* . * . * .

Aurore Lalucq : “La loi Omnibus ? La simplification c’est bien, mais gare à la solution de facilité”


L’Union européenne, un enfer administratif ? Alors que le tandem Trump-Musk taille dans les dépenses publiques, les agences américaines et démantèle à marche forcée toutes les réglementations, de ce côté-ci de l’Atlantique, la Commission européenne va présenter ce mercredi 26 février un vaste plan de simplification. Dans le viseur, deux directives : la CSRD et la CS3D qui obligent les entreprises à évaluer leur impact sur l’environnement et la société. Un cadre normatif très décrié par les lobbies industriels mais qui était un des piliers du Green Deal. Pour l’eurodéputée et économiste Aurore Lalucq (groupe socialiste et démocrate) et présidente de la commission économique au Parlement européen, la simplification, qui est une demande légitime des entreprises, ne peut être qu’un élément dans la reconquête de la compétitivité européenne.

L’Express : La Commission européenne présente ce mercredi sa loi Omnibus, un vaste plan de simplification. La réponse est-elle à la hauteur des promesses d’Ursula von der Leyen et des attentes notamment des chefs d’entreprise ?

Aurore Lalucq : Nous allons voir ce que cette loi comporte dans les détails. Ce qui est sûr, c’est qu’il ne faut pas que la simplification, qui est une demande légitime de la part des entreprises, s’apparente à de la déréglementation, avec une remise en cause de certains piliers européens. Surtout, elle ne peut être vue comme la solution miracle à tous les problèmes de sous-compétitivité de l’Europe. Et là, je suis inquiète. Lorsque je rencontre des chefs d’entreprise, de quoi me parlent-ils ? Evidemment de simplification, et ils ont raison. Mais également de prix de l’énergie. Le rapport Draghi a très bien montré que notre différentiel de compétitivité avec les Etats-Unis vient largement des écarts de coûts de l’énergie de part et d’autre de l’Atlantique. Mais les patrons me parlent également de concurrence déloyale, notamment de la Chine. Et ils pointent enfin la lenteur de la réponse des institutions européennes. Concrètement, cela veut dire que nous devons avoir à la fois un choc d’anticipation et un choc de réactivité. On ne peut pas attendre 12 mois à 18 mois et laisser des entreprises européennes se faire prendre des parts de marché de manière déloyale.

Ma crainte est que la solution de la simplification soit un peu celle de la facilité. Ce n’est pas la suppression ou le toilettage de certains règlements tels que la CSRD et celui sur le devoir de vigilance qui vont tout d’un coup nous protéger et protéger nos entreprises si jamais un jour, la Chine décide d’inonder le marché européen de voitures chinoises. Cela ne changera rien, en fait. Ce n’est pas la simplification, non plus, qui permettra de créer les infrastructures du numérique dont nous avons besoin. Pour ça, il faut autre chose. Et c’est là où j’alerte : nous devons répondre à l’ensemble du rapport Draghi. Ce que pointe ce rapport, c’est notre manque de stratégie industrielle, notre manque d’investissement et la question du prix de l’énergie. J’espère que le Clean Industrial Act proposé prochainement par le commissaire Stéphane Séjourné y répondra en partie.

Vous présidez justement un groupe de travail au Parlement européen qui planche sur les réponses à apporter aux propositions de Mario Draghi. Ce rapport devrait être finalisé dans les prochaines semaines. Où en êtes-vous des discussions et quels sont les facteurs de blocage ?

Beaucoup va dépendre de la façon dont l’Industrial Act proposé par Stéphane Séjourné va être perçu. Il faut savoir qu’en fonction des nationalités et des groupes politiques, il peut y avoir une certaine réticence à faire de la politique industrielle. Et puis on va voir aussi la réponse du Parlement à la loi Omnibus. Concernant spécifiquement le rapport Draghi, ce qui nous semble essentiel, c’est de trouver les moyens de financement aux investissements gigantesques que nous devons lancer urgemment. Parce que le nerf de la guerre, c’est de trouver 800 milliards d’euros. Auxquels il faudra ajouter des dizaines d’autres milliards pour le réarmement européen. Ou trouver l’argent ? Là encore, la réponse de l’union des marchés de capitaux apparaît souvent comme la solution miracle. Mais c’est un chantier très long. Il faut un superviseur unique. Il faut harmoniser le droit des faillites. Il faut des chambres de compensation sur le territoire européen… J’avertis encore : faire l’union des marchés de capitaux ne sera pas la solution à tous nos problèmes. C’est un élément parmi tant d’autres. Tout est affaire de tuyaux. Nous avons l’épargne des Européens, il faut arriver à mettre de l’investissement en face. Contrairement à ce que l’on croit, l’Union européenne ne vit pas au-dessus de ses moyens. Elle vit en dessous. Nous avons un problème de faiblesse de la demande, que ce soit du côté de la consommation ou de l’investissement. Enfin, il faut faire preuve de pragmatisme. Il y a des secteurs où il y a besoin d’argent public, d’autres non.

