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Emmanuel Macron : nos révélations sur ces 10 jours où il a imaginé Sébastien Lecornu à Matignon


Heureusement que ces deux-là ont en commun un rythme circadien. Coucher au cœur de la nuit… lever à l’aube. Minuit a-t-il sonné quand Emmanuel Macron et Sébastien Lecornu interrompent leur conversation, jeudi 12 décembre 2024 ? Qu’importe l’horaire, pourvu qu’on ait un Premier ministre. Le président de la République veut nommer dès le lendemain le remplaçant de Michel Barnier et son choix, enfin, est arrêté. Il l’a d’ailleurs annoncé à son cabinet en fin de journée : ce sera lui, Lecornu, qui prendra la tête du gouvernement. “Et François Bayrou ?” questionne un téméraire. “Je vais le traiter, je le connais, j’ai l’habitude”, balaie le président. C’est qui le patron ?

Le ministre de la Défense avec le temps a appris à ne pas dormir, les conflits, les morts, depuis plus de deux ans, le hantent ; mais cette nuit, son monde paraît s’éloigner, Matignon devant lui se dessine et dans ce clair-obscur surgissent des tourments nouveaux. Puis vint le fracas. Vers 7 heures le vendredi 13 décembre, Emmanuel Macron joint de nouveau Sébastien Lecornu. Le président s’adresse à son prochain Premier ministre. Le temps est venu de changer de costume, organiser son cabinet, préparer la passation de pouvoirs… Sa prise de parole, le presque nommé l’a déjà ciselée dans son esprit : elle sera courte, deux phrases, “Merci Michel Barnier, au travail à présent”. Pendant que le futur Premier ministre s’affaire, Emmanuel Macron, de son côté, va recevoir François Bayrou, il n’est jamais trop tard pour annoncer les mauvaises nouvelles. L’entrevue promet d’être âpre, violente même, songe tout haut le président avant de raccrocher. Le vent se lève, il faut tenter de vivre.

Acte 1 : Le jockey et la jument

“Je ne suis candidat à rien” : durant les dix jours qui ont précédé cet insolite vendredi, Sébastien Lecornu l’a répété, sur tous les tons, à tous ses interlocuteurs avides de renseignements sur ses intentions et celles du locataire élyséen. Devant certains, il a même ajouté : “Je n’ai pas envie de Matignon.” Saine attitude de celui qui connaît trop son président pour l’imaginer constant. Entre l’un et l’autre, une complicité vivace, fil WhatsApp ininterrompu, railleries audiardesques sur les scènes et les gens de la vie politique, confidences nocturnes et rêveries présidentielles à voix haute, sans filtre. Une confiance solide comme seul crée l’isolement. Depuis qu’Emmanuel Macron voit fondre les cercles de ses fidèles, depuis que ses ministres et Premiers ministres d’hier piétinent le macronisme, il cherche ceux qui restent. Les “Tu me manques”, “Tu es vraiment un frère” rythment ses SMS en même temps que les grands discours sur le sens de la loyauté. Un ami, un vrai, l’a mis en garde : “Pose-toi cette question jusqu’à la fin quand tu vois des gens dans ton bureau : est-ce qu’ils te prennent pour un jockey ou pour une jument ?” Avec Sébastien Lecornu, le chef de l’Etat ne doute pas.

Avant même la chute du gouvernement Barnier, ensemble, ils échangent sur le profil idéal du successeur. Durant le vol retour de leur voyage en Arabie saoudite, mercredi 4 décembre, une poignée d’heures avant la censure, le président de la République fait part de ses réflexions à son ministre. A Matignon, l’homme de droite doit céder sa place à un homme de gauche, c’est sa conviction à 40 000 pieds au-dessus de la Terre. Jean-Yves Le Drian, avec son expérience, sa sagesse, ferait un excellent Premier ministre. Voilà qui tombe à pic, l’ancien ministre des Armées est aussi du voyage, assis à quelques mètres d’eux. Sébastien Lecornu a à peine le temps de se familiariser avec la nouvelle idée du président…

Acte 2 : En voiture avec Le Drian

Pour Le Drian, déjà, l’histoire est en marche. En voiture, plus exactement. A peine débarqués sur le tarmac de Villacoublay, les passagers de l’avion présidentiel observent, stupéfaits, Emmanuel Macron s’éloigner avec, installé à son côté dans le véhicule, son ex-ministre des Affaires étrangères. Est-ce ainsi que les Premiers ministres naissent ? A cet instant, Sébastien Lecornu est assailli par de nouvelles pensées. La déception l’effleure-t-elle ? Car la possibilité de sa nomination fait l’objet d’une conversation persistante entre lui et le président depuis plusieurs jours. Le trentenaire a dressé la liste de ses défauts qui commence par sa très grande proximité avec le responsable de la dissolution, à l’heure où “il faut partager le pouvoir”. Le Drian a un atout, il apaiserait la gauche modérée. Sébastien Lecornu connaît et apprécie ce prédécesseur avec lequel il échange souvent. Et il en est persuadé : “Tout le monde pourrait être pour la nomination de Jean-Yves Le Drian à Matignon, sauf Jean-Yves Le Drian.” Malgré l’insistance d’Emmanuel Macron.

