Réunis, ce 7 novembre, sur les bords du Danube, pour un somptueux dîner au Parlement de Budapest, les dirigeants des Vingt-Sept risquent de trouver le repas un peu indigeste. Au menu : comment l’Union européenne doit-elle se préparer au retour de Donald Trump ? En prime, ils vont devoir supporter les sourires ravis du maître de cérémonie, Viktor Orban. Et peut-être même trinquer avec lui à la victoire trumpienne…
La veille, le Premier ministre hongrois avait été le premier à célébrer la victoire de son “ami”. Car le triomphe du candidat républicain, c’est un peu le sien. Les deux hommes affichent la même aversion pour les “élites occidentales”, ils évoquent tous les deux dans les discours la lutte contre l’immigration et veulent mettre fin aussi vite que possible au conflit russo-ukrainien. Et n’oublions pas leur estime commune – qui vire parfois à la fascination – pour le président russe, Vladimir Poutine.
Ce soir, en évoquant le cataclysme géopolitique à venir, les Vingt-Sept mesureront sans doute à quel point l’Europe risque de se retrouver “seule au monde”.
Avec un ami comme Trump, pas besoin d’ennemis
Car avec des “alliés” comme Donald Trump, les États membres n’ont pas besoin d’ennemis. Pourfendeur du multilatéralisme, celui qui a fait du slogan de Ronald Reagan (“Make America great again“) son étendard, ne va pas faire de cadeaux aux Européens. De toute évidence, il se comportera avec eux – comme avec ses ennemis – de façon purement transactionnelle. À Bruxelles, on s’attend ainsi à un terrible bras de fer commercial avec son administration. Et tous attendent avec angoisse le nom du futur Secrétaire au trésor américain, celui ou celle qui mettra à exécution la menace de Donald Trump d’augmenter les droits de douane d’au moins 10 % pour ses “alliés” européens…
Sur le plan diplomatique, Trump tentera certainement de privilégier les relations bilatérales, une stratégie qui risque de mettre à mal l’unité européenne. “C’est le grand danger, prévient un diplomate, à Bruxelles. Elle lézarderait le front bruxellois et provoquerait des chocs violents, susceptible de provoquer une dislocation.”
S’il y a bien un sujet sur lequel portent les inquiétudes, c’est celui de la défense. Actuellement, seuls 23 pays de l’Otan (dont 16 européens) sur 32 respectent le ratio de 2 % du PIB préconisé par l’Alliance. Nul doute que le prochain président américain mettra une pression maximale sur ses partenaires atlantiques pour qu’ils atteignent tous ce niveau, voire qu’ils le dépassent, à l’instar de la Pologne, qui y consacre désormais 4,1 % de son PIB. Surtout, Trump remettra très certainement en cause les “fondamentaux”, comme le poids des États-Unis dans l’Otan, la présence des forces américaines sur le sol européen et la décision de l’administration Biden d’installer de nouveaux missiles en Allemagne en 2025.
L’Europe, cette “Belle endormie”, a enfin pris conscience du danger, mais elle n’est pas encore totalement sortie du sommeil. Accéder à cette autonomie stratégique chère, notamment, à la France, suppose deux choses.
D’abord, que les 27 se mettent à produire des équipements militaires afin de moins dépendre de l’Amérique. Entre 2022 et 202, 78 % des achats d’armes réalisés par les États membres l’ont été avec des pays non-européens ! Or, “l’ère de la sous-traitance géopolitique est révolue”, comme le rappelait le Premier ministre polonais Donald Tusk, ce 2 novembre.
Attendre… ou agir
Ensuite, les Vingt-Sept doivent mettre des moyens en face de leurs ambitions. Paralysés par une Allemagne qui, jusqu’à l’éclatement de la coalition au pouvoir, ce 6 novembre, excluait tout endettement supplémentaire, les Européens sont bloqués. Et ils le seront jusqu’en mars 2025, date à laquelle des élections anticipées pourront être organisées outre-Rhin. Que faire ? Attendre ? Et répéter en boucle que l’Europe doit “prendre ses responsabilités” et “qu’elle ne doit plus compter que sur elle-même” ? Ou agir, en trouvant dès maintenant des moyens d’investir dans notre défense – à l’image des Ukrainiens qui, excédés de voir les armes occidentales arriver à doses homéopathiques, mettent en place une industrie nationale de défense.
À Bruxelles, une personne travaille activement à ce sujet. Future cheffe de la diplomatie européenne, Kaja Kallas prépare un Livre blanc sur la défense européenne, qui sera présenté aux Vingt-Sept en mars prochain. Sans doute l’ex-Première ministre estonienne reprendra-t-elle, dans ses préconisations, l’idée d’un emprunt commun de 100 milliards d’euros pour financer l’industrie de défense. Et si les Allemands n’ont pas, d’ici là, réglé leurs problèmes de gouvernance, et qu’ils s’opposent, encore et toujours, à l’endettement ? “Il faudra trouver une solution, et moi, j’en ai une !”, s’exclame Enrico Letta, ancien Président du Conseil italien et auteur d’un livre qui vient de sortir chez Odile Jacob, Des idées nouvelles sur l’Europe et fourmille d’idées pour moderniser l’UE. “Ces 100 milliards, on les trouve dans le Mécanisme européen de stabilité [NDLR : un fonds commun créé pour aider un État membre en difficulté financière]. Pour les affecter à la défense européenne, il faudrait juste procéder à un petit changement de statut.”
À Bruxelles, on évoque aussi d’autres pistes. “La Banque européenne d’investissement devrait pouvoir investir directement dans des programmes de défense”, suggère notre diplomate. Bref, dépasser le stade de l’incantation et anticiper un “scénario du pire” qui, depuis la nuit du 5 novembre et la victoire de Trump, n’est plus du tout improbable. Celui d’une Europe qui se retrouverait seule face à Vladimir Poutine.
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