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Jérôme Fournel, dircab de Michel Barnier : l’homme-clé entre l’Elysée, Matignon et Bercy


Ceci n’est pas une passation de pouvoirs. Le 11 septembre, dans un salon de l’hôtel Matignon, il y a ceux qui vont partir, ceux qui viennent d’arriver, et un homme qui aurait le droit de manger pour deux. Il s’appelle Jérôme Fournel. Il est le directeur du cabinet du ministre démissionnaire de l’Economie. Il est le directeur de cabinet du nouveau Premier ministre. Michel Barnier et Bruno Le Maire sont là, autour de la table.

L’un n’a pas oublié que l’autre l’avait soutenu lors de la primaire de la droite en 2021. D’ailleurs, le jour même de sa nomination par Emmanuel Macron, juste avant que la nouvelle ne soit officielle, Barnier a téléphoné à Le Maire. Et ils ont parlé de Jérôme Fournel. “Ce sera pour solde de tout compte”, a plaisanté le ministre de l’Economie, aussi agacé que crâneur. Se faire voler deux dircabs en six mois pour renforcer Matignon, c’est que “son” équipe et “sa” façon de travailler doivent avoir un peu de valeur. Pour la mutation du premier – Emmanuel Moulin, prié de servir Gabriel Attal –, Emmanuel Macron avait pris soin de prévenir lui-même Le Maire. Les temps changent… Le soir du 5 septembre, sur le perron de Matignon, le nouveau chef du gouvernement évoquera “changements” et “ruptures”. Le lendemain, il confiera la direction de son cabinet à Jérôme Fournel. Faut-il que rien ne change pour que tout change ?

Jérôme Fournel remplace donc Fournel Jérôme

Ceci n’est qu’un au revoir. Le 13 septembre, Jérôme Fournel est encore dans la cour du ministère de l’Economie, les mains dans les poches au premier rang à côté des ministres, pour le discours d’adieu de Bruno Le Maire. Tiens, le secrétaire général de l’Elysée, Alexis Kohler, passe une tête, de même qu’Emmanuel Moulin. Tout le monde a été, est ou sera à Bercy. Tout ce petit monde – un éco-système.

Résumons : pour préparer le prochain projet de loi de finances, celui dont on prévient qu’il sera impossible à boucler, Jérôme Fournel remplace donc Fournel Jérôme, et c’est à cela sans doute qu’on mesure l’ampleur du changement survenu après la dissolution et les législatives. Michel Barnier n’ignore rien du problème d’image que cela renvoie. Il cherche d’abord un préfet, propose le poste à Michel Cadot, qui décline. Avant de se rendre à l’évidence : il a besoin d’un expert des finances publiques. “Mais, assure l’ami et prédécesseur Emmanuel Moulin, ceux qui sont prêts à faire ce genre de sacrifices se comptent sur les doigts d’une main. Si vous cherchez des gens qui ont l’expérience de la machine gouvernementale, des compétences certaines, dans une tranche d’âge entre 40 ans et 60 ans et qui acceptent les contraintes déontologiques, il n’y en a pas 36 !”

Déjà, certains ministres venus de la droite rigolent : “Ça signifie qu’on n’était pas en total désaccord depuis le début, non ? !” Il faut vite contourner l’obstacle. “Politiquement, c’est le Premier ministre qui fixera la ligne, mais il était dans une optique d’avoir techniquement au moins dans la première phase quelqu’un qui a tout en tête sur le budget”, explique un proche de Michel Barnier. L’ex-commissaire européen a un carnet d’adresses étoffé, mais certains des profils auxquels il aurait pu songer n’étaient pas prêts à faire un aller Bruxelles-Paris avec une date de retour potentiellement rapprochée.

Jérôme Fournel, 57 ans, ne fait pas partie des historiques du Premier ministre. Quand celui-ci, le jour de sa nomination, à 7 heures, réunit à son domicile parisien quelques-uns de ses potentiels futurs collaborateurs, il n’est pas là. Il reçoit ensuite Emmanuel Moulin. Ce dernier lui souffle à son tour le nom de Fournel. Va pour le meilleur spécialiste et tant pis pour ceux, marcheurs de l’aube, macronistes rêvant de révolution, que cette endogamie laisse pantois : “Kohler, Moulin, Fournel… Les types sont copies conformes, bosseurs, techniques, plutôt sympathiques, désintéressés, convaincus que l’Etat leur appartient, et finalement émasculant la moindre velléité hétérodoxe.”