Le candidat à rien doit donc se préparer à tout. A-t-on vu un serviteur de l’Etat tourner le dos à ses responsabilités, surtout en ces temps troublés ? Mercredi 4 décembre toujours, le soir de la censure, entre les anges et les allégories du salon Delacroix à l’Assemblée nationale, Sébastien Lecornu et Gérald Darmanin conversent. Amitié et méfiance. A l’été 2023, celui qui occupe la Place Beauvau ne confie pas à son ami son avancée vers Matignon. Alors, quand le même entend ce soir de décembre 2024 “Sébastien” lui promettre “qu’on ne [lui] a rien proposé”, il se méfie. En politique, l’affection n’interdit pas les cachotteries.

Sans doute Darmanin a-t-il remarqué, à son tour, que Sébastien Lecornu paraît changé. A l’un de ses collègues ministres qu’il croise ce soir-là, le locataire de la rue Saint-Dominique donne l’impression d’avoir soudainement gagné en gravité. Un autre note qu’il s’exprime presque comme s’il avait reçu le droit ou l’ordre de le faire au nom d’Emmanuel Macron. Si c’était si simple… Quand il s’agit de Matignon, le président procrastine et ne formule rien clairement. Au Palais, deux fronts s’opposent : Alexis Kohler, qui a un temps plaidé pour la nomination de son ami, macroniste historique, Roland Lescure, finit par considérer que François Bayrou représente une option intéressante. D’autres conseillers jugent Lecornu plus facile, plus conciliant.

Acte 3 : Ne pas jouer à être un Premier ministre comme avant

Pour lui, la séquence qui s’ouvre ressemble à un casse-tête : comment anticiper ce qui n’existe pas, ce dont il n’a pas forcément envie, le tout sans que cela se sache ? Parce qu’il se trouve depuis longtemps aux premières loges des tergiversations présidentielles, il sait que la prudence ne doit pas le quitter. Il a en tête cette sentence d’un ancien conseiller ministériel : “Sous cette présidence, il y a plus de Premiers ministres qui ne l’ont pas été que de Premiers ministres qui l’ont été.” Lui-même a servi de lièvre dans les semaines qui ont précédé la nomination de Gabriel Attal en janvier 2024, et en a déduit qu’il appréciait modérément la course à pied quand elle consiste à se faire doubler. Une fois, c’est de bonne guerre comme on ne dit pas à l’Hôtel de Brienne, deux…

Réfléchir à sa philosophie gouvernementale, imaginer son cabinet, sonder les uns, approcher les autres, à chaque fois en énonçant : “Je connais le président, je suis bien placé pour savoir qu’il ne faut pas s’emballer.” Un de ses visiteurs note le décalage entre “sa précaution rhétorique et le soin qu’il met à tout penser”. Le gouvernement ? Il le veut “large”, et composé de grandes figures dont le gouvernement Barnier a cruellement manqué. Des grands maires de tous bords mais surtout pas de parlementaires socialistes : on n’intègre pas ceux qui se sont fait élire avec l’abominable étiquette NFP.

Il faut également amadouer les fauves en leur proposant un ministère : Gabriel Attal pourrait retrouver son fauteuil à l’Education, Laurent Wauquiez se voir proposer de nouveau un grand Bercy, quant à Edouard Philippe… Non, il n’acceptera jamais. Sans oublier de conserver les identifiés : Bruno Retailleau à Beauvau, Rachida Dati à la Culture. L’objectif, confie-t-il à ses visiteurs : “S’inscrire sur une ligne très courte, accepter le fait que c’est pour une gestion de crise, six mois de remise à flot du système.” Sa déclaration de politique générale pourrait ne ressembler à aucune autre, vingt minutes, peut-être avec le budget comme seul objet. Bref, ne pas jouer à être un Premier ministre comme avant.

Acte 4 : L’ombre, le fantôme et le directeur de cabinet

Au fil des heures, le discret ministre entre dans une nouvelle dimension. A son insu, on ne parle que de lui, on le voit partout. Il s’invite même au dîner des couples Hollande et Sarkozy, le 7 décembre, après la cérémonie de réouverture de Notre-Dame. Ça papote dur. Le président de droite est convaincu que le Normand est l’homme de la situation, le président de gauche sait que souvent Emmanuel Macron varie : cela fait belle lurette qu’il ne s’y fie plus. Tiens, voilà maintenant les deux ex parfaitement raccord.

