* . * . * .

Pourquoi les juifs seraient victimes d’un rapprochement entre Israël et l’extrême droite, par Marc Knobel


Lors d’une rencontre en Belgique, Gideon Saar, ministre israélien des Affaires étrangères, a annoncé l’établissement de relations formelles avec trois partis d’extrême droite européens : le Rassemblement national (France), Vox (Espagne) et les Démocrates de Suède. Cette décision marque un tournant dans la politique étrangère israélienne. Saar a expliqué que son ministère évalue chaque parti selon leur attitude envers Israël, leur soutien au pays et leurs positions sur l’antisémitisme. Bien que reconnaissant leurs origines controversées, le ministre a insisté sur l’importance d’évaluer leurs actions actuelles.

Pour Gideon Saar, cette stratégie pourrait permettre à Israël d’élargir ses alliances sur la scène européenne face à un environnement international changeant. En dialoguant avec des partis influents, Israël pourrait renforcer sa position et défendre ses intérêts, tout en influençant potentiellement leur perception d’Israël et des questions liées à la communauté juive. Pour autant, certaines questions se posent.

Le gouvernement Netanyahou et certains partis d’extrême droite européens partagent des convergences idéologiques notables. Le nationalisme fort et la conception identitaire d’Israël en tant qu’État juif trouvent un écho auprès des partis d’extrême droite, qui défendent également une vision nationaliste et identitaire de leur propre pays. La priorité accordée à la sécurité et la lutte contre le terrorisme est une autre zone de convergence, avec des discours sécuritaires similaires.

De plus, la critique de l’islamisme radical est partagée, bien que les partis européens l’étendent souvent à l’immigration musulmane. Certains partis d’extrême droite européens ont affiché un soutien à Israël, notamment face aux critiques de la gauche et de l’extrême gauche. Cependant, ces convergences ne signifient pas une identité de vues totale, car des divergences importantes subsistent sur d’autres questions comme la politique économique ou les relations internationales. De plus, ce soutien (de l’extrême droite) peut être instrumentalisé à des fins politiques, par exemple pour justifier des politiques xénophobes ou attaquer les critiques d’Israël. Enfin, il est crucial de souligner que les partis d’extrême droite européens présentent des idéologies et des attitudes variées envers Israël et les Juifs, ce qui rend complexe cette alliance.

Controverses et réactions

Le rapprochement d’Israël avec certains partis d’extrême droite européens comporte des risques considérables. Cette stratégie pourrait susciter de vives controverses au sein de la société israélienne, où une partie de l’opinion publique s’y oppose farouchement. Les communautés juives européennes, souvent victimes de l’antisémitisme et de la xénophobie véhiculés par ces mouvements, pourraient se sentir trahies. En France, le Crif a déjà exprimé sa ferme opposition au dialogue avec le Rassemblement national (RN), le considérant comme l’héritier d’une tradition d’extrême droite et une menace pour les valeurs républicaines. D’autres organisations juives pourraient adopter une position similaire, créant des tensions communautaires. De plus, ce rapprochement risque de nuire à la réputation d’Israël auprès de ses alliés traditionnels de droite comme de gauche.

Le cas du RN en France illustre les complexités de cette nouvelle approche diplomatique. Sous la direction de Marine Le Pen, le parti a entrepris une stratégie de “dédiabolisation” visant à adoucir son image et à le rendre plus acceptable pour une partie de l’électorat. Cette stratégie inclut une condamnation officielle de l’antisémitisme et une tentative de séduire les électeurs juifs, perçus comme un obstacle à la progression du parti. Selon certains analystes, cette démarche vise à effacer le passé controversé du RN et à gagner en respectabilité.

Malgré ces efforts, les institutions juives françaises restent sur leurs gardes. Le Crif maintient une ligne de fermeté à l’égard du RN, soulignant que la lutte contre l’antisémitisme ne doit pas servir d’instrument pour des calculs politiques. L’Union des étudiants juifs de France (UEJF) et d’autres associations partagent cette position, mobilisant activement ses membres pour contrer l’influence du RN dans les circonscriptions où ses candidats se présentent.

Des positions contrastées

La communauté juive française présente des positions diverses face au RN. Certaines voix se sont exprimées en faveur d’un dialogue avec le parti. Par exemple, en juillet 2024, une trentaine de représentants de communautés juives d’Île-de-France ont rencontré Marine Le Pen pour discuter de sujets sensibles. Ces partisans estiment que la menace de l’islamisme radical est une priorité absolue et que le RN partage cet objectif. D’autres pensent que le RN a sincèrement évolué sur la question de l’antisémitisme. Serge Klarsfeld, historien et avocat, a même déclaré qu’en cas de duel entre le RN et La France insoumise, il voterait pour le RN, le considérant comme moins dangereux pour l’identité juive en France.

Cependant, ne serait-il pas légitime de rester prudent face à un parti dont les racines idéologiques restent controversées ? Cette prudence est justifiée par la nécessité de distinguer les déclarations officielles des actions concrètes. Ginette Kolinka, survivante de la Shoah, considère par exemple que le vote pour un parti fondé par Jean-Marie Le Pen est impensable.

En conclusion, l’éventuelle nouvelle politique israélienne d’ouverture envers certains partis d’extrême droite européens représente un pari risqué aux enjeux multiples. Si elle peut, à court terme, renforcer l’influence d’Israël sur une scène européenne en mutation, elle comporte des risques substantiels pour la cohésion interne du pays, ses relations avec les communautés juives européennes, et son image auprès de ses alliés traditionnels.

Un défi majeur

Ce rapprochement soulève des questions cruciales : comment concilier un dialogue avec des partis au passé trouble sans exiger une transparence totale et une condamnation sans équivoque de toute forme d’antisémitisme, de racisme ou de xénophobie ? Comment préserver les liens avec les partenaires traditionnels d’Israël, fondés sur des valeurs démocratiques partagées, tout en explorant de nouvelles alliances ?

L’avenir dira si cette stratégie, motivée par des convergences idéologiques pragmatiques et une volonté de contrer l’influence de l’islamisme radical, portera ses fruits en termes de sécurité et de légitimité internationale. Cependant, elle ne saurait justifier un affaiblissement des principes éthiques qui fondent l’identité d’Israël et ses alliances historiques. Le maintien de ces principes est essentiel pour préserver la crédibilité et la cohérence de la politique étrangère israélienne.

Le défi majeur pour la diplomatie israélienne sera de trouver un équilibre délicat entre pragmatisme politique et fidélité à ces principes. Cette question nous confronte à un choix fondamental : dans la quête de sa sécurité, un État peut-il légitimement s’allier avec des forces dont certaines valeurs pourraient contredire les siennes ? La réponse à cette question définira non seulement l’avenir d’Israël, mais aussi notre compréhension collective de la démocratie et des valeurs qui la sous-tendent dans un monde en pleine recomposition géopolitique.

*Marc Knobel est historien. Il a publié plusieurs ouvrages dont Haine et violences antisémites en 2013 (Berg International, 350 pages) puis Cyberhaine : propagande et antisémitisme sur Internet, en 2021 (Hermann, 231 pages).




Source

.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . ***. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . $ $ $ $ $ $ $ $ $ $ $ $ $ $ $ $ $ $ $ $ - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - . . . . .