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Guerre en Ukraine : ce que mijote Donald Trump pour mettre fin au conflit

Quelques heures à peine après l’annonce de sa victoire dans la course à la Maison-Blanche, le 6 novembre, Donald Trump, retiré dans sa luxueuse villa de Mar-a-Lago, en Floride, reçoit un appel de Volodymyr Zelensky. Le président ukrainien, comme c’est l’usage, le félicite chaleureusement, avant qu’un invité surprise ne se greffe à la conversation : Elon Musk, patron de Tesla et soutien très actif de Trump, à qui le républicain passe brièvement le téléphone. Si peu de détails filtrent sur la discussion, celle-ci s’achève au bout de vingt-cinq minutes sur une note d’optimisme – le président ukrainien saluera d’ailleurs un “excellent échange” sur X, le réseau social de Musk. Rapidement, pourtant, le ton est devenu moins cordial.

Dix jours plus tard, alors que Zelensky explique dans une interview que ses alliés, dont les Etats-Unis, ne peuvent obliger son pays à “s’asseoir et écouter” à la table de négociations en vue d’un règlement du conflit, Elon Musk perd ses nerfs. “Son sens de l’humour est excellent”, lâche-t-il sur X, dédaigneux. Le président ukrainien, aux prises avec une effroyable guerre depuis bientôt trois ans, appréciera. D’autant que cette pique n’est pas la première du genre. La semaine précédente, Donald Trump Jr., le fils aîné de l’ex et futur président américain, avait déjà partagé une publication mettant en garde Volodymyr Zelensky sur la fin prochaine de “son argent de poche” – allusion à une possible coupure du soutien américain à Kiev…

Un avant-goût de la politique qu’entend mener, vis-à-vis de l’Ukraine, le prochain locataire de la Maison-Blanche ? La question est vertigineuse, tant les conséquences du comportement de Trump seront profondes – pour l’Ukraine comme pour l’Europe. Pendant sa campagne, le candidat républicain s’était fait fort de régler le conflit en vingt-quatre heures – sans révéler la manière dont il comptait s’y prendre. “A ce stade, il s’agit plus d’une aspiration à mettre fin aux combats qu’un plan en bonne et due forme”, pointe le général trois étoiles Douglas Lute, ancien ambassadeur des Etats-Unis à l’Otan entre 2013 et 2017.

En l’absence de feuille de route précise, les hypothèses vont bon train. Et le scénario d’un accord avec le Kremlin aux frais de l’Ukraine donne des sueurs froides aux soutiens de Kiev. “Si Trump prenait la décision unilatérale de mettre fin à son assistance militaire, ce serait une catastrophe pour l’Ukraine”, glisse-t-on à Washington.

“Un aller simple vers le chaos”

A la mi-novembre, Trump a annoncé la nomination prochaine d’un “représentant spécial” chargé de mener à bien ce délicat dossier. Son profil offrira de premières indications sur les intentions de la nouvelle administration. Pour l’heure, seules quelques idées ont filtré. Dans le Wall Street Journal, trois de ses conseillers ont évoqué début novembre un gel de la ligne de front, avec un contrôle de facto par la Russie de 20 % du territoire ukrainien et la mise en place d’une zone démilitarisée aux frontières, dont la surveillance serait confiée aux Européens. S’y ajouterait une “pause” d’au moins vingt ans dans le processus d’adhésion de l’Ukraine à l’Otan.

Dans les grandes lignes, ce plan rejoint celui esquissé par le futur vice-président J.D. Vance, dans un podcast début septembre. “Cela ressemblera probablement à la ligne de démarcation actuelle entre la Russie et l’Ukraine, comme une zone démilitarisée et fortement fortifiée pour que les Russes n’envahissent plus”, avait-il avancé, ajoutant que l’Ukraine ne pourrait ni rejoindre l’Alliance atlantique, ni aucune institution alliée, afin de garantir sa neutralité aux Russes.

En l’état, convaincre les principaux concernés et leurs alliés européens ne sera pas une mince affaire. “Ce ne serait pas un plan de paix, mais un aller simple vers le chaos, s’étrangle Olevs Nikers, président de la Baltic Security Foundation, à Riga, et conseiller du gouvernement letton. Ce serait une victoire de la Russie, qui lui laisserait, en plus, du temps pour reconstituer ses forces et relancer la guerre dans un avenir proche.” Difficile, en effet, de faire plus éloigné du “plan de victoire” présenté par le président ukrainien ces derniers mois, qui prévoit, entre autres, une invitation à rejoindre l’Otan, et exclut toutes concessions territoriales.

