Douze jours : c’est le temps qu’il aura fallu à la coalition rebelle d’Abou Mohammed al-Joulani pour mettre en déroute le régime de Bachar el-Assad. Douze jours pour signer la fin d’un demi-siècle de dictature et de treize années de guerre civile ayant fait environ un demi-million de morts. Ahmed Hussein al-Charaa – le nouveau nom du chef du groupe islamiste Hayat Tahrir Al-Cham – est un héros. Celui qui redonne espoir aux 5 millions de réfugiés, qui avaient fui leur pays et songent désormais au retour. Celui qui libère la prison de Sednaya, au nord de Damas, où des milliers de personnes ont été enfermées et assassinées. Celui qui s’affiche sur CNN, en prônant la modération et la tolérance religieuse.
Ahmed Hussein al-Charaa, héros ou salaud ? Le passé du libérateur de Damas ressemble à un casier judiciaire déjà bien rempli. Le quadragénaire a beau avoir troqué sa tenue de djihadiste pour une petite barbe noire bien taillée et une chemise kaki, cet ancien d’Al-Qaeda, de l’Etat islamique (EI) en Irak, puis du Front Al-Nosra en Syrie figure en bonne place sur les listes de terroristes, avec sa tête mise à prix pour 10 millions de dollars. Vous avez dit héros ?
L’Occident n’a pas le choix
Et s’il disait vrai, quand il affirme avoir changé ? Devrait-on lui faire confiance ? Ces questions, en réalité, n’ont pas de sens. Car l’Occident n’a pas le choix. Nos pays qui ont abandonné le peuple syrien à son propre sort ne sont guère en mesure de faire entendre leur voix. Ou alors eût-il fallu, en 2013, tenir nos engagements. Quand les fameuses lignes rouges ont été franchies, quand Bachar el-Assad répandait des armes chimiques sur sa population, il eût fallu répliquer, comme les Etats-Unis, le Royaume-Uni ou la France l’avaient promis. Mais Barack Obama, tout Prix Nobel qu’il soit, sombra dans une hésitation coupable, et dès lors, ni Paris ni Londres ne purent assister un peuple syrien aussi isolé qu’écœuré. Le ressentiment, onze ans plus tard, est toujours présent à l’égard de cet Occident trop absent quand le Hezbollah et les soldats russes volaient au secours d’Assad.
Dans la nuit du 7 au 8 décembre, la Syrie s’est libérée par elle-même mais aussi grâce à l’écroulement d’un régime à bout de souffle, conséquence de l’attaque du Hamas contre Israël le 7 octobre 2023. “Même si elle a été facilitée par les Turcs, c’est une révolution de la Syrie par des Syriens”, relève Marc Pierini, ancien ambassadeur de l’UE en Syrie et en Turquie. L’espoir est là, immense. La peur aussi, celle du vide, du retour du chaos et des salauds. Mais les Syriens contemplent avec joie le palais présidentiel vide de Damas. Certains se souviennent de ces mots écrits par des adolescents en février 2011, sur les murs d’une école de Deraa, “Jay alek el ddor ya doctor” (“Ton tour arrive, docteur”). C’était le début du printemps arabe en Syrie. Le tour du docteur Bachar el-Assad a fini par arriver. “Etrangement, c’est la Syrie qui est cette fois la première à se libérer de son tyran, relève Michel Duclos, conseiller à l’Institut Montaigne et essayiste (La Longue Nuit syrienne, Ed. de L’Observatoire). Est-ce que cela peut avoir un effet de contagion ? Les autres dictateurs de la région doivent se poser des questions.”
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