Après Bruxelles, Londres, Paris et Berlin, il rencontre, ce lundi 3 février à Washington, la nouvelle administration américaine. En marge de la diplomatie ukrainienne officielle, Petro Porochenko, président de l’Ukraine de 2014 à 2019, aujourd’hui député et chef du parti d’opposition Solidarité européenne, veut “renforcer la position de l’Ukraine dans les négociations”, alors que Donald Trump a fixé “cent jours” à son émissaire, le général Keith Kellogg, pour mettre les belligérants autour d’une table.
Mais à quel prix ? “Pas de compromis sur la sécurité et sur notre intégrité territoriale”, clame l’ancien président. Et que pense-t-il de l’idée d’organiser des élections cette année, comme l’a suggéré, ce 1er février, le général Kellogg ? Mauvaise idée ! tonne Porochenko. “Il n’y aurait qu’un seul vainqueur et il s’appelle Poutine, car il aura réussi à casser notre unité.” Entretien.
L’Express : Pourquoi avoir organisé cette tournée européenne ?
Petro Porochenko : Aujourd’hui, l’essentiel de mon activité consiste, via mon organisation et mes donations, à porter assistance aux soldats. La semaine dernière, nous avons par exemple livré dix drones de nuit, à 4 000 dollars pièce, aux forces spéciales qui ont capturé des soldats nord-coréens, pour les récompenser de cet exploit. Mais en tant que parlementaire, je veux contribuer à renforcer la position ukrainienne dans les futures négociations. C’est pourquoi je suis allé à Varsovie pour rencontrer le ministre des affaires étrangères, puis à Bruxelles pour parler, notamment, à Kaja Kallas [NDLR : Haute représentante de l’Union pour les Affaires étrangères et la sécurité] et au commissaire européen à la défense Andrius Kubilius. À Paris, ensuite, j’ai rencontré des membres du gouvernement, du Parlement et de la commission de défense du Sénat. Ces rencontres ont été fructueuses. Nous avons notamment discuté de la livraison de Mirage 5, qui aura lieu ce mois-ci, mais aussi de l’initiative des Pays-Bas, qui consiste à financer la production d’armements directement sur le sol ukrainien. Ce modèle est très prometteur.
Enfin, nous avons évoqué la nouvelle administration américaine au pouvoir. J’estime que le président Macron peut nous aider – tout comme la Présidente du conseil italien, Georgia Meloni – à renforcer notre canal de communication avec l’équipe Trump qui, selon moi, manque de substance.
Ce lundi, vous êtes à Washington. Que peut-on attendre de Donald Trump sur le sujet ukrainien ?
Je connais le président Trump depuis longtemps. J’ai travaillé avec lui et je le considère comme un dirigeant fort. Il ne fera preuve d’aucune faiblesse dans ses relations avec Poutine. C’est pourquoi je considère son arrivée au pouvoir comme une “fenêtre d’opportunités” pour les négociations. Certes, elle est étroite, mais elle existe. S’il est soutenu par les États membres de l’Otan et par l’Europe, il a une bonne chance de terminer la guerre par la force. Car c’est bien de cela qu’il s’agit : avoir la paix par la force. Trump n’acceptera pas un scénario faible parce qu’un scénario faible serait une victoire de Poutine. N’oublions pas que c’est Trump qui a donné à l’Ukraine, pour la première fois, des armes létales. Et c’est également lui qui a introduit les premières sanctions contre le gazoduc Nordstream.
Peut-il y avoir, selon vous, un nouveau Yalta, c’est-à-dire une négociation entre Trump et Poutine, sans l’Ukraine et les Européens ?
Ce serait un très grand danger. Rien ne doit être décidé sur l’Ukraine sans l’Ukraine. Et rien, non plus, sur l’Europe sans l’Europe. Aucune négociation bilatérale ne doit avoir lieu. Notre force est l’unité. Lors des négociations avec la Russie, dans le cadre du format Normandie [NDLR : rencontres diplomatiques qui ont eu lieu pendant la première guerre du Donbass entre l’armée ukrainienne et les républiques séparatistes de Donetsk et Lougansk et qui rassemblait l’Ukraine, l’Allemagne, la France et la Russie], Kiev, Paris et Berlin se mettaient d’accord sur une position commune, et celle-ci était ensuite présentée à Vladimir Poutine. Nous faisions bloc.