A Kiev, on préfère donner le bénéfice du doute prochain président. Lors d’une interview mi-novembre, Volodymyr Zelensky est allé jusqu’à affirmer que la guerre se terminerait “plus tôt” grâce à lui. “Nous ne pensons pas qu’un président américain laisserait une autocratie gagner de la sorte”, confie-t-on d’ailleurs dans son entourage. “Trump a une mentalité de gagnant – je ne peux imaginer qu’il fasse une chose qui le conduirait à un désastre total aussi bien sur le plan personnel que pour les Etats-Unis et le monde occidental, confirme Volodymyr Ohryzko, ancien ministre ukrainien des Affaires étrangères (2007-2009). Notre position reste que la Russie et ses dirigeants doivent être punis pour leurs crimes – sinon nous pouvons dire adieu au droit international.”

Débat hautement inflammable à Kiev

Mais quelles sont les marges de manœuvre ? Question délicate. A l’approche des trois ans de guerre, les lignes semblent doucement évoluer au sein de l’opinion publique ukrainienne. D’après un sondage du Kyiv International Institute of Sociology publié mi-novembre, la part des Ukrainiens “prêts à céder certains territoires afin de parvenir à la paix et la préservation de l’indépendance du pays” est aujourd’hui de 32 %, contre 14 % un an plus tôt. Un autre, publié en juillet par l’European Council on Foreign Relations (ECFR), relevait que 45 % des Ukrainiens déclaraient préférer perdre des portions de territoires occupés s’ils pouvaient rester souverains, avec leur propre armée et la liberté de choisir leurs alliances. Seuls 26 % étaient prêts au choix inverse (récupérer leurs territoires au prix d’une démilitarisation et d’un statut de neutralité).

Cette déchirante question d’éventuelles concessions territoriales n’en reste pas moins hautement inflammable au sein de la population ukrainienne. “Une grande majorité de la société est opposée à tout accord de paix avec la Russie – ce qui inclut un plan de Donald Trump, observe Andrey Buzarov, fondateur de la société de conseil stratégique ukrainienne KyivStratPro, plus que pessimiste quant à la réussite d’éventuelles négociations. Il ne fait pour moi aucun doute que le gouvernement choisira de se ranger derrière l’opinion publique.” Volodymyr Zelensky ne sait que trop bien qu’il pourrait payer chèrement dans les urnes toute forme de concession vis-à-vis de Moscou, alors qu’une élection présidentielle devrait être organisée au printemps prochain.

Le président ukrainien Volodymyr Zelensky prononce un discours lors de la session plénière de la Rada le 28 juin 2023.

Au-delà de l’enjeu territorial, celui des garanties de sécurité s’impose comme la clé de voûte de toute négociation. Et pour cause : à Kiev résonne encore dans toutes les têtes le douloureux souvenir du mémorandum de Budapest, signé il y a bientôt trente ans, qui devait assurer l’inviolabilité des frontières ukrainiennes en échange de ses armes nucléaires datant de l’ère soviétique. Et la lancinante question de savoir si Poutine se serait risqué à attaquer son voisin s’il en était encore doté. “En échange de notre retrait, les Etats-Unis, le Royaume-Uni, la Russie, la France et la Chine devaient garantir notre sécurité. Quel en a été le résultat ? Une guerre à grande échelle ! fulmine Volodymyr Ohryzko. Nous voulons aujourd’hui des mécanismes clairs sur la manière dont les pays signataires protégeront l’Ukraine en cas de nouvelle agression russe.”

Les Européens sur les dents

Mais quel format privilégier ? Si l’hypothèse d’un feu vert de l’administration Trump à une adhésion ukrainienne à l’Otan semble hautement incertaine, les Etats-Unis ne sont pas les seuls à traîner des pieds. En octobre, l’actuel chancelier allemand Olaf Scholz a clairement signifié son refus d’une telle solution. A la place, certains évoquent la piste de garanties de sécurité comparables à celles offertes par les Etats-Unis à Israël ou à la Corée du Sud. Pas très convaincant, rétorque John Herbst. Cet ancien ambassadeur américain en Ukraine, aujourd’hui directeur principal du centre Eurasie à l’Atlantic Council à Washington, voit plutôt des troupes européennes positionnées en Ukraine pour assurer la sécurité, tout en bénéficiant d’un soutien appuyé des Etats-Unis en matière d’armes et de renseignements, auquel s’ajouteraient de fortes garanties américaines si elles venaient à être prises pour cible par les Russes.

