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“Ces affirmations sont exagérées…” : pourquoi Elon Musk n’a pas fait gagner Donald Trump


La désinformation inquiète. Dans un sondage réalisé par Ipsos et l’Unesco en septembre 2023 dans 16 pays, 85% des répondants se déclaraient “concernés” par l’impact de la désinformation et des “fake news” sur leurs concitoyens. Rien d’étonnant à cela, puisque depuis 2016, année marquée par l’arrivée au pouvoir de Trump et la victoire du Brexit, la désinformation est devenue un sujet de premier plan dans le débat public.

On ne compte plus les Unes alarmistes, comme celle publiée par le magazine américain Wired, en novembre 2016, qui titrait avec emphase “vos bulles de filtres détruisent la démocratie”. Cette affirmation est même devenue un poncif du discours politico-médiatique. Journalistes, intellectuels, politiques et citoyens reprennent en cœur le même refrain : la désinformation et les algorithmes des plateformes de réseaux sociaux joueraient un rôle déterminant dans la montée des populismes et les victoires culturelles des idées d’extrême droite.

Par sa simplicité et son apparente logique, cette thèse s’est imposée dans le débat public comme une évidence que personne ne prend le temps de vérifier. Ainsi, la présidente de la Commission européenne Ursula Von der Leyen déclarait, à l’occasion de son discours devant le Forum économique mondial en janvier 2024, que “la désinformation et la mésinformation” sont “la principale préoccupation”, devant les conflits et les enjeux climatiques.

Elon Musk, caricature parfaite

Plus récemment, dans le sillage de l’élection présidentielle américaine, Elon Musk, propriétaire de X, est devenu l’incarnation de l’influence des réseaux sociaux et de la désinformation sur la vie démocratique. Pour beaucoup, le milliardaire et soutien de Donald Trump aurait joué un rôle déterminant dans l’accession du candidat républicain à la Maison-Blanche. Par ses provocations, ses propos outranciers et son attitude parfois caricaturale, Musk offre à ses contradicteurs l’occasion parfaite d’en faire le symbole de l’alliance entre les géants de la tech et les forces politiques réactionnaires. La décision de Mark Zuckerberg, patron de Méta, de se débarrasser des “fact-checkers”, consacre un peu plus ce récit. Dans un édito pour Le Monde, Stéphane Lauer se résignait ainsi à voir que “Zuckerberg ouvre un boulevard à la post-vérité au pire moment, celui de l’arrivée au pouvoir d’un homme qui en a fait sa marque de fabrique”.

Pour cet éditorialiste, comme pour l’ancienne députée européenne du parti social-démocrate libéral néerlandais, Marietje Schaake, qui dénonce le “pouvoir démesuré et dénué de responsabilité des entreprises de technologie, qui érode la démocratie”, la messe est dite. Le nouvel environnement informationnel, dominé par les réseaux sociaux et ses codes, serait le marchepied des conservateurs et réactionnaires du monde entier, et ferait peser sur la démocratie un risque considérable.

Traitement médiatiquement simpliste

Il est pourtant ironique de constater que le sujet de la désinformation est lui-même victime… de désinformation. Des chercheurs, spécialistes du domaine, constatent avec regret que cette thématique fait l’objet d’un traitement médiatique contestable, souvent simpliste et alarmiste, à base de statistiques sensationnalistes.

“Après 2016, que ce soit au sujet du Brexit ou de l’élection de Trump, on a commencé à lire et entendre un peu partout que c’était à cause de la désinformation, sauf qu’à l’époque, nous n’avions pas de preuves qui pouvaient permettre d’affirmer un lien entre les progrès de l’extrême droite populiste et conservatrice et la désinformation”, explique Laurence Vardaxoglou, auteur d’une thèse sur les effets de la désinformation sur l’opinion et les comportements politiques.