“Alexis Kohler le respecte”

Au moins cette nomination n’empêchera-t-elle pas Emmanuel Macron de dormir. Déjà, parce qu’il ne dort pas, ou peu. Ensuite, parce qu’il connaît Jérôme Fournel mieux que Michel Barnier. Ils se sont croisés il y a longtemps déjà. Lorsque Gérald Darmanin a proposé son nom pour le poste très sensible de directeur général des finances publiques, en mai 2019, le président a approuvé. Enfin, parce qu’il sait que, quand il affiche sa volonté que ne soit pas remise en question la politique de lutte contre le chômage et d’attractivité, il trouvera en lui une et même deux oreilles attentives.

Autant dire que le parfum de cohabitation tant vanté un temps par l’Elysée ne risque pas d’embaumer au point de donner la migraine. Personne n’est dépaysé. Jérôme Fournel connaît le chemin vers la rue du Faubourg-Saint-Honoré, il l’empruntait lorsque, avec Darmanin, il fallait défendre le prélèvement à la source devant le président. “Alexis Kohler le respecte, entre produits de Bercy, on se respecte”, décrit un membre de l’exécutif. “Ils ne sont pas intimes”, tempère une de leurs connaissances communes.

Mais le deviendront peut-être à l’occasion de leurs agapes hebdomadaires du lundi. Car le premier jour de la semaine – et cela ne devrait pas changer – est celui du double déjeuner : Emmanuel Macron partage sa table avec le Premier ministre, tandis qu’Alexis Kohler partage la sienne, dans son bureau, avec le directeur du cabinet de Matignon. Puis, avant le café, les seconds rejoignent les premiers. “Et si tu joues finement, tu pourras même avoir deux desserts”, a certifié Moulin à Fournel quand il lui a rendu visite à Matignon le 10 septembre pour une passation de pouvoirs entre directeurs de cabinet. Au-delà de cette petite astuce, ce sont aussi les dossiers brûlants, les noms de collaborateurs sur lesquels s’appuyer et des précisions sur le fonctionnement avec l’Elysée que le partant a dévoilés au nouveau venu. Bien sûr, rien ne sera tout à fait comme avant : les réunions thématiques, à commencer par celle du vendredi sur l’exécution des politiques publiques, ne devraient plus avoir de raison d’être en ces temps de “non-ingérence élyséenne”– expression ciselée au Palais.

“C’est la mainmise de Bercy sur Matignon”

Dans cette folle période où ceux qui marchent sur la tête sont aussi nombreux que ceux qui veulent rester dans les clous, il y a au moins une certitude : lui ne finira pas député du Nouveau Front populaire – comme l’un de ses prédécesseurs à Matignon, Aurélien Rousseau. Jérôme Fournel a toujours servi des ministres de droite : Luc Ferry, Jean-Pierre Raffarin, Dominique de Villepin, Luc Ferry, Gérald Darmanin, Bruno Le Maire. “Aujourd’hui, le haut fonctionnaire n° 1 en matière financière”, souligne Raffarin. “Un des meilleurs connaisseurs de Bercy dans son ensemble”, ajoute Valérie Pécresse, ministre du Budget entre 2011 et 2012. “Un vrai libéral qui aime l’Etat, une force tranquille, l’une des plus belles intelligences que j’ai rencontrées”, complète Darmanin.

“Le garant de la politique de l’offre : c’est le symbole que Macron a réussi son coup avec la dissolution, lui qui ne voulait en aucun cas être en cohabitation”, grince la gauche. Une huile socialiste n’en met pas dans les rouages : “Comme disait Chaban en 1971, ça continue donc ça ne change pas. Ils ont une panique : il faut quelqu’un qui couvre ce qui a été fait.” Pas de regrets, donc.

Jérôme Fournel sait se tenir – se vêtir, cela reste une interrogation, alors il a reçu un bon pour un costume Jonas & Cie, comme ceux du président, quand il a quitté le cabinet de Darmanin, où l’on s’amusait de le voir plutôt habillé en as de pique. Un haut fonctionnaire, même habitué aux joutes politiques, est là pour appliquer les choix du patron. Mais cela compte, la marque d’un homme. “La nomination de Fournel, c’est la mainmise de Bercy sur Matignon, résume un ancien membre du gouvernement. C’est un techno macroniste, le gardien du temple budgétaire.” Gardien d’un édifice qui s’effondre, bienvenue à Matignon.




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