L’ombre de Lecornu est omniprésente, à moins que ce ne soit son fantôme. Dans un premier temps, le fameux vendredi 13, François Bayrou croira avoir aperçu le ministre de la Défense arriver au Palais lorsque lui s’en éloignait. Puis il pensera que le cortège du Normand était prêt à partir de la rue Saint-Dominique pour traverser la Seine avant l’adoubement à l’Elysée. Erreur, double erreur. Sébastien Lecornu est dans son bureau, un ultime rendez-vous avec le président n’est même pas prévu, tout est déjà calé.

L’un de ses principaux hommes de confiance, celui qu’il avait imposé à ses débuts à la tête de son cabinet à la défense, a déjà préparé ses valises pour le suivre à Matignon ; quand il comprendra que l’histoire s’est échappée, Philippe Gustin quittera illico son bureau au ministère de l’Agriculture pour déballer ses affaires et sa rancœur jusqu’au lundi suivant.

Acte 5 : “Je voulais sauver ma peau”

Sébastien Lecornu, lui, ne tardera pas à dépressuriser. François Bayrou s’est-il fait un film ? A qui l’Elysée a-t-il joué la grande illusion ? La réalité se cache parfois dans ce que l’on ne saura jamais. Ce que le ministre a appris, en revanche, et de la bouche même du cheval, c’est qu’il reste aux Armées : le chef de l’Etat le lui a immédiatement dit, ce vendredi, quand il a dû lui annoncer qu’il n’irait pas à Matignon. Les membres du gouvernement, eux, attendront dix jours pour connaître leur affectation.

“Tout cela n’était pas contre toi, tu comprends, je voulais sauver ma peau” : une fois une seule François Bayrou reparlera à Sébastien Lecornu de ce jour appelé à entrer dans l’histoire de la Ve République. Le ministre des Armées en conclura qu’il a bien fait de consacrer l’essentiel de son temps aux grandes affaires du pays et le minimum à la petite politique. Peut-être en profitera-t-il même pour réussir une synthèse comme on n’en fait plus. De Grand-Bourgtheroulde (Eure) à Versailles, du premier grand débat au Congrès, le chemin n’est pas évident, et pourtant. Aller de l’un à l’autre, ne serait-ce pas là un moyen de boucler la boucle du macronisme comme rénovation démocratique ?

Le ministre chargé des collectivités locales de 2019 joue un vrai rôle lors de la réponse aux gilets jaunes, c’est à cette occasion qu’Emmanuel Macron le découvre vraiment – lui, avait fait connaissance du président en lui serrant la main à son premier conseil des ministres, imaginez l’ascension. Après cet exercice de démocratie directe, séduisant mais un peu vain, le moment est peut-être venu de rénover les us et coutumes. “Pour rien au monde, on ne doit avoir peur du peuple”, avance Lecornu. Le président a évoqué le 31 décembre la possibilité que les Français tranchent, alors il réfléchit. Elargir le champ du référendum est une option, et l’occasion aussi de toucher à la pratique référendaire, en modernisant l’outil : le Parlement réuni en congrès à Versailles serait ainsi habilité à modifier la Constitution, avant de procéder à des référendums.

Acte 6 : Le prochain livre

De cela il fut un peu question, mais pas trop, autour de fruits de mer partagés avec Emmanuel Macron et Bruno Retailleau un lundi de janvier – leur dîner du 20 janvier a été révélé par La Tribune dimanche. Le ministre de l’Intérieur ne veut pas davantage que son collègue régalien de référendums qui amuseraient simplement la galerie. Lui sait, depuis que le Conseil constitutionnel a statué sur la question, qu’il serait possible d’interroger les Français sur l’immigration en l’abordant de manière décalée : la durée de présence sur le territoire avant de toucher certaines prestations sociales.

Comment ne pas mettre trop d’eau dans son vin ? Lecornu a appris le métier de ministre, huit ans presque qu’il est là sans discontinuité, Retailleau apprend vite. Ce soir-là, il y avait également le patron de la DGSE et celui de la DGSI qu’ils sont l’un et l’autre : les affaires de l’Etat, jusqu’à l’Algérie, constituent le plat principal. Car il y a une présidence à sauver avant qu’elle ne s’achève. Le ministre des Armées est un soldat. Jusqu’au bout, pour le président, avec le président, il s’agitera pour que Paris figure sur la photo, comme au Liban. “La France n’est plus auto-portée, plus suffisamment puissante pour s’absenter”, observe le ministre. Son livre Vers la guerre ? (Plon) a franchi les 12 000 exemplaires vendus, une performance qui n’était pas forcément attendue, il songe déjà à la suite, les sujets militaires sont inépuisables. Il n’est pas à Matignon, et alors ? Il n’a pas envie d’écrire le mot fin.




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