Cette nouvelle mandature européenne commence avec un énorme sujet économique : la réponse européenne au rouleau compresseur américain. Et pourtant, vous soutenez que le talon d’Achille de Donald Trump, c’est justement l’économie…

Oui. Il y a quelque chose qui ne “boucle” pas dans l’équation économique de Donald Trump. Comment ne pas faire d’inflation quand on augmente les droits de douane comme il souhaite le faire ? Le président américain soutient que la hausse des droits de douane sera compensée par une baisse des impôts. Mais ça n’a rien à voir ! Le capitalisme d’extorsion que Trump essaie de mettre en place révèle en creux une certaine fragilité de l’Amérique. C’est un sujet que l’on ne pointe pas suffisamment en Europe, mais regardez le poids de la dette américaine ! Elle est colossale et c’est une épée de Damoclès sur le dollar et sur le financement de l’économie américaine. Enfin, regardez ce qui s’est passé tout récemment avec le Canada. Lorsque Trump a été très agressif sur les droits de douane, le gouvernement canadien a répondu de manière très ferme en disant “nous aussi, nous allons répondre”. Les marchés financiers ont tout de suite dévissé et Trump a fait en partie machine arrière. Regardez les valorisations boursières européennes depuis un mois, elles ne se portent pas si mal que ça. Alors que du côté des valorisations américaines, certaines comme Tesla ou Amazon, sont en train de s’abîmer.

Tout a changé dans le paysage européen depuis le discours du vice-président J. D. Vance à Munich avec la prise de conscience que l’allié américain n’était plus indéfectible. L’Europe doit urgemment penser à assurer sa sécurité et là aussi, nous butons sur une question de financement… Est-ce possible avec des Etats aussi endettés ?

Il faut toujours faire très attention à la façon dont on gère l’argent public. Parce que c’est l’argent des citoyens. Néanmoins, le pacte de stabilité de croissance, disons-le clairement, n’a jamais fonctionné. Une règle que vous êtes obligés de suspendre à chaque fois qu’il y a une crise, c’est que fondamentalement il y a un problème avec la règle. Il faut donc la revoir.

Mais certains pays, comme l’Allemagne, l’Autriche, les Pays-Bas ou la Finlande s’adaptent très bien à cette règle… Votre réponse est très “française”…

Je ne fais pas partie de celles et de ceux qui disent qu’il n’y a aucun problème avec la dette. Il faut pour des raisons politiques et éthiques faire toujours attention à la façon dont on gère les finances publiques. Je le répète : ce pacte de stabilité ne fonctionne pas parce qu’à chaque fois qu’il y a un problème, il est mis sur pause. Que ce soit au moment de la crise de 2008, que ce soit avec le Covid, ou au moment de la guerre en Ukraine. Aujourd’hui, j’entends la Commission dire qu’il y aurait une possibilité de flexibilité sur les dépenses de défense. C’est un premier pas bienvenu. Mais comment voulez-vous, quand vous êtes un pays déjà très endetté comme la France, s’endetter encore davantage ? Ce n’est pas raisonnable. Cette proposition peut convenir à certains pays qui ne sont pas dans notre situation.

Vous voulez dire que s’endetter encore plus pour la France pour financer sa défense, ce n’est pas possible ?

Oui, c’est compliqué. Nous avons déjà le plus grand mal à ramener les comptes publics dans les clous. Et là, on nous dit : il n’y a pas de problème, vous allez pouvoir dépenser plus en faisant de la flexibilité. Il faut trouver d’autres solutions. La flexibilité ne sera pas suffisante. Il faudra davantage de solidarité.

Est-il possible de faire sur la défense ce que l’Europe a réussi sur le vaccin au moment du Covid ? C’est-à-dire des achats en commun…

C’est exactement ce qu’il faut faire. Sur les vaccins, cette stratégie a formidablement marché même si l’Europe a mis du temps à se mettre en route. Après, ces achats en commun peuvent-ils être financés par un nouvel emprunt en commun ou par autre chose. Et dans ce cas, par quoi ? Pendant la crise du Covid, l’UE a ouvert la possibilité aux Etats de passer par le mécanisme européen de stabilité (MES). Créé au lendemain de la crise des dettes européennes de 2010-2011, il a pour objectif de fournir une aide aux Etats qui encourent un risque d’insolvabilité. Au moment de la crise du Covid, il a été rendu possible – je vous passe les détails juridiques et réglementaires – d’y avoir accès. On parle ici de dizaines de milliards ! Utilisons-le. A très court terme, il nous permet d’avoir une solution.

Puisque vous mentionnez l’exemple du Covid, l’Europe, à l’époque, a acheté des vaccins américains et britanniques… Faute de vaccins européens. En matière de défense, le risque n’est-il pas d’acheter des armements américains ? Certains pays y sont favorables…

Nous devons privilégier au maximum les achats de matériels européens. C’est une question d’autonomie stratégique, une question de souveraineté. C’est vrai dans le domaine de la défense comme dans celui du numérique. Pour être en capacité de protéger nos données, nous devons absolument développer nos propres infrastructures.

L’industrie de la défense européenne est-elle en capacité de répondre à ce besoin impérieux ?

Ne soyons pas défaitistes : en matière de défense, nous avons des capacités de production en Europe. Maintenant, il faut discuter très concrètement avec les industriels. Je suis favorable à une grande conférence sur la défense avec tous les industriels européens autour de la table. Avec une stratégie très gaulliste : faire de la planification. Cela ne veut pas dire faire à la place des entreprises ! Cela veut dire leur demander ce qu’ils sont capables de faire et en combien de temps. Et comment on peut les aider à le réaliser. Osons faire enfin de l’intelligence économique. Tous les groupes industriels qui se développent aujourd’hui dans le monde, parfois très rapidement, sont venus chercher des talents en France et dans toute l’Europe. Faisons de même : les compétences que nous n’avons hélas plus… Nous irons aussi les chercher ailleurs.




Source

.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . %%%. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . $ $ $ $ $ $ $ $ $ $ $ $ $ $ $ $ $ $ $ $ - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - . . . . .