A 9h30 précises, les notes si reconnaissables de la musique officielle des Jeux olympiques 2024 retentissent dans le hall du gymnase Saint-Exupéry de Blagnac, en périphérie de Toulouse. Après d’interminables heures d’attente, les portes vitrées du bâtiment s’ouvrent enfin aux centaines de passionnés, brocanteurs, revendeurs et autres curieux venus participer à la dernière grande braderie organisée par le Comité d’organisation des Jeux olympiques (Cojo) en ce dimanche 27 octobre. Xavier, Marie, Simone et Stanislas sont prêts – depuis quelques minutes déjà, le groupe d’amis a rangé les chaises de camping, plaids et couvertures de survie dans lesquels ils viennent de passer la nuit. Venus spécialement de Paris, ces collectionneurs n’ont pas hésité à sacrifier quelques heures de sommeil pour camper devant le centre sportif, et ainsi éviter de se faire “piquer” les objets les plus convoités. Leur plan a fonctionné : ils seront parmi les premiers à entrer dans le gymnase, où des centaines de cartons ont été déballés la veille par des équipes de bénévoles.
Les Franciliens savent très bien ce qu’ils recherchent. D’un regard, ils balaient les tables sobrement disposées en forme de U, recouvertes de toutes sortes de goodies, vêtements, accessoires et objets de décoration issus de l’organisation. Sans s’arrêter devant les pin’s, gourdes, crèmes solaires ou tours de cou vendus pour un à deux euros, le groupe se dirige directement vers les panoplies complètes de bénévoles, porteurs de flamme et officiels, dont les tee-shirts, shorts, pantalons ou chaussures sont vendus entre 10 et 40 euros. Marie fonce sur une affiche officielle des Jeux, tandis que Xavier cherche sa taille dans le lot de coupe-vents bleu marine distribués aux membres du staff durant la compétition. Simone, elle, tente de compléter sa liste établie depuis des jours : sans même regarder le prix de chaque objet, la Parisienne attrape des parasols, une montre, une affiche, une série de vestes et tee-shirts de toutes les couleurs et de toutes les tailles, des baskets bien trop grandes pour elle mais “qui correspondent à la pointure de [s]on fils”… Alors que la vente est limitée à 20 articles par personne, il faudra faire des choix. Pour garder le fameux bob des volontaires, la mère de famille laisse de côté la panoplie blanche et or des porteurs de flamme.
Un grand sourire aux lèvres, Simone passe finalement en caisse et débourse les 355 euros de son panier sans sourciller. “C’est tout ? !” s’exclame même l’acheteuse devant le regard surpris de la jeune femme chargée de la vente. “D’habitude, j’en ai plutôt pour 500 à 600 euros !” assure-t-elle. Depuis l’annonce de l’organisation des braderies des JO, en septembre dernier, cette passionnée raconte avoir participé à “sept ou huit” de ces événements, principalement en région parisienne. De quoi remplir une pièce entière de son appartement, pour le moment jonchée de cartons. “Mais je compte bien la décorer dès que possible. Ce sont des objets uniques, qui témoignent d’un événement qu’on ne vivra qu’une seule fois dans sa vie”, fait-elle valoir. “Le plaisir, c’est de tous les avoir, de trouver les couleurs ou les tailles que l’on n’a pas encore”, précise-t-elle.
“Faire vivre l’esprit des Jeux”
Ni les milliers de participants à Paris, ni les heures de queue à Nanterre, ni la vigilance rouge pluie-inondation à Nice n’ont dissuadé la quinquagénaire de se rendre à ces braderies : à chaque fois où presque, Simone a passé la nuit devant les gymnases, bâtiments municipaux ou centres commerciaux mis à disposition du Cojo par les villes partenaires. Au point de se lier d’amitié avec d’autres collectionneurs, qui retrouvent “les mêmes têtes à chaque événement”. “Nos familles ou nos amis ne nous comprennent pas toujours. Ici, on a trouvé des gens qui partagent la même passion”, confie, ravie, son amie Marie.
