Cacophonie au sein du gouvernement italien. A deux semaines du scrutin européen, le rétablissement d’un contrôle fiscal suspendu en 2018 est venu parasiter la campagne de Fratelli d’Italia, le parti d’extrême droite à la tête de la coalition gouvernementale. Porté par le vice-ministre de l’Economie Maurizio Leo, encarté au parti postfasciste, cet outil, surnommé “redditometro” (indicateur de richesse) par les Italiens, a finalement été remis au placard par la présidente du Conseil Giorgia Meloni deux jours après sa publication au Journal officiel. Récit d’un emballement politico-médiatique.
La polémique s’amorce ce mardi 21 mai. Dans une interview accordée au quotidien transalpin Corriere della Sera, Maurizio Leo annonce le grand retour du “redditometro”, un instrument au service du fisc pour débusquer les “faux pauvres”, ces Italiens aisés dont le train de vie ne correspond pas aux revenus déclarés. De prime à bord, le fonctionnement est assez simple : le dispositif mesure la cohérence entre le train de vie des personnes physiques et leurs revenus. Ainsi, si les sommes dépensées dépassent de 20 % le revenu déclaré, l’administration fiscale pourrait demander au contribuable de démontrer sa probité.
Pour justifier le retour par décret du “redditometro”, le vice-ministre de l’Economie égraine alors dans son entretien au Corriere della Sera une série d’arguments. D’abord, la Cour des comptes aurait alerté sur les risques d’un “éventuel préjudice pour le Trésor public en raison de la non-adoption des critères de calcul”. Ensuite, le “trou fiscal” serait encore béant. De l’ordre de “80 à 100 milliards d’euros par an”, annonce Maurizio Leo qui tambourine : “Nous ne pouvons pas abandonner la lutte contre l’évasion [fiscale].” Enfin, selon lui, la suspension des critères d’utilisation a créé un vide réglementaire, aboutissant à “un mécanisme permanent et sans limites” : “Les autorités fiscales peuvent faire des évaluations synthétiques comme elles l’entendent, […] sans disposer de certains éléments.” Et de résumer : “Il s’agit donc de rétablir des garanties pour les contribuables.”
Les alliés de Meloni vent debout
Aussitôt annoncée, la renaissance du “redditometro” a suscité l’ire d’une grande partie de la classe politique italienne. “Ils augmentent les impôts, ils entrent dans la vie des gens, ils mentent dans les documents officiels. Et pourtant, ils rejettent la faute sur les autres. Mais ils ne sont pas mauvais : ils sont simplement incompétents”, a ainsi étrillé l’ancien président du Conseil, Matteo Renzi.
Au quotidien La Stampa, le sénateur du parti démocrate Antonio Misiani a quant à lui raillé : “Ils sont ridicules. Pendant des années, ils ont tiré à boulets rouges sur le’redditometro’et maintenant, après l’avoir réintroduit, ils se sont fourrés dans cette controverse surréaliste avec la Lega et Forza Italia [NDLR : membres de la coalition gouvernementale] qui parlent de Big Brother et d”inquisition’, tandis que les représentants du FdI tentent de défendre le vice-ministre Leo.”
Adversaires dans le cadre de la campagne des européennes, les alliés de Giorgia Meloni au sein de la coalition gouvernementale n’ont pas manqué en effet de cibler Fratelli d’Italia, dont la liste conduite par la Première ministre caracole en tête des sondages. “Le redditomètre est un outil dépassé, nous avons toujours été contre”, a asséné Forza Italia. Même son de cloche du côté de la Lega de Matteo Salvini. “L’inquisition est terminée depuis longtemps et ne reviendra certainement pas avec la Ligue au gouvernement. Contrôler les dépenses des Italiens, en mode Big Brother, n’est certainement pas la meilleure méthode pour lutter contre l’évasion.”
La volte-face de Meloni
Du côté de la cheffe du gouvernement italien, l’initiative de son vice-ministre a été peu appréciée. Dans un message posté depuis son compte X (anciennement Twitter) mercredi 22 mai, Giorgia Meloni s’est inscrite en faux, assurant que son gouvernement “n’introduira jamais de ’taxe Big Brother'”. Et de marteler : “J’ai toujours été opposée aux mécanismes invasifs de redditomètre appliqués aux citoyens ordinaires.”
D’après nos confrères du Corriere della Sera, la présidente du Conseil “n’avait toujours pas évacué sa colère après le dérapage de son vice-ministre” mercredi matin. “Giorgia Meloni et Maurizio Leo se sont enfermés dans une pièce pour tenter d’inverser un récit (…), celui d’un gouvernement qui, à cause d’une double erreur de timing et de communication, se transformerait en gouvernement qui met soudainement fait les poches aux Italiens.”
Dans une vidéo publiée sur Instagram en fin de journée mercredi, Giorgia Meloni a annoncé un moratoire sur l’application du décret. “Après avoir rencontré le vice-ministre, Leo et nous sommes arrivés à la conclusion qu’il valait mieux le suspendre en attendant des études approfondies.” Sans surprise, ses alliés se sont immédiatement attribué le mérite du choix de la présidente du Conseil. “Je suis très satisfait, Meloni a accepté notre proposition”, a déclaré Antonio Tajani, patron de Forza Italia et ministre des Affaires étrangères.
Si Giorgia Meloni a réaffirmé sa confiance à Maurizio Leo, sa décision de suspendre le dispositif fiscal ne constitue pas moins un désaveu public. Et une occasion rêvée pour l’opposition en pleine campagne, de projeter la lumière sur les dissonances d’une coalition gouvernementale qui semble s’effriter.
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