Depuis les allées sécurisées de la centrale de Nogent-sur-Seine, dans l’Aube, Caroline Chavanas, la directrice exécutive des ressources humaines d’EDF laisse percevoir le défi qui s’ouvre pour l’avenir du groupe en France. “Ce qui nous attend est d’une ampleur inédite : nous allons devoir continuer à exploiter nos centrales, mais aussi étendre leur durée de vie, et construire de nouveaux centres de production d’électricité nucléaire”.
La directrice est présente ce 23 mai auprès de quelques journalistes pour faire parvenir une bonne nouvelle : cette année, le groupe projette de recruter 10 000 salariés en France pour l’ensemble de ses activités, dont 4 500 rejoindront la filière nucléaire de l’entreprise. Ce programme de recrutement massif doit lui permettre de remplir ses objectifs : entretenir les 57 réacteurs nucléaires du parc français et construire six nouveaux réacteurs de type EPR2 prévu dans le cadre de la relance de l’atome.
La marche est haute. L’année dernière une étude, menée par le Groupement des industriels français de l’énergie nucléaire (Gifen), anticipait à 100 000 les nouveaux recrutements nécessaires d’ici dix ans pour répondre aux besoins de la relance du nucléaire. Ingénieurs, techniciens, chaudronniers, robinetiers, soudeurs… Les profils sont aussi multiples et variés qu’il existe de métiers dans une centrale.
“Il va y avoir des objectifs de croissances importants dans certains secteurs comme les conducteurs de travaux, les ingénieurs mécaniques, ou encore les chefs de projets, pour accompagner une charge de travail qui sera supérieure de 25 % à ce que l’on connaît aujourd’hui. C’est conséquent mais ce n’est pas inatteignable”, assure Christophe Neugnot, le porte-parole du Gifen.
Proposer une carrière très tôt
Des efforts ont déjà été menés pour combler les manques à court terme. C’est le cas notamment chez les soudeurs, un métier clef pour la réalisation des ouvrages nucléaires, et qui manquait ces dernières années de bras. En 2021, quatre grands groupes industriels (EDF, Orano, Naval Group et CMN) ont allié leurs forces pour créer la Haute Ecole de formation soudage (Héfaïs) à Cherbourg, et répondre à la demande immédiate du secteur. “Dans cette filière, le nécessaire a été fait, Framatome a aussi lancé son école de soudage, on estime pouvoir former plus de 200 soudeurs par an”, souligne Hélène Badia, la présidente de l’Université des métiers du nucléaire (UMN), un organisme créé en 2021 pour répondre aux besoins de formation et de recrutement du secteur.
Pour le reste, l’enjeu est désormais de convaincre les jeunes de rejoindre le monde du nucléaire. Pour cela EDF démultiplie sa communication à destination des jeunes. En visite à la centrale de Nogent-sur-Marne, on peut croiser un influenceur aux centaines d’abonnés sur TikTok. Tout comme récemment le YouTubeur Tibo InShape, qui réalisait une vidéo de promotion des différents métiers d’une centrale sur le site de Tricastin, dans la Drôme.
La stratégie repose aussi sur la capacité d’EDF à proposer très tôt une carrière au sein du groupe. “Une grande partie des personnes que l’on va recruter sont issues de parcours d’alternances ou de stages, ils ont déjà un premier niveau de compétence, connaissent l’entreprise et sont prêts à exercer leur métier”, juge Caroline Chavanas. Sur les nouveaux arrivants dans le groupe en 2024, près de la moitié sont des alternants et des stagiaires. Une manière de conserver ces profils familiarisés avec les pratiques de l’entreprise et de constituer un vivier qui sera crucial dans les années qui viennent pour réussir à accélérer la construction des futures centrales. “C’est cette accumulation de compétences qui fait que l’on sera bien meilleurs”, assure la directrice des ressources humaines.
Féminiser la filière
Dans cette stratégie, une part importante est aussi consacrée à la féminisation de la filière. “D’un point de vue pragmatique, compte tenu des volumes de recrutement dont on parle, on ne pourra y parvenir que par une féminisation importante de ces métiers”, constate Eric Gadet, directeur de l’Institut national des sciences et techniques nucléaires, l’une des principales écoles de formation de la filière. Pour le moment, les femmes représentent un peu moins de 30 % des employés du secteur. “Il y a eu une belle évolution ces dernières années, mais on reste en deçà de la moyenne de l’industrie et aujourd’hui, on a encore du mal à aller vers les 30-40 % de femmes dans ces métiers”, constate Hélène Badia, soulignant l’importance pour les jeunes femmes de rejoindre en amont les filières scientifiques et techniques.
Pour convaincre les jeunes femmes que la voie du nucléaire leur est ouverte, le groupe aime mettre en avant les profils de femmes exemplaires. Sur les 18 directeurs et directrices de centrales en France, quatre sont désormais des femmes. A Nogent-sur-Seine, Estelle Obert s’en félicite : “On est passé à 30 % de femmes dans nos recrutements et certains métiers qui étaient encore assez masculins, comme la conduite du réacteur (en salle de commande), se féminisent”. Cette après-midi, le cœur du réacteur numéro 1 de la centrale était d’ailleurs en partie piloté par une femme, Louäne Fouche, une alternante de 22 ans, qui se verrait bien un jour à la tête d’une centrale.
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