Deux mois après la nomination du Premier ministre, les discussions autour du projet de loi de finances ont mis en exergue ce que les éditorialistes ont appelé le “style Barnier” : écoute, humilité et responsabilité. Trois qualités qui tranchent avec le spectacle qu’offre une Assemblée nationale tiraillée entre folie fiscale et hystérie dépensière. Mais on aurait tort de croire que Michel Barnier s’inscrit dans la posture traditionnelle de simple fusible, prêt à absorber les crises pour protéger le président. Au contraire, il incarne plus que jamais un Premier ministre aux prérogatives étendues et le garant de la stabilité du pays.
Certes, il doit d’abord, dans un contexte parlementaire objectivement ingérable, préserver la crédibilité de la France. Avec un déficit public attendu à plus de 6 % du PIB en 2024, la maîtrise des dépenses publiques est devenue une nécessité. Le chef du gouvernement a la lourde tâche de désintoxiquer cette classe politique dopée à “l’argent magique” depuis de trop nombreuses années. Un sevrage qui ne peut passer que par l’usage du 49.3 face à une Assemblée nationale qui n’aura jamais eu tout au long des débats le courage de réduire la moindre dépense publique en dehors des petits coups démagogiques habituels sur la réduction de l’aide au développement ou de la contribution à l’Union européenne.
Mais, en réalité, ce rôle de garant dépasse largement la gestion budgétaire : le président feint d’ignorer que son sort est en fait totalement lié a celui de son Premier ministre, véritable assurance-vie d’un pouvoir élyséen à bout de souffle. Si la relation entre le binôme est qualifiée pudiquement par Emmanuel Macron de “coexistence exigeante”, la formule cache en réalité un déséquilibre fondamental. Une dissolution aux conséquences dramatiques, une absence de majorité dans une Assemblée radicalisée et un président sans possibilité de se représenter en 2027 : Macron n’est pas Mitterrand et Barnier n’est pas Chirac. On aurait tort de chercher des éléments de comparaison dans les cohabitations passées. Ces périodes étaient marquées par des rapports de force clairs, un bipartisme profond, un Premier ministre chef de file d’une opposition qui jouait le rôle de contre-pouvoir. Dans ces configurations, le président pouvait jouer la carte de “père de la nation” : prendre de la hauteur sans jamais être en retrait de la vie politique du pays. Un rôle difficile à endosser aujourd’hui pour Emmanuel Macron dont la popularité est au plus bas. C’est bien davantage le Premier ministre qui est devenu le pilier d’un exécutif à deux têtes. Un pouvoir bicéphale mais bel et bien menacé par un seul et unique couperet, celui du vote d’une motion de censure du gouvernement. En effet, la chute du gouvernement ne pourrait qu’entraîner celle du président, incapable de dissoudre à nouveau l’Assemblée et dans l’incapacité de nommer un autre Premier ministre crédible.
Michel Barnier, jugé par l’Histoire… et les Français ?
Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen se réjouissent déjà du chaos institutionnel qu’une telle situation provoquerait. Car, alors que les menaces du RN de voter la motion de censure de l’extrême gauche s’intensifient au fur et à mesure que se précise le calendrier judiciaire de Marine Le Pen, les enjeux dépassent de loin les destins individuels d’Emmanuel Macron ou de Michel Barnier. Au-delà de la survie politique du président de la République, le Premier ministre est le dernier garde-fou d’une situation politique et institutionnelle inflammable, alors que notre pays est d’ores et déjà plongé dans une crise de défiance démocratique intense. Dans une France polarisée à l’extrême et nourrie au populisme et à la violence depuis 2020, c’est désormais seulement 26 % des Français qui se disent satisfaits du fonctionnement de la démocratie et 14 % d’entre eux qui jugent encore “crédibles” les partis politiques.
Garantie de la crédibilité économique du pays, assurance-vie d’un président affaibli et dernier garde-fou d’une République menacée : au-delà de son style, c’est bien sur ces missions inédites que le Premier ministre sera jugé par l’Histoire et, qui sait, un jour par les Français eux-mêmes.
Jean-François Copé, ancien ministre, maire (LR) de Meaux
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