Dans une revue de littérature sur la désinformation en ligne, le politologue américain Brendan Nyhan et ses co-auteurs dénoncent également l’amplification médiatique dont elle fait l’objet, et constatent que “les commentateurs publics supposent ou affirment régulièrement des niveaux élevés d’exposition à des contenus potentiellement dangereux sur les médias sociaux”. Dans une étude de 2020, des chercheurs écrivent que “de nombreuses affirmations concernant les effets de l’exposition aux fausses nouvelles peuvent être exagérées ou, à tout le moins, mal comprises”.

De nombreux travaux académiques montrent ainsi que l’on surestime très largement l’influence des contenus de désinformation sur l’évolution de nos croyances et nos pratiques politiques. “Quand j’ai commencé ma thèse, nous confie Laurence Vardaxoglou, j’étais convaincu par le fait que la désinformation jouait un rôle déterminant dans la montée des populismes. Aujourd’hui, je dis clairement que ces affirmations sont exagérées. Dans les études faites aux États-Unis, il est montré qu’on ne voit pas d’effets de la désinformation sur le choix de vote.”

Résultats contre-intuitifs

A la suite de l’élection présidentielle américaine de 2016, de nombreux chercheurs ont essayé de déterminer s’il existait un lien entre le vote populiste, qui avait mené Trump au pouvoir, et l’exposition aux fausses informations. Les résultats de ces études sont contre-intuitifs : la consommation de contenus non fiables n’influence que très marginalement le choix du vote. C’est par exemple ce que montrent Andrew Guess, Brendan Nyhan et Jason Reifler, dans une étude publiée en 2020 dans la revue Nature Human Behaviour.

Une autre idée largement répandue dans le débat public concerne les effets des algorithmes sur les opinions et comportements politiques. Là encore, les études menées sur le sujet infirment cette affirmation. Dans un article publié en 2024 dans la très reconnue revue Science, des chercheurs ont observé l’effet des algorithmes de classement des fils d’actualités de Facebook et Instagram sur les attitudes et comportements politiques lors de la campagne présidentielle américaine de 2020. Pour ce faire, ils ont confronté certains utilisateurs à un flux algorithmique (qui sélectionne les contenus à afficher en fonction des préférences de chaque utilisateur), et d’autres à un flux chronologique. Contrairement à ce que l’on pourrait intuitivement penser, les résultats montrent qu’il n’y a pas de différence significative trouvée entre les deux flux sur la polarisation politique, la connaissance politique et l’activité politique hors ligne.

Dans la même veine, l’affirmation selon laquelle les algorithmes piégeraient les internautes dans des “chambres d’échos” et des “bulles filtrantes”, qui alimenteraient la polarisation politique en ne montrant aux utilisateurs que des contenus avec lesquels ils sont déjà d’accord, est contredite par de nombreuses études. Dans une revue de littérature publiée par le Reuters Institute for the Study of Journalism, un centre de recherche de l’Université d’Oxford, quatre chercheurs montrent que les chambres d’écho politiques sont beaucoup moins répandues que ce qu’on le pense. En réalité, au Royaume-Uni, seuls 2% des électeurs travaillistes et 4% des électeurs conservateurs se trouveraient dans des chambres d’écho partisanes. L’article explique même que “les formes de sélection algorithmique offertes par les moteurs de recherche, les médias sociaux et d’autres plateformes numériques conduisent généralement à une utilisation légèrement plus diversifiée de l’information, à l’opposé de ce que suppose l’hypothèse de la ‘bulle filtrante'”.

Comment expliquer tous ces résultats pour le moins contre-intuitifs ? D’abord, parce que les contenus de désinformations auxquels nous sommes confrontés sur internet sont minoritaires dans nos “feeds”. Certains articles peuvent parfois, à coup de chiffres sensationnalistes, donner l’impression que la désinformation est partout et touche tous les citoyens. C’est par exemple le cas d’un papier du New York Times, paru en 2020, qui mentionne qu’une vidéo tronquée de Joe Biden avait été visionnée plus de 17 millions de fois. Pour les auteurs du papier Misunderstanding the harms of online misinformation, “le fait de citer ces chiffres absolus peut contribuer à des malentendus sur la proportion du contenu des médias sociaux qui est de la désinformation. Ainsi, les citoyens américains estiment que 65% des informations qu’ils voient sur les médias sociaux sont des informations erronées”.

