C’est la liberté d’un président. Faire un coup, créer la surprise, peser de tout le poids que donne la fonction. La preuve par la Nouvelle-Calédonie : c’est exactement le sens de la visite d’Emmanuel Macron. “Il est considéré comme le président des crises, tout le monde s’accorde à dire que quand ça va mal, il ne se cache pas et ça rassure beaucoup les gens, décrypte un proche. Donc plutôt que subir les événements et rester dans son bureau à attendre de voir comment la poussière retombe, lui se dit qu’il va dans le cœur du réacteur, là où les degrés de pression sont si élevés que peuvent émerger des choses qui n’émergent pas en dehors. Quand on met un filtre et une préparation, on risque d’être dans un jeu d’acteurs. Lui est plus théâtre d’impro que Molière ou Corneille.” Avec une question : que reste-t-il le jour d’après, une fois le spectacle terminé ?
Macron 1 aime jouer, il aime prendre des risques, il aime être là où on ne l’attend pas, longtemps il a fredonné le chant de la transgression. Devinez où il se trouve le 9 avril 2020, en pleine épidémie de la Covid : dans le bureau du professeur Didier Raoult, le patron de l’Institut hospitalo-universitaire (IHU) Méditerranée Infection, pour parler de l’hydroxychloroquine. C’était le temps du président conquérant, celui qui se disait que lorsqu’il serait rattrapé par la polémique – et ce fut le cas après cette rencontre – il serait déjà loin, ailleurs.
Macron 2 est rattrapé par le temps, il sait que bientôt on ne le regardera plus, que toute l’attention se portera sur son successeur, c’est d’ailleurs pour cela qu’il veille avec un soin tout particulier à empêcher, dans son propre camp, quiconque se détacherait des autres pour faire la course en tête. Oui, j’attire encore l’attention médiatique, mon Premier ministre n’est pas tout ! Le 19 mars 2024, Gabriel Attal a beau tenir une conférence de presse sur l’une de ses grandes fiertés, le plan de lutte contre les fraudes, Emmanuel Macron effectue une visite surprise à Marseille pour une opération “place nette sans précédent” contre la drogue. Jeudi 23 mai, Gabriel Attal débattra avec Jordan Bardella, mais on ne laisse pas la place aux jeunes : le président sera à Nouméa.
C’est le jour d’après que les difficultés commencent
Macron 2 reste libre, il est, il veut être, il se croit le magicien. La crise agricole est insoluble ? Il s’en occupe. Le 6 février, alors que les tractations sur la formation du gouvernement battent leur plein, il se rend sans prévenir et sans médias dans le Doubs, dans l’exploitation d’Arnaud Gaillot, le président national des Jeunes agriculteurs. Il passera également par un bar-tabac du coin, d’abord choisi pour qu’il satisfasse certains besoins bien naturels et qui se révèle propice à une conversation à bâtons rompus avec les clients qui se trouvaient là. Éviter le moindre phénomène de lassitude en s’extrayant de ses habitudes, et, par la même occasion, échapper à tout le monde : c’est le but de l’opération, tenter de se renouveler, rester capable de sentir ce qui se passe dans le pays malgré le temps qui passe.
Macron 1 et Macron 2 ont en commun de vouloir rester maître de la situation. Les gilets jaunes empêchent tout déplacement présidentiel serein ? C’est par surprise qu’il va dans l’Aisne, dans un centre d’enfants victimes de maltraitance de Soissons, un jour de 2018. Les manifestants contre la réforme des retraites envahissent les moindres coins de rue ? Sans rien dire, il est dans le Jura et dans le Doubs, un jour de 2023.
Macron 1 et Macron 2 veulent aussi incarner l’ordre. L’Arc de Triomphe a été saccagé, alors le chef de l’Etat, à peine revenu d’Argentine, va sur place de manière inopinée, un dimanche matin, le 2 décembre 2018. Deux jours plus tard, toujours sans prévenir, il sera au Puy, où la préfecture a flambé.
Macron en Nouvelle-Calédonie, c’est tout cela à la fois : prouver qu’il est partout le bienvenu, que l’ordre revient, que le dialogue peut être rétabli, mais seulement grâce au président. Tous les précédents soulignent aussi autre chose : c’est le jour d’après que les difficultés commencent. La visite au professeur Raoult a laissé des traces, et pas forcément les bonnes. Celle à Marseille dans le cadre de la lutte contre la drogue en a-t-elle laissées ? Le coup de projecteur est un coup, le coup d’éclat aussi, mais après ? On a beaucoup évoqué ces dernières heures le précédent Mitterrand à Nouméa. Le 28 juin 1992, c’est dans un Sarajevo en guerre que le même Mitterrand arrive en plein secret pour forcer l’ouverture d’un couloir humanitaire et permettre le pont aérien humanitaire le plus long de l’histoire. Il n’empêche, les habitants bosniaques seront déçus, qui espéraient davantage. Peut-être comme ceux de Kiev, qui reçurent également la visite surprise d’Emmanuel Macron en 2022. Le monde n’est pas – seulement – un théâtre.
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