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Emilia Pérez, “Le bureau des légendes”…. Le cinéma malade d’un militantisme bas du front, par Abnousse Shalmani


Durant la guerre froide, chaque sélection de films du Festival de Cannes était un casse-tête diplomatico-idéologique, un baromètre de l’état des forces, une plate-forme glamour du softpower des uns et des autres. D’ailleurs, le Festival de Cannes avait été fondé pour répondre à la Mostra de Venise, devenue la vitrine du fascisme mussolinien. Mais jamais le cinéma n’a été autant pris en otage par la politique qu’aujourd’hui, jamais le destin d’un film n’a été aussi dépendant non plus de sa qualité, mais de la personnalité, des prises de position – ou du silence –, du passé des réalisateurs ou des acteurs. Et jamais le monde du cinéma n’a été aussi pleutre, aussi peu transgressif, devenu incapable de secouer un conformisme qui assèche la créativité.

Comme elle parait loin, la micro-polémique qui avait accompagné l’immense succès du Fabuleux Destin d’Amélie Poulain de Jean-Pierre Jeunet, en 2001. A ce film réaliste magique, il avait été reproché, par un critique en panne d’inspiration, d’être coupable de “lepénisme latent”, et au personnage de Jamel Debbouze de s’appeler Lucien – il se serait appelé d’un prénom nord-africain, on aurait crié à la prison identitaire. Amélie Poulain est un grand film, irréel, absurde, joyeux, mélancolique, à l’opposé d’un tract politique et c’était ça le problème : être un film qui raconte une jolie histoire triste et drôle, avec des personnages complexes, perdus, obstinés qui illustrent combien l’enfer est pavé de bonnes intentions, combien il est difficile d’être heureux et encore plus de faire le bonheur des autres.

Quelques poignées d’années plus tard, Mercato de Tristan Séguéla, thriller haletant et réaliste qui ausculte l’univers impitoyable du football professionnel, pâtit non pas de propos douteux ou de crime d’imagination, mais d’une campagne abjecte de diffamation sur les réseaux sociaux qui reproche à son impeccable acteur principal, Jamel Debbouze, de ne pas s’engager davantage pour… Gaza, pénalisant le succès commercial du film – par ailleurs applaudi par tout l’éventail de la critique. Emilia Pérez de Jacques Audiard était promis à un grand succès aux Oscars, mais voilà que le film, qui coche à peu près toutes les cases de la synthèse identitaire, se prend les pieds dans des messages non-inclusifs, voire haineux, de la principale actrice du film, Karla Sofia Gascon. Ils lui valent d’être affublée, par Variety, du surnom de “Donald Trump de la course aux oscars”. Ce qu’elle écrit est indélicat, grossier, parfois débile, mais les conséquences pour le film sont disproportionnées.

Au risque de choquer, le cinéma ment

Pendant ce temps-là, au Mexique, le film, qui raconte l’histoire d’un méchant narcotrafiquant mexicain se faisant passer pour mort avant de revenir, après une transition sexuelle, en gentille femme qui sauve le monde, est l’objet d’une délirante campagne qui lui reproche de ne pas respecter la réalité : cela va du camion de recyclage de métaux qui ne passe jamais la nuit à Mexico à l’impossibilité d’imprimer des documents dans un marché ambulant en passant par l’espagnol des actrices, un éventail d’accents qui n’ont là encore rien à voir avec le vrai mexicain parlé dans le vrai Mexique. Il est aussi reproché au film la “transmystification”, la transition sexuelle du personnage étant trop “facile”. Au risque de te choquer, cher lecteur, ceci est un film de fiction, qui plus est une comédie musicale mélodramatique, il est très rare dans la vraie vie que les narcotrafiquants dansent et chantent en commettant leurs crimes. Emilia Pérez n’est ni un documentaire ni un film réaliste. C’est du cinéma : spectacle, illusion, mensonge. Le cinéma ment. C’est ce qu’on lui demande : mentir joliment.

Melisa Sözen, actrice turque, a été arrêtée par la police d’Istanbul le 3 février. Elle est soupçonnée de “propagande pour une organisation terroriste”. L’accusation trouve sa source dans le rôle d’une combattante kurde qu’elle a interprété dans la série Le Bureau des légendes. La confusion est totale, l’imaginaire, impossible, le libre choix d’une actrice, interdit, comme si le rôle contaminait le réel. Le monde du cinéma est prisonnier d’une censure morale, d’une chasse au faux pas idéologique, d’une psychose qui ne peut qu’engendrer des monstres totalitaires – bien réels cette fois.




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