L’acte II des manifestations de la colère paysanne a débuté en France ce lundi 18 novembre. Au Cannet-des-Maures dans le Var, quelque 300 agriculteurs ont déposé de la terre sur la route et planté des croix symbolisant la mort de l’agriculture française, qu’ils jugent menacée par l’accord de libre-échange entre l’Union européenne et les pays latino-américains du Mercosur. Environ 80 actions symboliques du genre sont menées par l’alliance syndicale majoritaire FNSEA-JA sur le territoire, prélude d’un nouveau cycle de mobilisation qui pourrait s’avérer aussi mouvementé que celui qui a secoué la France en février dernier sur fond de crise générale dans l’agriculture. Négocié depuis 25 ans par l’UE, cet accord pourrait être ratifié d’ici décembre, et déclenché une guerre froide entre Paris et Berlin.
Partout dans les grands pays producteurs, les organisations agricoles dénoncent elles aussi le projet d’accord. L’inquiétude est vive concernant ces produits agricoles qui seraient exportés d’Amérique du Sud – comme la viande bovine, la volaille, le porc, le miel ou le sucre. Selon les agriculteurs, ces importations vers l’UE créeraient des conditions de concurrence jugée déloyales, ces denrées ne répondant pas aux mêmes normes environnementales, sociales qu’en Europe, voire sanitaires en cas de contrôles défaillants.
Mais la réponse des gouvernements européens est plus nuancée. Pour parvenir à bloquer l’accord, la France doit rallier au moins quatre Etats membres représentant plus de 35 % de la population européenne. Depuis plusieurs semaines, la France “s’efforce de constituer une minorité de veto”, expliquait ce lundi la ministre de l’Agriculture Annie Genevard, sur France Bleu Besançon. “Il y a un intense travail diplomatique qui se fait aujourd’hui pour rallier un certain nombre de pays européens”, a ajouté la ministre, en référence notamment à la Pologne ou à l’Autriche.
- La Pologne et l’Autriche soutiennent la France
Le ministère de l’Agriculture polonais a ainsi exprimé ses “sérieuses réserves” à l’égard d’un projet qui “aura peut-être quelques bénéfices pour l’industrie, le transport maritime et certains services, aux dépens de la plupart des segments de la production agroalimentaire”. Une des principales organisations agricoles, NSZZ RI Solidarność, a appelé le chef du gouvernement Donald Tusk, à aller plus loin et à “bloquer” le projet.
Sur la même ligne, “en Autriche, tous les partis parlementaires, à l’exception des Neos, sont contre l’accord”, affirme le journal national Die Presse. Les parlementaires du Conseil national autrichiens ont d’ailleurs adopté une résolution contre, rappelle le ministère de l’Agriculture : “restreindre la production agricole en Europe via des normes toujours plus sévères tout en poussant des accords commerciaux de la vieille école, ce n’est pas compatible. L’Autriche est un pays orienté à l’export, nous tenons à ce que le jeu soit équitable” ont-ils affirmé. De telles importations sans droits de douane “mettent notre agriculture en péril”, résume également la première association agricole du pays, Bauernbund.
- Le Mercosur, une opportunité économique pour l’Allemagne
De l’autre côté, des poids lourds comme l’Allemagne et l’Espagne poussent la Commission européenne à finaliser l’accord d’ici à la fin de l’année, dans l’espoir de relancer la croissance européenne, soutenus par le Portugal.
L’Allemagne, réticente à l’accord sous Angela Merkel pour cause de déforestation en Amazonie, a ainsi changé de pied avec Olaf Scholz, désireux d’élargir ses débouchés industriels. “Cet accord de libre-échange serait un coup de libération pour l’économie allemande. Nous devons saisir cette opportunité, il est difficile d’imaginer une situation plus difficile sur le plan géopolitique”, a déclaré Volker Treier, chef du commerce extérieur de la Chambre de commerce et d’industrie allemande au média allemand Die Welle. Ajoutant que “l’élection de Donald Trump doit aussi être un signal d’alarme pour nous tenir prêts à faire des compromis”.
