Un simple clou a plongé l’Italie dans un véritable chaos ferroviaire. A l’aube du 2 octobre, le poste électrique qui alimente le système de circulation du nœud de Rome tombe en panne. Les retards s’accumulent, frôlant parfois les quatre heures. Plus de 250 trains sont annulés, des TGV aux Intercity en passant par les convois régionaux. La capitale, dont les transports publics sont déjà engorgés en temps normal, est complètement paralysée. Des répercussions en cascade sur de nombreuses liaisons affectent l’ensemble du réseau, coupant la péninsule en deux.
La circulation est finalement rétablie trois heures après l’intervention des ouvriers de Rete Ferroviaria Italiana (RFI) et de Trenitalia, mais le trafic ne reprendra que très progressivement jusqu’au soir. L’hypothèse d’une cyberattaque ou d’un incident technique est rapidement écartée. “Une entreprise privée chargée de la maintenance a enfoncé un clou dans un câble, explique alors Matteo Salvini,le ministre des Infrastructures et des Transports.Il n’est pas possible d’investir des milliards dans de nouveaux trains et dans le réseau pour permettre ensuite qu’une erreur insignifiante précipite la moitié de l’Italie dans une chute libre.”
700 chantiers en cours, ou en passe de l’être
Si les “désagréments occasionnés” lors de cette journée noire sont exceptionnels, la situation structurelle du réseau ferré italien n’en demeure pas moins préoccupante. Dans son dernier rapport annuel, l’Autorité de régulation des transports (ART) dit enregistrer chaque année quelque 10 000 interruptions sur les lignes transalpines. Leur durée ne cesse de s’allonger. L’ART exige ainsi “un changement significatif de gestion du réseau et de son entretien pour garantir la compétitivité et la viabilité du pays.” La modernisation et le développement des infrastructures ferroviaires figurent pourtant parmi les priorités du plan de relance européen, dont l’Italie est la principale bénéficiaire avec environ 200 milliards d’euros.
Sur les près de 25 000 kilomètres de voies ferrées de la péninsule, 700 chantiers, pour une valeur de 36 milliards d’euros, ont été lancés ou sont en passe de l’être d’ici à 2026. Cette année, plus de 1 200 kilomètres de lignes sont concernés, avec des interventions portant sur l’électrification, la rénovation des gares et la maintenance des ponts, tunnels et voies. “Il y a trop de chantiers, sur lesquels sont mobilisés trop peu d’ouvriers spécialisés, pointe le syndicaliste Alberto Russo. Les nombreuses entreprises privées auxquelles RFI délègue l’entretien de lignes parfois vétustes sont souvent en sous-effectif, avec des ouvriers jeunes et peu expérimentés.”
La SNCF vise 15 % de part de marché en 2030
La ponctualité s’en ressent. Celle des services de transport ferroviaire de voyageurs à longue distance et à grande vitesse s’élevait à 80 % au premier semestre 2024. Elle s’est effondrée à 61 % cet été. Pour Andrea Giuricin, spécialiste en gestion des transports à l’Université Milano Bicocca, le TGV, arrivé en Italie seulement en 2009, est victime de son succès. “Le réseau sur lequel opèrent déjà deux sociétés, Trenitalia – publique – et Italo – privée -, est complètement saturé, constate-t-il. Sur les 1 000 trains qui transitent quotidiennement par la gare de Termini, à Rome, un tiers sont des TGV. Il y a 164 Milan-Rome par jour, alors qu’il n’y a que 90 Madrid-Barcelone, 60 Paris-Lyon et 38 Berlin-Munich. En outre, les liaisons sur le réseau italien sont encore destinées à croître avec l’arrivée des Français, à laquelle nous ne sommes pas du tout préparés.”
En 2026, SNCF-Voyageurs prévoit en effet de franchir les Alpes. Pour l’instant, le trafic ferroviaire entre les deux pays, assuré par Trenitalia, est suspendu dans les deux sens à la suite de l’éboulement de rochers en Maurienne en août 2023. Il devrait être rétabli au premier trimestre 2025. L’ambition affichée par SNCF-Voyageurs est d’atteindre, en 2030, une part de marché de 15 % en Italie. La compagnie française vise, à terme, 13 allers-retours quotidiens, répartis sur deux axes : 9 entre Turin, Milan, Rome et Naples, ainsi que 4 entre Turin et Venise.
“Cette nouvelle concurrence, espère Andrea Giuricin, obligera le gouvernement à se pencher sérieusement sur la congestion du réseau, en répartissant mieux les flux vers des gares jugées jusqu’ici mineures, comme celle de Rome Tiburtina ou de Milan Garibaldi. Mais surtout en rationalisant la circulation sur les lignes trop souvent mixtes qui voient passer aussi bien des TGV, que des trains régionaux ou des convois de fret.” Le gouvernement Meloni affiche d’autres priorités : occupé à réduire l’énorme dette publique du pays, il étudie les modalités pour privatiser une partie du groupe public Ferrovie dello Stato Italiane, l’exploitant du réseau.
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