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En France, l’impossible hommage national aux victimes du Covid-19


Quelques fleurs, une poignée d’élus locaux, et une inscription en lettres d’or gravée dans le marbre : “Pour les victimes du Covid-19, nous ne les oublions pas”. Le 26 octobre dernier, Patrice Barrier, maire de la commune de Taissy (Marne), a solennellement inauguré une plaque commémorative en hommage aux victimes de la pandémie, installée dans le jardin du souvenir du cimetière local. “C’est avant tout symbolique : on a vite fait d’oublier les dizaines de milliers de morts du Covid, et la manière dont certains sont partis”, avance l’élu, près de cinq ans après l’annonce du premier mort du virus, en Chine. Dans cette commune d’un peu plus de 2000 habitants, située à une dizaine de kilomètres de Reims, peu d’administrés ont fait le déplacement en ce samedi d’octobre. Mais au premier rang, un septuagénaire se félicite de l’hommage du jour : Lionel Petitpas, résident de la ville voisine de Cormontreuil, évoque une “petite victoire”.

Depuis plus de quatre ans, l’homme se bat pour convaincre l’exécutif d’organiser une journée ou une cérémonie d’hommage national en l’honneur des morts du Covid et des soignants – jusqu’à présent sans grand succès. En parallèle, son association, baptisée “Victimes du Covid-19”, a démarché “une dizaine” de municipalités à travers la France afin de réaliser des commémorations locales. À Cormontreuil, Châlons-en-Champagne (Marne), Troyes (Aube) ou Talant (Côte d’Or), des stèles ont ainsi été érigées, des arbres plantés, des plaques gravées, des cérémonies organisées. Mais au niveau national, toujours rien.

“Ce n’est pas faute d’avoir essayé”, soupire Lionel Petitpas, qui a lui-même perdu son épouse Joëlle des suites du Covid, le 29 mars 2020. Le retraité a envoyé une douzaine de lettres au président de la République, à différents ministres et élus locaux. À ses côtés, d’autres associations de victimes ou de soignants, comme “Coeur vide 2019”, l’Institut Covid Ad Memoriam ou la Fédération hospitalière de France (FHF) continuent de réclamer la création d’un hommage national. “Mais rien n’y fait, la situation est bloquée. On a l’impression qu’on s’est joué de nous”, regrette Sabrina Sellami, vice-présidente de Coeur Vide 19.

“La balle était dans le camp de l’Élysée”

Pendant plusieurs mois, ces associations ont cru à la réalisation de leur demande. L’exécutif leur a transmis plusieurs courriers de réponse. Dans ces lettres, que L’Express a pu consulter, la présidence de la République indique par exemple “que les réflexions relatives à l’instauration d’une journée dédiée à la mémoire de celles et ceux qui ont été emportés par la Covid-19 se poursuivent” (mars 2021), tout comme “les réflexions relatives à la manière de rendre hommage” à ces victimes (mai 2021). En avril 2021, à la sortie d’un conseil des ministres, le porte-parole du gouvernement Gabriel Attal entretient l’espoir des familles, indiquant devant la presse “qu’il y aura évidemment ce moment d’hommage et de deuil pour la Nation”.

En juillet 2021, à force de sollicitations, plusieurs associations décrochent un rendez-vous avec des conseillers de Jean Castex à Matignon. “On nous a alors demandé notre cahier des charges, nous avons évoqué des dates, des lieux qui seraient pour nous symboliques… Ils prenaient note de tout. À ce moment-là, nous avons réellement cru que ça allait se faire”, raconte Sabrina Sellami. “À l’époque, le Premier ministre a fait passer un avis favorable à l’organisation de cette journée d’hommage au président de la République. La balle était dans le camp de l’Élysée”, raconte un ancien conseiller de l’exécutif à L’Express. Mais les mois passant, aucun arbitrage définitif n’est réalisé.

Sur les demandes renouvelées des familles de victimes, de nouvelles rencontres s’organisent, en février 2022, puis en novembre de la même année. Cette fois accueillies à l’Elysée, en présence des conseillères santé successives d’Emmanuel Macron, Anne-Marie Armanteras et Katia Julienne, les associations déchantent. “Ça a été un peu la douche froide : on a compris que rien n’était fait ni garanti, que le Covid n’était pas terminé et que, par conséquent, ce n’était pas le bon moment… Sans qu’on nous dise clairement que c’était non”, se souvient Sabrina Sellami. En février 2023, une dernière réunion a lieu à l’Elysée, à laquelle assiste une nouvelle fois Katia Julienne, ainsi que le conseiller mémoire du président de la République, Bruno Roger-Petit. “On a eu une oreille attentive. Mais une nouvelle fois, ils n’ont pas donné de réponse claire, en indiquant qu’ils nous recontacteraient”, assure Lionel Petitpas. “Cela fait presque deux ans, et nous n’avons eu aucune nouvelle”, soupire-t-il. Contacté, un conseiller de l’exécutif confirme que “le sujet est toujours à l’étude”, mais que “les changements de l’année écoulée […] ont pu ralentir le processus sans remettre en cause sa pertinence”. “Nous sommes très déterminés à ce que [le sujet] puisse déboucher”, est-il ajouté.

“Ne pas réveiller les polémiques”

Dans l’intervalle, certaines personnalités politiques se sont emparées de la question, à l’image du Pr Philippe Juvin, chef du service des urgences de l’hôpital Georges Pompidou et député des Hauts-de-Seine. Le 17 septembre dernier, l’élu a déposé une proposition de loi instituant une journée d’hommage aux victimes du Covid chaque 17 mars, date anniversaire du premier confinement. Avant lui, les députés Matthieu Orphelin (EELV), Frédéric Valletoux (Horizons) ou Patricia Mirallès (Renaissance) avaient déjà planché sur de telles propositions, sans qu’aucune n’aboutisse. “Je pense que d’autres préoccupations politiques sont apparues, en même temps qu’une volonté officieuse des uns et des autres de passer à autre chose”, estime Philippe Juvin. Malgré tout, le médecin martèle qu’il ne “lâchera rien”. “Peut-être parce que j’ai vécu cette crise de l’intérieur, et que j’ai vu des personnes mourir dans l’exercice de leur métier ou seules à l’hôpital, alors qu’elles n’auraient pas dû”, souffle-t-il.

Nommé ministre de la Santé de février à septembre 2024, Frédéric Valletoux – par ailleurs ancien directeur de la FHF -, avait lui-même évoqué dans Le Parisien vouloir remettre le sujet sur la table, l’hiver dernier, indiquant “tout faire pour” inscrire dans l’agenda national une journée d’hommage pour les victimes du Covid. “J’avais déjà rencontré Emmanuel Macron le 17 mars 2021 pour lui proposer cette idée, et il m’avait donné un accord de principe”, soulignait-il alors. Mais jusqu’à présent, sa “piqûre de rappel” ne semble pas avoir eu d’effet sur le président de la République.

“Cette période de Covid a été très conflictuelle, y compris sur la gestion des morts et la privation du deuil. Il y a peut-être une volonté de ne pas réveiller ces polémiques-là, à un moment où le chef de l’État est au plus bas de sa popularité”, avance l’historien Jean Garrigues, interrogé sur le maintien de ce “flou” présidentiel. Ce spécialiste d’histoire politique rappelle par ailleurs que les journées d’hommage national sont habituellement dédiées aux victimes du terrorisme ou aux soldats et civils morts pour la France, tandis que les cérémonies d’hommages choisies par Emmanuel Macron depuis le début de sa présidence se sont plutôt concentrées sur “de grandes figures historiques ou culturelles”. “Là, on serait plutôt sur un hommage anonyme et collectif, qui correspond moins à ce type de cérémonial. Il n’y a d’ailleurs jamais eu d’hommage national pour les victimes de la grippe espagnole, du sida ou du cancer… Ce qui risquerait de générer des formes de compétitions mémorielles”, pointe-t-il.

Reste qu’aux États-Unis, au Royaume-Uni, en Belgique, en Allemagne, en Italie ou encore en Espagne, des hommages nationaux ont bien eu lieu depuis 2020, aiguisant la volonté des associations françaises d’obtenir, elles aussi, leur commémoration. En attendant un éventuel feu vert présidentiel, la fondatrice de l’Institut Covid-19 Ad Memoriam Laëtitia Atlani-Duault continue d’organiser, chaque 17 mars, ses propres cérémonies d’hommage, en partenariat avec la FHF. En 2025, une journée de colloque sera ainsi organisée à Paris, avec un thème évocateur : “Comment construire les mémoires de la pandémie ?”. “On espère vraiment qu’une annonce sera faite de la part du gouvernement à cette occasion”, confie l’anthropologue à L’Express. Selon le décompte des associations, la pandémie de Covid aurait causé la mort de “170 à 180 000” personnes en France depuis 2020.




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