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“Goma a été un test terrible…” : en RDC, la revanche de Paul Kagame


Dans le Donbass de 2014, on les appelait les “petits hommes verts”. Des “gens polis”, disaient les médias russes pour qualifier ces soldats masqués de Poutine à l’assaut de l’est de l’Ukraine, riche en fer, charbon et lithium. Une décennie plus tard, une flopée d’autres “petits hommes verts” sévit en République démocratique du Congo, un Etat grand comme quatre fois la France, qui abrite 60 à 80 % des réserves mondiales de coltan, un minerai indispensable à la fabrication des smartphones. Des combattants sponsorisés par un Etat voisin qui nie tout, exactement comme la Russie avant lui. Toutes les preuves de l’implication du Rwanda auprès des rebelles du “M23” sont pourtant là, documentées par six rapports de l’ONU : “La conquête de nouveaux territoires n’aurait pas pu se faire sans l’appui de la RDF [NDLR : l’armée rwandaise], qui a dirigé des opérations ciblées et utilisé des armes de haute technologie”, précise le dernier en date, publié fin décembre 2024.

C’était avant que le M23 ne prenne Goma, la plus grande ville de l’est de la République démocratique du Congo. Depuis des mois, les rebelles grignotent le territoire de la province du Nord-Kivu, épaulés par 3 000 à 4 000 soldats rwandais, venus avec leurs missiles sol-air et des dispositifs de brouillage capables de neutraliser les moyens aériens de l’ennemi. Face à eux, une armée congolaise en déroute, incapable de reprendre le moindre centimètre carré de terre.

Sphère d’influence

26 janvier 2025 : après des semaines d’encerclement, les guérilleros entrent à Goma. Ni l’armée, ni les Casques bleus, ni les mercenaires grassement payés par Kinshasa – pour certains, français – ne parviennent à les arrêter. En quatre jours, 700 personnes sont tuées et 2 800 blessées dans les combats, selon l’Organisation mondiale de la santé. A Kigali, les haut gradés jubilent. “Goma est libérée”, fait savoir l’un des patrons des services secrets rwandais (le “NISS”, connu pour son impitoyable traque des opposants au régime de Paul Kagame) à ses contacts. En public, le discours est tout autre. “Le Rwanda a toujours plaidé en faveur d’une solution politique au conflit”, déclare le 2 février le ministère des Affaires étrangères. Sur le terrain, pourtant, la confrontation militaire dure depuis trente ans. “C’est la cinquième grande rébellion dans ce pays appuyée par le Rwanda depuis 1996, souligne Jason Stearns, cofondateur du groupe de recherche sur le Congo à l’université de New York (NYU). Kigali considère l’est de la RDC comme faisant partie de sa sphère d’influence.”

Pour le comprendre, il faut remonter à 1994, l’année noire du génocide des Tutsi. Le 4 juillet, les maquisards emmenés par le commandant Paul Kagame mettent fin au régime suprémaciste hutu qui a exterminé, en trois mois, 800 000 hommes, femmes et enfants, en majorité Tutsi. Dans la foulée, Kagame devient vice-président. Puis, président, six ans plus tard. Une obsession ne le quittera plus : mater les partisans du “Hutu power”, l’infâme idéologie à l’origine du génocide. Des fanatiques retranchés en République démocratique du Congo, où ils sont passés avec armes et bagages à l’été 1994. A l’est de ce pays, le deuxième plus vaste du continent, ils forment une milice nommée FDLR. Leur espoir ? Reprendre un jour le pouvoir au Rwanda… Pour “terminer le travail”. Une menace existentielle aux yeux de Kigali.

“Les FDLR seraient aujourd’hui autour de 2500, selon les estimations les plus larges, pointe Onesphore Sematumba, chercheur à l’International Crisis Group. Ils poursuivent leur formation militaire dans la brousse et recrutent encore des jeunes. Il ne s’agit donc pas seulement des vieux génocidaires de 1994. Ils s’inscrivent dans une logique mystique, comme s’ils étaient en croisade.” Mais la milice a perdu de sa puissance ces dernières années. “Sa dernière grande incursion au Rwanda date de 2001, rappelle Jason Stearns. Depuis, il y a eu des petits raids à travers la frontière mais ces opérations ne peuvent pas justifier la riposte actuelle, qui déplace 2 millions de Congolais à l’est de la RDC.” Pour Kagame, visiblement, si. “Certains, qui ne savent pas de quoi ils parlent, disent que les FDLR ne sont qu’une poignée, et que nous exagérons. Mais même s’ils sont peu nombreux, pourquoi existent-ils encore, après toutes ces années ?”, s’interroge-t-il dans un entretien à Jeune Afrique en mars 2024.

