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Michel Barnier : entre le gouvernement et l’Assemblée, deux salles, deux ambiances


Michel Barnier n’en finit plus de téléphoner. Le mercredi 23 octobre, le Premier ministre appelle dans la matinée la députée La Droite républicaine (DR) Virginie Duby-Muller, candidate malheureuse à la vice-présidence de l’Assemblée nationale. Des bisbilles au sein du “socle commun” – la coalition de la droite et du centre – ont provoqué la veille la victoire de l’écologiste Jérémie Iordanoff. Le Savoyard exprime ses regrets à la députée, lui rappelle ses efforts pour éviter ce couac. Le jour du scrutin, n’a-t-il pas appelé les présidents de groupe de la coalition à travailler en bonne intelligence ?

Cela n’a pas suffi. Les rancœurs entre alliés étaient trop fortes, après l’élection surprise de l’insoumise Aurélie Trouvé à la tête de la Commission des affaires économiques quelques jours plus tôt. Provoquée, déjà, par une brouille entre Laurent Wauquiez et Gabriel Attal. “Je ne suis pas ta force d’appoint”, avait lâché le patron des députés DR à son homologue Ensemble pour la République (EPR), soupçonné d’hégémonisme. Déjà, le Premier ministre avait décroché son téléphone pour exprimer ses regrets à son prédécesseur. Michel Barnier, ou l’art de pleurer sur le lait renversé.

“Ils n’ont rien appris, ni rien oublié”

Le négociateur du Brexit revendique la paternité du concept de “socle commun”. Il en constate chaque jour la fragilité, entre ressentiments personnels et divergences idéologiques. Un gouffre culturel sépare la droite et le bloc central, opposants irréductibles pendant sept ans. Cela laisse des traces. LR dresse l’inventaire du macronisme, quand les élus EPR raillent le comportement de parvenu de leurs alliés de circonstances. A l’évocation des députés DR, un fidèle du chef de l’Etat cite Talleyrand, pourfendeur des nobles émigrés de retour en France sous la Restauration. “Ils n’ont rien appris, ni rien oublié.” Qu’on se le dise : les ennemis d’hier sont contraints de faire un bout de chemin ensemble, sans volonté de nouer un lien d’amitié.

Aucun intergroupe ne réunit les députés de droite et du centre. Personne n’en veut vraiment. Laurent Wauquiez, soucieux d’incarner l’alternance en 2027, craint de se fondre dans le macronisme. Gabriel Attal tient aussi à sa singularité, lui qui a organisé un dîner avec les ministres EPR et les invite à se rendre aux réunions de groupe de l’ex-majorité. Tout juste députés LR et centristes ont-ils partagé un pot lundi 21 octobre, au ministère des Relations avec le Parlement. Michel Barnier a passé une tête, échangeant avec les élus. Certains le pressent d’aller plus loin. “Il faut un moment structurant où on serait tous dans la même pièce”, lui a conseillé une députée EPR. Michel Barnier a prévu de revoir les députés du socle, dans un format encore indéterminé. Un proche sourit : “L’insincérité dans le traitement l’ennuie. Inviter les députés pour boire un coup, ce n’est pas son truc.”

“Je ne dois rien à Barnier”

Et puis, que peut-il en espérer ? Michel Barnier connaît ses limites. Il a décidé de rester à distance de la vie des groupes parlementaires, et ne pas dégainer le martinet au moindre couac. Une stratégie : il juge que les députés trop joueurs en seront comptables devant les Français. Une nécessité, aussi. Le Premier ministre s’exposerait aux coups et mesurerait sa faible autorité sur le socle commun. Ses membres nourrissent un sentiment ambivalent envers le chef de gouvernement. Ils ne peuvent pas le renverser, sous peine de subir un procès en irresponsabilité politique. Mais se sentent indépendants de ce chef de gouvernement nommé par Emmanuel Macron au terme d’interminables palabres. Après tout, il n’a pas mené leur campagne aux législatives ! “Je ne dois rien à Barnier”, tranche un ancien ministre.

Cette absence d’autorité s’observe dans la répartition chaotique des postes à l’Assemblée. Mais aussi dans l’examen du budget. Chaque camp agit dans son couloir et poursuit des objectifs politiques distincts. Les groupes du socle commun n’ont déposé aucun amendement commun. Ils s’opposent parfois, comme sur la pérennisation de la hausse de la fiscalité sur les hauts revenus. Convergent aussi contre le gouvernement, pour supprimer la baisse des allègements des charges patronales.

Les présidentiables hors du gouvernement

Au moins Michel Barnier peut-il se réfugier dans un havre de paix : son gouvernement. Tout n’y est pas rose. Il y a bien cette traditionnelle rivalité entre Beauvau et la Place Vendôme, mais elle fait presque le charme de tout exécutif. Et que serait un gouvernement sans les critiques de ministres sur leurs budgets, toujours trop maigres ? Mais le Premier ministre peut exercer son autorité sur cet édifice. Il a réuni Bruno Retailleau et Didier Migaud à la suite de leurs anicroches, et recadré la ministre de Transition écologique Agnès Pannier-Runacher après sa sortie sur son budget.

Les membres du gouvernement ont ainsi noué une entente cordiale. Bruno Retailleau et son homologue chargé de l’Europe Benjamin Haddad ont bâti une relation de confiance, quand le ministre des Transports François Durovray a le sentiment de “parler la même langue” qu’Agnès Pannier-Runacher. Tous échangent sur une boucle Signal. “On y échange des informations de dimension collective”, glisse un membre du gouvernement. Les recettes de cuisine ou conseils ciné attendront.

Assemblée, gouvernement. Deux salles, deux ambiances. Un stratège LR sourit du décalage. “Il n’y a pas de candidat à la présidentielle au gouvernement, donc cela se passe bien. Il y en a à l’Assemblée, cela pollue. Imaginez un exécutif avec Wauquiez, Attal et Darmanin. Cela serait un cauchemar !” Avant la formation du gouvernement, Nicolas Sarkozy confiait à un cadre DR l’importance d’y nommer des poids lourds, afin de leur lier les mains. Michel Barnier a fait le choix inverse. Ce qu’on gagne en tranquillité en Conseil des ministres, on le perd dans l’hémicycle.




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