapluie nucléaire. Cette approche impériale de la dissuasion rompt avec l’intangibilité des frontières qui prévalait après la Seconde Guerre mondiale.

Quelles conséquences pour les Occidentaux ?

Dans leur soutien à l’Ukraine, ils ne peuvent enlever de leur tête le risque d’une escalade nucléaire. Ils avancent sur les barreaux de l’échelle de l’escalade, à petits pas, en se rapprochant d’un seuil qu’ils ont du mal à identifier. D’où ces intenses débats : donner ou non des avions de chasse à l’Ukraine et des missiles de croisière qui peuvent frapper en Russie. Nous vivons avec une épée de Damoclès, celle d’une Troisième Guerre mondiale. Ce qui se passe en Europe a aussi des résonances en Asie. La Chine pourrait adopter le même genre de posture concernant Taïwan.

Que se passerait-il en cas de guerre nucléaire ?

Le niveau de destruction serait tel que nous cesserons d’être ce que nous sommes. Cela ne veut pas dire que 100 % de la population disparaîtrait. En revanche, 100 % des centres militaires, économiques et de pouvoir disparaîtraient. Pour donner un ordre de grandeur, la dissuasion nucléaire française a la capacité de réduire en poussière l’équivalent de la superficie française en Russie. L’effet serait juste dévastateur. La première tête française fait 100 kilotonnes, contre 20 kilotonnes pour la bombe larguée sur Hiroshima. Tous les dirigeants ont ça en tête.

En quoi ce “troisième âge nucléaire” rompt avec les précédents ?

Le premier âge nucléaire était dominé par la rivalité entre les Etats-Unis et l’URSS. Après la crise des missiles de Cuba [NDLR : tentative soviétique de placer des armes nucléaires à Cuba], on a vu la mise en place de quelque chose de plus cadré et de plus rationnel, notamment avec des traités de limitation des armements. Mais les stocks, des deux côtés, montent au-delà des 30 000 têtes nucléaires. La fin de la guerre froide a mené à une période de désarmement qui caractérise le deuxième âge. La bascule dans le troisième âge débute, elle, quand la Corée du Nord sort du Traité de non-prolifération, produit son plutonium, fait des essais et commence à fabriquer ses bombes. On se rend compte alors que les dictatures ne s’inscriront pas dans une logique de désarmement. Et que si elles ont la bombe, nous ne pouvons pas renoncer à l’avoir.

En quoi ce contexte, plus dangereux, change-t-il la donne pour la dissuasion française ?

Dans son discours de l’Ecole de guerre, en février 2020, le président Macron parlait de l’articulation entre les armements conventionnel et nucléaire. Avec une Russie réarmée et agressive, on a besoin aujourd’hui d’avoir une part conventionnelle capable d’encaisser le premier choc afin de sonder les intentions de l’adversaire et de lui dire : l’affaire est-elle suffisamment sérieuse pour que tu prennes le risque d’être totalement détruit ? C’était le cas dans les années 1980-1990, lorsque la France disposait d’un corps d’armée implanté en Allemagne. Sans un armement conventionnel fort, capable de s’opposer de façon crédible à une agression délibérée et, ce faisant, de tester la détermination réelle d’un agresseur étatique, on se retrouve tout de suite dans le dialogue dissuasif.

Le président insiste sur la dimension européenne de la dissuasion française…

La mise en œuvre des armes nucléaires de la France est du ressort de la France. Mais le président a manifesté le fait que la dissuasion nucléaire française n’était pas un isolat, qu’elle est beaucoup plus globale et collective. La France est la seule puissance nucléaire du continent européen. Il nous faut donc avoir une discussion avec nos alliés, en premier chef avec les Allemands, sur le fait que nous avons, entre les mains, quelque chose qui est aussi à leur bénéfice.




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