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Politiques et transparence : l’ère du soupçon permanent, par Eric Chol


“Nous sommes dans un Etat de droit, donc chacun doit pouvoir être contrôlé.” Voilà comment Didier Migaud, le président de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), résumait sa mission au moment où l’on célébrait les 10 ans de l’institution, née dans l’urgence après l’affaire Cahuzac. L’ancien premier président de la Cour des comptes n’échappe pas aux règles de contrôle édictées par sa maison : sur le site de l’autorité (10 millions d’euros de budget annuel, effectif de 75 personnes), apparaissent quand on tape son nom ses déclarations de patrimoine et d’intérêt (de décembre 2023), tout comme celles des ministres ou de très nombreux responsables politiques. C’est ainsi qu’on apprend – mais a-t-on vraiment envie de le savoir ? – que Didier Migaud, 72 ans, dispose (entre autres biens) de deux appartements parisiens pour une valeur de 1 296 000 euros, d’un Mini Countryman Cooper (29 900 euros), ou de parts dans une SCI (161 280 euros)…

L’idée, au départ, est plutôt salubre : pour éviter de nouvelles affaires Cahuzac ou Thévenoud (du nom de ce secrétaire d’Etat qui “oubliait” de déclarer ses impôts, condamné à un an de prison avec sursis), il s’agit de rendre le monde politique plus vertueux, en imposant transparence et déontologie. La HATVP œuvre pour cela et ne fait pas les choses à moitié : l’an passé, elle a reçu 8 816 déclarations d’intérêts, effectué 3 536 contrôles, rendu 438 avis sur des projets de mobilité entre le secteur public et privé. Une énergie qui confine hélas bien souvent au zèle, tant l’institution est mue par des réflexes d’ultraprudence, ou guidée par une idéologie anti “secteur privé”, qui finit par agacer ministres ou collaborateurs du gouvernement.

“Pour moi, il serait plus facile de me faire recruter à l’étranger chez le chinois Huawei que d’entrer chez Orange”, se lamente un ancien très puissant directeur de cabinet du gouvernement sortant, bloqué de toutes parts par crainte de conflits d’intérêts.

La triple peine pour les responsables politiques

Avec la HATVP, c’est en effet la triple peine pour les responsables politiques. Primo, ils sont soumis aux obligations bureaucratiques imposées par la Haute Autorité, et doivent rédiger des déclarations d’intérêts et de patrimoine à tout bout de champ. “J’ai bien dû en faire une vingtaine”, confie une ministre sortante, excédée par cette redondance administrative, qui finit par installer un sentiment de suspicion. Deuzio, le personnel politique doit accepter une certaine dose d’exhibitionnisme, en voyant étaler dans la presse ses déclarations d’intérêts et de patrimoine. Un voyeurisme qui n’est guère de nature à restaurer la confiance entre les citoyens et le monde politique.

Enfin, et c’est sans doute le plus grave, la HATVP multiplie les obstacles pour freiner les départs vers le privé. Elle fait son job, répliquent les puristes. Mais cette hypertrophie de vertu, qui entretient le soupçon permanent de conflits d’intérêts, n’encourage pas les têtes bien faites à tenter l’expérience gouvernementale. La HATVP est sans doute nécessaire, mais elle s’est transformée en machine à baffer. Excessivement vertueuse, elle est devenue une tueuse de talents.




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