La question mérite, il est vrai, d’être posée car, non seulement les tentatives de démantèlement de ce groupe ont été vaines, mais en plus l’armée congolaise a pris fait et cause pour ces miliciens. “Le gouvernement congolais, malgré les appels répétés à mettre fin à son soutien aux FDLR, a continué d’utiliser […] les FDLR comme supplétifs”, déplore l’ONU dans son dernier rapport. Un motif tout trouvé, du côté des autorités rwandaises, pour redoubler de force, aux côtés des rebelles du M23, et satisfaire au passage d’autres ambitions. “Plus ils avancent, plus ils testent les faiblesses de l’armée congolaise et plus leur appétit grandit, note Onesphore Sematumba. Goma a été un test terrible : le président congolais Tshisekedi s’est retrouvé comme un roi nu, son armée s’est effondrée en une semaine, les gouverneurs et les chefs militaires ont fui par bateau, les autres se sont rendus à la police rwandaise. Le M23 et le Rwanda vont vouloir profiter de cette dynamique pour gagner le plus de terrain possible.”

Manne minière

Car l’enjeu n’est pas seulement défensif. Loin de là. “Le Rwanda veut une administration Kigali-compatible en RDC, au moins dans sa partie orientale”, ajoute ce chercheur. Et pour cause, la région recèle une manne minière que tous les pays frontaliers s’arrachent. “En 2023, le Rwanda a exporté 1,1 milliard de dollars de minerais. On estime qu’une grande partie provient de l’est de la RDC souligne Jason Stearns. Ce revenu d’exportation représente un quart du budget du Rwanda ! Il est donc clair que ces minerais jouent un rôle crucial pour l’économie du pays.”

A lui seul, l’or représente plus de 80 % de ces exportations. Autre ressource majeure dans la région, le coltan, dont est extrait le tantale, crucial pour la fabrication d’appareils électroniques portables. En avril dernier, le M23 met la main sur Rubaya, où se trouve la plus grande mine de coltan de la région des Grands Lacs. Les rebelles y instaurent une administration parallèle qui pilote l’extraction minière, son transport et sa taxation. “Au moins 150 tonnes de coltan ont été frauduleusement exportées par mois vers le Rwanda et mélangées à la production rwandaise”, rapporte encore le groupe d’experts de l’ONU.

Jusqu’à présent, pourtant, peu de pays s’en étaient offusqués. En février dernier, en pleine avancée des rebelles, l’Union européenne et le Rwanda signent même un protocole d’accord pour valoriser l’exploitation des minerais par le petit Etat est-africain. Il “contribuera à assurer un approvisionnement durable en matières premières”, relève Bruxelles. L’année précédente, les Vingt-Sept signent un plan d’investissement à 900 millions d’euros au profit du Rwanda. Depuis 2022, l’UE a par ailleurs versé 40 millions à l’armée rwandaise pour sa mobilisation au Mozambique contre une insurrection islamiste.

Paul Kagame, “Monsieur solutions”

“Ces dix dernières années, le Rwanda a mené une diplomatie hyperactive et très habile pour apparaître comme un partenaire fiable pour la communauté internationale, contrairement à la RDC, gouvernée par une kleptocratie, au niveau de corruption stratosphérique”, explique le journaliste Christophe Rigaud, directeur du site d’information Afrikarabia.com, consacré à l’actualité en RDC. Sur tous les fronts, Paul Kagame se mue en “Monsieur solutions” pour ces partenaires occidentaux : deuxième contributeur des missions de maintien de la paix des Nations unies, le Rwanda envoie ses hommes au secours de la Centrafrique, un contrepoids aux mercenaires russes de Wagner, très apprécié par Washington et Paris. Au Mozambique, les soldats de Kagame se battent contre des islamistes qui entravaient le projet gazier géant de Total dans la région du Cabo Delgado. Enfin, le président rwandais propose au gouvernement conservateur britannique d’accueillir les demandeurs d’asile entrés illégalement sur son territoire – l’accord, annoncé en 2022, a depuis été abandonné. Mais ce n’est pas tout. “Le Rwanda veut peser dans toutes les instances internationales possibles, et il y parvient, ajoute Jason Stearns. La secrétaire générale de la francophonie est rwandaise ; tout comme le dirigeant de la commission économique pour l’Afrique à l’ONU et la vice-présidente de la Commission de l’Union africaine. Quand il y a des négociations au Conseil de sécurité à New York, les Rwandais sont très organisés. Et si vous avez le malheur de les critiquer trop fort, une armée de trolls vous pourrit la vie sur les réseaux sociaux.”

La “méthode Kagame” a fait ses preuves : outre les condamnations verbales, les réactions internationales demeurent à ce jour assez timides. En 2012, il en avait été bien autrement, lors de la première prise de Goma par le M23, formé quelques mois plus tôt. A l’époque, les bailleurs de fonds avaient coupé 240 millions de dollars d’aide au Rwanda, avant même l’entrée des rebelles dans la ville. Le président américain, Barack Obama, avait appelé Paul Kagame, et les rebelles avaient reculé. Treize ans plus tard, le monde a changé. Vladimir Poutine a franchi le Rubicon en Ukraine. De retour à la Maison-Blanche, Donald Trump veut s’emparer du Groenland et appelle à “nettoyer” Gaza. A 11 000 kilomètres de Washington, Paul Kagame, partisan lui aussi de “la paix par la force”, pourrait bien finir par obtenir ce qu’il veut : un “protectorat” administré par des rebelles sous sa coupe.




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