Voilà quelques années que design et récupération font bon ménage chez les artistes comme les grandes enseignes de déco, qui surfent sur cette vague durable. C’est économique, écolo, en phase avec les questions de pouvoir d’achat et de réchauffement climatique qui agitent l’époque. Sur la Côte d’Emeraude, en Bretagne, la tendance s’installe durablement dans le paysage. Christophe Ballan, un ex-pilote d’hélicoptère bourlingueur reconverti en dénicheur de talents, en réunit quelques-uns au cœur de la presqu’île de Saint-Jacut-de-la-Mer, dans sa galerie des Marins, un ancien garage et un café attenant qu’il a transformés en lieu d’exposition et résidence d’artistes. L’endroit, pensé comme un comptoir maritime, se signale par la fresque colorée du calligraphe urbain SG Goom, qui recouvre une façade voisine. Adepte du “rien ne se perd, tout se transforme”, le graffeur rennais est pile poil dans la thématique du parcours orchestré par le galeriste, opportunément intitulé Déc’Art’Boné (jusqu’au 31 décembre).
Cinq créateurs de la péninsule y présentent des objets et du mobilier détournés de leur usage premier. Anne-Sophie Beaupied récupère rames, pare-battages, bouées ou vieilles armoires du cru pour les métamorphoser en plateaux de table et suspensions peuplés de “Louisette”, ainsi qu’elle a baptisé, en clin d’œil à une grand-mère haute en couleurs, ses poissons “à tendance punk” et ses gallinacés “humanisés”, pas loin de l’héritage surréaliste et de la figuration libre.
La plasticienne partage son atelier jaguen avec Pauline Chalaux, une ancienne voileuse de compétition formée à la couture dans une sellerie de Concarneau, qui a repris, il y a quatre ans, l’activité originale lancée par Anne Drouin-Lebreton en 2006. Sous l’appellation Pauline ADL, elle recycle des voiles de bateaux mises au rebut, issues parfois d’illustres gréements de course, données par des skippers ou des clubs nautiques, pour créer fauteuils, transats, rampes, corbeilles, luminaires… Que des pièces uniques, à la texture et à l’usage différents selon la fonction et l’état du matériau d’origine. On découvre notamment ses lampes, à l’instar des Lilou, cylindres à poser n’importe où, et du modèle Abysses, réalisé en collaboration avec sa comparse Anne-Sophie, dont l’abat-jour aux motifs tracés à l’encre et au crayon repose sur un bois flotté dégoté sur la plage.
Les créations de Nino Gioia invitent, elles aussi, aux horizons lointains. Ce percussionniste italien, qui a sillonné la planète au côté de Manu Dibango, a jeté l’ancre à Saint-Cast, à quelques jets de pierre de Saint-Jacut, il y a une dizaine d’années. Devenu ébéniste, il crée et ajuste des instruments aux sonorités afro-caribéennes, comme ces tambours de bois qui ressemblent à s’y méprendre à de petites consoles d’appoint, la surprise sonore en sus. Concepteur de “meubles nomades”, il taille sur mesure des assises en forme d’étoile de mer et de petites tables basses dont le support évoque une coque de bateau.
Ces dernières sont peintes par Shania Ballan, une jeune artiste dont la palette flamboyante suit le rythme des marées et des saisons. Un graphisme marin déployé en trois dimensions sur le mobilier de Nino Gioia, qui se décline en version pliable-dépliable, prenant des allures de tableau une fois accroché au mur. Enfin, dernier larron de la bande, Arnaud Mercier, ébéniste lui aussi, est un as de la récupération. Il mêle les essences, désassemble d’une main, réassemble de l’autre. Les armoires deviennent banc, les tabourets naissent du mariage arrangé des bois de lit et des plateaux de tables. Une traversée fleurant bon l’air du large.
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