Profils déjà fortement idéologisés

En réalité, les chiffres sur la désinformation sont moins alarmants. Selon Laurence Vardaxoglou, “des études montrent que les Français passent moins de 1% de leur temps en ligne exposé à des informations non fiables”. À l’occasion de l’élection présidentielle américaine de 2016, les sites présentant de la désinformation représentaient seulement 5,9 % des articles lus sur des sujets d’actualité politique. Une autre étude montre qu’en 2017, parmi 59 sites français et italiens identifiés comme diffusant de fausses nouvelles, la plupart touchent seulement 1% de la population, les plus visités atteignant difficilement la barre des 3,5%, contre 22% pour Le Figaro, et 50% pour La Repubblica.

Surtout, la désinformation n’a pas l’influence qu’on lui attribue parce que ces contenus touchent principalement des profils déjà fortement idéologisés et convaincus. “Il y a des sous-groupes de populations plus susceptibles de voir et de consommer de la désinformation, comme les personnes âgées, les gens les plus à droite, ceux qui ont un haut niveau d’intérêt pour la politique”, précise Laurence Vardaxoglou. C’est effectivement ce que confirment de nombreux travaux. Publiée en 2021 dans le Journal of Experimental Political Science, une étude a examiné l’impact des allégations infondées de fraude sur les élections de mi-mandat de 2018 aux États-Unis. Alors que l’exposition à ces fausses informations a pour conséquence, chez les électeurs républicains, de réduire significativement la confiance dans les élections, cet effet n’est pas observé chez les électeurs démocrates et indépendants.

En réalité, ce qui compte vraiment, ce n’est pas le type de contenu auquel nous sommes confrontés sur internet, mais nos croyances de départs. C’est pour cette raison que la littérature académique existante sur le sujet montre que l’exposition à des opinions contraires peut avoir pour effet de renforcer les croyances initiales et donc, de contribuer à la polarisation politique.

Le phénomène de formation des croyances et des comportements politiques est complexe. Il s’explique par un enchevêtrement de facteurs parfois difficiles à discerner les uns des autres. L’effet qu’un “post” politique sur internet peut avoir sur un internaute ne dépend pas seulement de son contenu, mais surtout du receveur et d’un certain nombre de ses caractéristiques sociales, comme son âge, ses convictions politiques, son niveau d’éducation, son environnement familial, etc. Ainsi, les utilisateurs des plateformes ne sont pas des pages blanches perméables à toutes les idées qu’ils rencontrent en ligne, et l’impact de ces contenus sur eux est difficilement prédictible.

Manque de confiance dans les institutions

Ceux qui expliquent la montée des populismes et des idées réactionnaires par la seule désinformation et polarisation en ligne font fausse route. “C’est plutôt le manque de confiance dans les institutions et les gouvernements qui crée une demande de récits alternatifs”, insiste Laurence Vardaxoglou. Loin d’être des causes, la viralité de certaines théories conspirationnistes et fausses informations sont davantage des symptômes des évolutions politiques, sociales et culturelles auxquelles nous assistons depuis une dizaine d’années.

L’obsession médiatique dont a été l’objet Elon Musk est à l’image des explications paresseuses du phénomène populiste, et traduit en réalité notre impuissance à le contenir. En lui attribuant un rôle qu’il n’a probablement pas eu dans l’élection de Trump en novembre, on substitue à une analyse plus nuancée et complexe une interprétation simpliste de la victoire du candidat républicain.

“C’est une histoire machiavélienne que celle d’un Musk proche de Trump qui manipulerait l’opinion publique, conclut Laurence Vardaxoglou. Je comprends que ça puisse séduire la presse, car nous permet d’accéder à une explication facile du phénomène populiste, en disant que les gens qui votent pour ce genre de candidats se trompent forcément, puisqu’on leur aurait menti. C’est une façon de ne pas affronter un réel désagréable, qui est qu’un certain nombre de citoyens très conscients de ce pour quoi ils votaient, voulaient vraiment la victoire de Trump et du Brexit”.




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