A l’intérieur de sa résidence du Number One Observatory Circle, une vice-présidente fait les cent pas, les yeux rivés sur la Maison-Blanche, de l’autre côté de la rue. Le président vient de lui fournir une nouvelle mission : le plan national de lutte contre l’obésité. “C’est un sale coup, c’est personnel, le président sait à quel point je suis mal à l’aise avec les gros… Un secret pour ne pas prendre de poids ? Fermez votre put*** de bouche !”, s’emporte la “VP” Selina Meyer, incarnée par le tourbillon Julia Louis-Dreyfus. Ainsi va Veep : cruel, cynique et sans langue de bois sur les coulisses de Washington.
En 2012, en pleine présidence Obama, cette satire diffusée par la chaîne HBO déboule sur les écrans des Américains. Des millions de téléspectateurs se délectent des mesquineries des bureaucrates de Washington, aussi avides de pouvoir qu’incompétents. “Dans le milieu politique, on dit souvent que la série The West Wing correspond à ce que les Américains aimeraient que la politique soit, que House of Cards est ce qu’ils en pensent vraiment et que Veep ressemble le plus à la réalité”, sourit Meredith Conroy, spécialiste de communication politique à l’université de l’Etat de Californie.
Avec Trump, la réalité dépasse la fiction
En sept saisons, le show rafle 17 Emmy Awards, mais ne résiste pas à l’arrivée de Donald Trump. Avec le milliardaire à la Maison-Blanche, les dérapages et les scandales de corruption éclaboussent à peine les sondages. Les magouilles racontées à l’écran semblent bien ternes et la série s’arrête en 2019. Depuis le 21 juillet, elle connaît toutefois une seconde jeunesse.
Au lendemain de l’abandon de Joe Biden de la course à la présidentielle et de son passage de relais à sa VP, Kamala Harris, les Américains se ruent sur Veep, multipliant son audience par quatre. “Ces chiffres sont impressionnants, juge Meredith Conroy. Il est possible que les électeurs tentent d’imaginer à quoi ressemblerait une femme présidente des Etats-Unis. En tout cas, Veep s’est révélé positif pour les femmes en politique. Il les autorise à être aussi bonnes ou mauvaises que les autres.” Une scène en particulier inonde les réseaux sociaux : on y voit la vice-présidente hilare dans des toilettes après avoir appris que le président devait renoncer à sa réélection. De là à imaginer Kamala Harris en pareille situation…
C’est la magie de Veep : les trajectoires politiques de Selina Meyer et de Kamala Harris se rejoignent d’une manière incroyable. Deux jeunes sénatrices dynamiques, aux idées flexibles et aux donateurs généreux, qui se présentent aux primaires de leur parti, perdent lamentablement mais sont repêchées par le vainqueur – un homme blanc expérimenté – pour devenir vice-présidente… Jusqu’à ce que le destin tourne en leur faveur. Kamala Harris a reconnu elle-même, dans le Late Show, de Stephen Colbert, “adorer” Veep et que “certains passages” lui rappelaient son quotidien.
La vice-présidente ne pousse pas plus loin cette comparaison peu flatteuse. D’une manière subtile, Veep ne révèle jamais l’affiliation politique de Selina Meyer, laissant au téléspectateur le plaisir de croire qu’il regarde le camp d’en face se ridiculiser. “Dans Veep, mon personnage est narcissique, sociopathe et mégalomaniaque, commentait récemment Julia Louis-Dreyfus sur MSNBC. Je ne joue pas Kamala Harris, mais plutôt quelqu’un qui ressemble à un homme politique dont je ne m’abaisserai pas à prononcer le nom…” Un candidat vulgaire, sournois et prêt à tout ? Difficile de deviner son identité.
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