Poutine ne comprend qu’un langage, celui de la force. Nous ne pouvons pas aller voir Poutine avec une position faible. C’est pourquoi nous ne devons pas accepter une négociation bilatérale de type “tête à tête” entre Trump et Poutine. C’est pourquoi, aussi, il faut rendre l’Ukraine plus forte avant de négocier, ce qui passe par une reprise des livraisons d’armes.
Concernant les sanctions, faut-il les renforcer ?
Poutine ne doit plus pouvoir financer la guerre. Pour cela, il faut s’attaquer à l’économie russe, qui est en surchauffe et connaît une inflation élevée. Si l’économie flanche, Poutine sera en danger et il le sait. Trois types de sanctions ont démontré leur efficacité : le gel des avoirs bancaires, la déconnexion des banques russes du système financier mondial Swift et les sanctions contre la flotte fantôme, qui permettent de s’attaquer aux exportations de gaz et de pétrole. Cela fonctionne. Par peur des sanctions, certaines compagnies indiennes et chinoises se détournent désormais de la Russie et cherchent d’autres fournisseurs, comme l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis et l’Irak. Enfin, cessons d’acheter du gaz naturel liquéfié russe ! Il faut choisir : acheter du GNL russe qui financera la fabrication de missiles ou acheter du gaz norvégien, plus cher, mais qui privera Poutine d’importantes ressources financières…
Vous connaissez Poutine, comment négocier avec lui ?
En refusant tout chantage de sa part. On ne doit ni le craindre, ni lui faire confiance, car il n’a tenu aucun de ses engagements. Je le redis, il faut créer les conditions d’un rapport de force en montrant notre unité. Ensuite, nous devons refuser tout compromis sur notre identité nationale. Nous ne serons plus jamais une colonie russe. Nous n’accepterons pas de Yalta, pas plus que nous n’accepterons que les Russes occupent indéfiniment nos territoires. Cela signifie qu’il faudra continuer à travailler, encore et encore, pour aboutir à leur libération. Enfin, pas de compromis sur notre armée, car sans armée, notre sécurité ne sera jamais garantie.
Vous savez, j’ai présidé un pays qui était protégé par une soi-disant garantie de sécurité, le mémorandum de Budapest [NDLR : en 1994, les États-Unis, le Royaume-Uni et la Russie ont signé avec Kiev un accord garantissant l’intégrité territoriale de l’Ukraine à condition que l’ex-République soviétique accepte de céder à la Russie ses missiles intercontinentaux et ses ogives nucléaires, ce qu’elle a fait]. Après mon élection [NDLR : juin 2014, deux mois après le début de la première guerre du Donbass], j’ai suivi à la lettre le protocole prévu par ce mémorandum en cas de menace sur notre souveraineté. Que s’est-il passé ? Rien ! Nous n’avons pas reçu d’assistance militaire au prétexte que nous n’avions pas été frappés par des armes nucléaires ! Alors les garanties de sécurité, c’est du blabla. Personnellement, je n’en vois qu’une : l’Otan. À mon sens, l’Alliance doit lancer la première étape de sa procédure vis-à-vis de l’intégration de l’Ukraine, à savoir une invitation formelle à la rejoindre. Croyez-moi, si l’Ukraine intégrait l’Otan, la guerre s’arrêterait immédiatement. Autrement, elle continuera et ne s’arrêtera pas aux frontières européennes. Peut-elle s’étendre aux pays baltes et à la Pologne ? Ma réponse est oui. Si vous n’arrêtez pas Poutine en Ukraine, vous, Européens, vous pouvez préparer vos économies, vos populations et vos armées à la guerre.
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