Pour l’Association des agriculteurs allemands (DBV), principal syndicat, “il est urgent de renégocier” cet accord. Aucune manifestation officielle n’est prévue, ce qui ne devrait pas empêcher des convergences à la frontière franco-allemande, comme à la frontière franco-espagnole.
- L’Espagne craint le contexte géopolitique après l’élection de Trump
En Espagne aussi, le gouvernement du Premier ministre socialiste Pedro Sánchez s’est prononcé pour la ratification de l’accord. Le chef du gouvernement espagnol assurait d’ailleurs à la fin du mois dernier que l’Europe est “très proche de conclure cet accord”, lors d’un forum économique dans la ville portugaise de Faro, rapporte le journal argentin le Buenos Aires Times.
Il est “nécessaire stratégiquement”, assurait aussi mi-octobre le ministre de l’Agriculture Luis Planas : des filières pourraient souffrir, comme la filière bovine, mais d’autres en profiter comme le vin et l’huile d’olive. Ce lundi 18 novembre, le ministre a défendu une nouvelle fois “l’importance de l’Union européenne (UE) pour la signature de son accord commercial avec le Mercosur dans le contexte géopolitique actuel et, en particulier, après la victoire de Donald Trump aux Etats-Unis”, rapporte la chaîne espagnole ABC. Aucune mobilisation n’est annoncée, mais l’ensemble des grands syndicats agricoles espagnols ont dit leurs craintes, notamment pour l’élevage.
- L’Italie vacille et pourrait changer la donne
L’Italie pourrait avoir basculé dans le camp des opposants, ce lundi 18 novembre. Le ministre italien de l’Agriculture Francesco Lollobrigida s’est exprimé dans un communiqué contre le projet sous sa forme actuelle. “Il faut vérifier en amont le respect par les pays du Mercosur des mêmes obligations que nous imposons à nos agriculteurs en matière de respect des droits des travailleurs et d’environnement”, a justifié ce ministre membre de Fratelli d’Italia, le parti d’extrême droite dirigé par Giorgia Meloni dont il est un proche. Le ministre des Affaires étrangères Antonio Tajani, chef du parti conservateur Forza Italia membre de la coalition au pouvoir, s’est montré de son côté plus ouvert. “Il s’agit de négociations très complexes”, avait-il jugé début octobre dans une interview à CNN Brésil, jugeant néanmoins “possible” de parvenir à un accord “utile pour les deux parties”.
La grande organisation italienne Coldiretti a récemment écrit à la Première ministre Giorgia Meloni pour exprimer la “profonde inquiétude” à l’égard d’un accord qui “aurait des effets dévastateurs sur le secteur agroalimentaire”. Cette dernière devrait venir à Buenos Aires le 20 novembre, après la visite d’Emmanuel Macron qui a rencontré ce 17 novembre le président ultralibéral argentin Javier Milei pour lui expliquer l’opposition française.
- Pays-Bas, Irlande… Les incertains
Du coté des Pays-Bas, les quatre partis de la coalition gouvernementale restent divisés sur le sujet. Le principal syndicat agricole LTO appelle quant à lui à “arrêter les négociations”, considérant que le secteur avicole et le sucre seraient menacés. “L’accord pourrait toutefois être bon pour le secteur du fromage, être une opportunité pour l’horticulture, mais ce sont relativement de petites sommes”, nuance LTO.
Alors qu’en Irlande les élections législatives de fin novembre concentrent l’attention, les représentants des éleveurs (ICSA) ont protesté devant la chambre basse du Parlement. Le gouvernement irlandais a jusqu’à présent adopté une position ambiguë sur l’accord : “ne rejetant pas carrément l’accord, le dirigeant de Fianna Fáil, Micheál Martin, a déclaré que l’accord Mercosur dans sa forme actuelle était inacceptable pour l’Irlande”, pointe le pure-player irlandais Gript.
Source