“C’est exactement ce qu’on cherchait : faire vivre l’esprit des Jeux, en permettant à tous ceux qui ont vécu un été magique de prolonger un peu le plaisir”, souligne Line Malric, adjointe au sport à la mairie de Blagnac. L’élue a dû s’adapter : le Cojo, qui avait initialement prévu une dernière braderie à Nice le 17 octobre, a décidé d’organiser une ultime date à Blagnac face au succès de l’événement. “On a monté tout ça en moins d’une semaine. J’ai vite trouvé les volontaires, très pressés de porter l’uniforme vert une dernière fois”, s’amuse l’adjointe. En ce dimanche matin, la présence de ces bénévoles est plus que nécessaire : plus de 2000 personnes se sont présentées au gymnase Saint-Exupéry, espérant acquérir leur “petit bout de JO”.
Une popularité qui ne surprend plus les organisateurs – en 24 dates, plus de 350 000 objets ont ainsi été achetés par les brocanteurs pour 1 à 60 euros ou cédés aux collectivités partenaires, toutes membres du label “Terre de Jeux 2024”. Le bénéfice total des ventes – sur lequel le Cojo n’a pas souhaité communiqué – revient entièrement à l’organisme, qui précise que sans ces braderies, “ces objets auraient été détruits ou recyclés”. “Ça aurait été dommage de ne pas en profiter, surtout quand on voit la popularité de certains objets !” souligne Carole, Toulousaine bénévole pendant les Jeux de Paris et à nouveau présente pour la vente de Blagnac. Placée devant les stands de bobs bariolés des volontaires, la jeune femme sourit en évoquant le succès de ces chapeaux durant les Jeux. “Tout le monde en voulait un, certains se sont même fait piquer le leur ! Un policier m’a proposé d’échanger mon bob avec son calot, mais c’est tellement précieux que j’ai dit non”, raconte-t-elle.
“Il y a de l’argent à se faire”
La popularité du bob est telle que les organisateurs ont limité la vente à un couvre-chef par personne, pour la modique somme de 25 euros pièce. Mais pour certains visiteurs, l’investissement est plus qu’intéressant : sur Internet, des profils de revendeurs proposent l’objet à 75, 80 ou même 100 euros pièce. Sur les sites spécialisés dans les vêtements de seconde main, les produits considérés comme “rares”, comme les “packs” comprenant la panoplie complète des bénévoles ou certains coupe-vent, sont également revendus cinq à dix fois le prix proposé en braderie, atteignant parfois plusieurs centaines d’euros pour une simple veste. “Edition très limitée, quasiment introuvable !” se targue ainsi un vendeur sur son profil, proposant un coupe-vent bleu marine à 420 euros. “Il y a de l’argent à se faire, malheureusement”, peste Marie, qui a vu le nombre de revendeurs se multiplier dans les files d’attente des braderies auxquelles elle a participé.
“Ils prennent de grosses quantités, font la queue seuls puis sont rejoints en dernière minute par 20 personnes, ou coupent tout simplement la file”, regrette la trentenaire, blasée devant les stratagèmes peu fair-play de ces revendeurs. Au fil des événements, son groupe d’amis assure ainsi avoir vu “de faux invalides venir avec des béquilles pour ne pas patienter”, des personnes à mobilité réduites entrer en priorité avec “six ou sept accompagnants”, ou même un homme “se changer plusieurs fois pour couper la queue sans se faire repérer par les vigiles”. A tel point qu’en ce dimanche matin, la mairie de Blagnac a préféré faire appel à la police municipale pour surveiller l’événement, tandis qu’un gardien a veillé toute la nuit sur les dizaines de kilos d’objets déchargés la veille dans le gymnase. “Je n’aurais vraiment jamais cru que ça puisse fonctionner à ce point”, s’étonne Carole entre deux ventes. A quelques mètres d’elle, Xavier a enfin trouvé son coupe-vent bleu marine, dans la taille qu’il souhaitait. Il repartira avec plus de 400 euros de produits – et la sensation d’avoir prolongé de quelques heures “la magie des Jeux”.
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