Dans le long entretien qu’il a accordé à L’Express, Emmanuel Macron revient sur l’un des paradoxes que connaît actuellement le pays en matière de réindustrialisation, cet enjeu dont il a fait la “mère des batailles”. Depuis son arrivée au pouvoir en 2017, 130 000 emplois supplémentaires sont venus grossir les rangs de l’industrie. Mais l’indice de production manufacturière ou la part de l’industrie dans le PIB n’ont pas progressé sur la même période. En somme, l’usine France ne produit pas plus qu’avant… avec plus de bras.
Le président de la République avance deux explications à ce phénomène. A l’en croire, “nous ne sommes pas encore sortis du Covid et beaucoup de chaînes de production ne tournent pas au même rythme qu’avant la pandémie. La réorganisation de ces chaînes est en train de se faire.” Cette productivité en berne tient aussi, estime le chef de l’Etat, “aux singularités de notre économie. En accroissant le retour à l’emploi, on fait revenir des gens qui ont moins de productivité, c’est un fait. La France était jadis un des pays les plus productifs du monde, parce qu’elle était un de ceux qui avaient le taux d’activité parmi les plus faibles et le chômage le plus important. Autrement dit, comme bien moins de Français travaillaient et qu’ils travaillaient moins longtemps, la production par habitant était bien plus élevée et, à mesure que l’activité augmente et que le chômage baisse, notre productivité se normalise. Statistiquement, plus on va faire revenir vers le travail – dans l’industrie, les services ou l’agriculture – des gens qui étaient loin de l’emploi, plus on aura une productivité dégradée pendant un temps.” Et de conclure : “Ce n’est pas grave, je ne suis pas obsédé par ça.”
L’impératif de la robotisation
Economiste à l’institut Rexecode, Anthony Morlet-Lavidalie est plus circonspect sur cet écart étonnant entre emploi et production : “Produire sans valeur ajoutée, ce n’est pas viable à moyen ou long terme. Soit l’activité décolle et les chefs d’entreprise ont eu raison de patienter et de garder leur main-d’œuvre : c’est la sortie par le haut. Soit les commandes ne repartent pas, et ils seront contraints de licencier dans les prochains mois, c’est la sortie par le bas.”
L’autre levier pour améliorer la productivité consisterait à automatiser davantage les chaînes de production. “Nous étions le pays d’Europe le plus hostile à la robotisation, rappelle Emmanuel Macron. Or, dans un pays où, compte tenu du modèle social, le travail à un certain coût, vous ne pouvez pas réindustrialiser si vous ne robotisez pas. Nous avons rattrapé ce retard en robotisant massivement grâce au plan de relance et au plan France 2030.” Le chemin est encore long : d’après les chiffres publiés par la Fédération internationale de la robotique, la France a installé 7 000 robots industriels en 2022, contre 12 000 pour l’Italie, 26 000 pour l’Allemagne, 40 000 pour les Etats-Unis… et 290 000 pour la Chine !
Pour autant, insiste Anthony Morlet-Lavidalie, on aurait tort de penser que les entreprises tricolores ne jouent pas le jeu : “Le gros de la croissance française des derniers trimestres est lié à leur dynamique d’investissement. Depuis la sortie du Covid, elles sont extrêmement résilientes sur ce point, comme leurs homologues aux Etats-Unis, alors que les entreprises allemandes ont plutôt décroché.” La manne de 15 milliards d’euros d’investissements, essentiellement étrangers, annoncée le 13 mai lors du dernier sommet Choose France n’est donc que l’arbre qui cache la forêt.
“Valoriser le site productif France”
Emmanuel Macron a senti que le projecteur braqué sur les Microsoft, Amazon et autres IBM commençait à irriter un certain nombre de patrons français qui, dans l’ombre, ne ménagent pas leurs efforts pour croître et se développer dans l’Hexagone. “Nous allons organiser un sommet Choose France dédié aux entreprises françaises, a confié le président de la République à L’Express. Pour répondre à leurs vœux et pour mieux valoriser ce choix du site productif France par les acteurs français, qu’il s’agisse de PME ou de grands groupes.”
“Cette annonce est une bonne nouvelle”, se félicite Gilles Attaf, le président d’Origine France Garantie et fondateur des FFI, les Forces françaises de l’industrie, un collectif de dirigeants de PME et d’ETI qui défend le “Fabriqué en France”. Le 18 juin, date ô combien symbolique, les FFI lanceront un appel à l’épargne des Français avec la création d’un nouveau fonds d’investissement, FFI Croissance, garanti par Bpifrance et promu par le groupe de gestion privée Crystal Finance. Sa vocation ? Flécher l’argent des ménages vers le financement des PME régionales. Une initiative prometteuse, qui fait écho à ce désolant constat dressé par le chef de l’Etat : “Chaque année, 300 milliards d’euros épargnés par les Européens financent l’économie américaine en actions ou en obligations, c’est une aberration.”
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