Récemment, le ministre estonien des Affaires étrangères, Margus Tsahkna, a ouvert la porte à un tel déploiement. L’incertitude demeure cependant quant au fait de savoir si une telle présence serait suffisamment dissuasive pour Moscou. “L’Europe ne dispose pas d’une organisation militaire solide, soulève Olevs Nikers. Le risque serait d’avoir un dispositif très fragmenté et non opérationnel.” Les Ukrainiens pourraient donc poser la présence américaine comme un prérequis à une telle formule. Et bloquer le processus s’ils ne l’obtiennent pas.

Mais en ont-ils les moyens ? Face à eux, les Américains disposent de puissants leviers. En juin, deux ex-conseillers de Donald Trump avaient ainsi proposé de conditionner la délivrance de l’aide militaire américaine au feu vert de l’Ukraine pour participer à des pourparlers… “Ce serait un moyen de pression considérable, car cette aide est vitale, jauge Douglas Lute. Sa suspension aurait de graves conséquences.” Face à la montée des craintes d’une réduction du soutien américain, les Européens s’agitent en coulisse pour évaluer leur capacité à combler le déficit. Le 19 octobre, le ministre polonais des Affaires étrangères, Radoslaw Sikorski, a affirmé que les principaux pays de l’UE étaient prêts “à assumer la charge du soutien militaire et financier à l’Ukraine”, à l’issue d’une réunion avec ses homologues français, allemand, italien, espagnol et britannique. Sans l’appui de Washington, le trou dans la raquette n’en serait pas moins béant.

Une Russie encline à négocier ?

Reste un éléphant dans la pièce, la Russie elle-même. Le Kremlin, dont les forces continuent de gagner du terrain sur le champ de bataille – au prix de lourdes pertes – et qui estime pouvoir encore supporter la pression économique de la guerre pendant plusieurs années, pourrait-il renoncer à ses buts de guerre ? “Je suis très sceptique sur la possibilité de trouver un terrain d’entente, juge Tatiana Stanovaya, chercheuse au Carnegie Endowment for International Peace et fondatrice du cabinet d’analyse R.Politik. La position de Poutine est très ferme : il veut un statut de neutralité perpétuel pour l’Ukraine, la réduction radicale son armée et la reconnaissance – comme faisant partie intégrante de la Russie – des cinq régions ukrainiennes qu’il a annexées.” Interrogé mi-novembre sur la possibilité d’un cessez-le-feu, Konstantin Kosachev, le vice-président du Conseil de la Fédération de Russie – la chambre haute du Parlement russe – a affirmé qu’un gel du conflit ne “profiterait qu’à l’Ukraine”. Une façon de dire que la partie russe n’était pas prête à s’asseoir autour d’une table.

A moins que Moscou, dans la plus pure tradition diplomatique russe, n’accepte un accord pour mieux le violer ensuite. “Il n’y a pas réellement de coûts pour les Russes à accepter des termes en deçà de leurs objectifs initiaux et de recommencer leurs opérations militaires plus tard, estime Marie Dumoulin, ancienne diplomate et directrice du programme Europe élargie à l’ECFR. Si, entre-temps, cela leur a permis d’empocher la neutralité de l’Ukraine, c’est toujours bon à prendre.”

En dépit de ses talents autoproclamés dans “l’art de passer des deals”, rassembler Russes et Ukrainiens autour d’un accord promet de sérieux maux de tête à Donald Trump. “Si la Russie ne respecte pas ses engagements, il sera difficile au président américain d’échapper à la responsabilité de cet échec”, ajoute John Herbst. Dans un tel cas de figure, laissera-t-il ce camouflet sans réponse ? “Donald Trump a toujours privilégié l’imprévisibilité, rappelle Douglas Lute. Dès lors, tous les scénarios seraient ouverts : y compris celui d’un soutien accru à Kiev.” En 2019, c’est sous son administration que les Etats-Unis avaient autorisé la vente à l’Ukraine des fameux lance-missiles Javelin. Trois ans plus tard, ces derniers faisaient des ravages parmi les chars russes.




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